Marjane est une jeune femme au talent remarquable et au caractère bien trempé. Depuis quelques années, elle s’occupe elle-même de l’atelier de confection de tapis créé par son père, aujourd’hui trop faible pour assurer la création. L’organisation du travail des ouvrières, la gestion des commandes et l’intendance de la maison, elle gère tout ça d’une main de fer. Mais un jour, la dure réalité vient troubler la vaillante Marjane : son père est souffrant, les médecins lui donnent peu de temps et il faut qu’elle songe à se marier si elle veut garder l’atelier et le toit qui l’abrite avec sa sœur cadette Anoosha. Marjane s’insurge contre cette coutume rétrograde qui dit que les femmes ne peuvent gérer une affaire ou posséder des biens en propre, quelle injustice ! Alors que son père la presse à prendre se marier et enchaîne les entretiens avec les familles des jeunes célibataires à marier, Marjane décide de prendre son destin et celui de sa famille en main et de plaider sa cause devant le sultan. Elle ne sait pas encore qu’elle devra relever un défi de taille pour montrer que les femmes sont dignes de confiance, et qu’elle vivra une aventure aussi palpitante que les contes que lui lisait sa mère quand elle était enfant.
Le fort caractère de l’héroïne m’a tout de suite conquise. Marjane est une femme forte, artiste, moderne, qui doit se battre contre le système patriarcal et passéiste du royaume d’Aroum à la fin du XIXe siècle. L’Orient offre un décor propice au roman d’aventures. On est tout de suite dépaysé par les descriptions appliquées des vêtements, du travail des ouvrières tisseuses, des paysages ensablés. L’histoire en elle-même est assez classique, même prévisible, mais on se laisse emporter par les péripéties et les émois de la jeune femme qui devra défendre courageusement sa famille et la cause des femmes.
Spiridon ne paye pas de mine : paisible berger qui mène paître son troupeau sur les coteaux escarpés de sa Grèce natale, il vit seul avec sa mère, simplement. Au loin dans la vallée, il voit les travaux pour les prochaines Olympiades qui se dérouleront à Athènes en 1896 prendre forme. Quelle excitation ! Il paraît qu’un Français du nom de Pierre de Coubertin a décidé de réveiller l’esprit olympique ! Spiridon n’ose même pas imaginer qu’il portera les couleurs de son pays, jusqu’au jour où il part faire son service militaire, et que ses talents de coureur sautent aux yeux de sa hiérarchie. Le jeune berger parviendra-t-il à défendre l’honneur de son pays dans la discipline reine qu’est le marathon ?
La course à pied se prête très bien au roman d’initiation. Les difficultés de l’entraînement, le rythme haletant de la course… tous les éléments du récit participent à l’identification. On suit le parcours de Spiridon depuis ses montagnes au grand stade d’Athènes en courant à sa hauteur, accrochés à son souffle, on souffre avec lui sous le soleil écrasant de l’été 1896. Ce court roman est suivi par un petit dossier documentaire sur l’évolution des Jeux olympiques de l’Antiquité à nos jours. L’ensemble est très agréable à lire, très accessible même pour des jeunes lecteurs qui se reconnaîtront dans personnage historique de Spiridon Louys : humble, un peu naïf, mais très courageux.
Il fut un temps où George Sand signait ses lettres de son doux prénom de baptême, Aurore. Un temps où Marcel Proust faisait des fautes d’orthographe et où Gustave Flaubert baillait d’ennui au fond de sa classe au lycée. Ce temps, celui de l’enfance et de l’adolescence, nous est livré comme capturé dans les lettres envoyées par ceux qui deviendront les grands noms de l’écriture. Certains ne savaient pas encore quelle serait leur destinée, comme Marcel Aymé qui ne s’intéresse qu’à commander une boîte à compas pour Noël quand il s’adresse à sa sœur. D’autres le devinent déjà un peu : Freud conseille à son meilleur ami de conserver ses lettres, des fois qu’il deviendrait célèbre. Charles Baudelaire et Paul Verlaine envoient tous deux leurs premiers vers à leur idole Victor Hugo pour se conforter dans la voie de la poésie qu’ils s’apprêtent à embrasser. Pour la plupart, ils racontent, entre les lignes, le quotidien d’une jeunesse qui ne change pas tant que ça avec les années et les siècles : quand on est jeune, on s’ennuie en classe, on a soif de liberté, on espère que l’avenir nous révélera au monde.
Ce recueil de correspondance offre un très beau moment de lecture. Qu’il est touchant d’imaginer les écoliers appliqués qui ont rédigé de leur plume ces petits mots destinés à leurs parents ou à leurs camarades ! Bien sûr, le grand écrivain sommeille déjà dans la plupart des textes qui ont été compilés par Marie-Ange Spire. Ils sont drôles, poétiques, impétueux… c’est un vrai plaisir que de lire ces écrivains en devenir. Le « carnet de lecture » qui suit les lettres, sans être assommant, m’enthousiasme un peu moins, sûrement parce qu’il rappelle la portée « scolaire » de ce recueil. La quatrième de couverture explique en effet que la correspondance des grands auteurs permet de mieux comprendre leur œuvre. Pas sûr que ce soit la principale force de ce livre. Certaines des lettres sont de véritables bijoux d’écriture en elles-mêmes, sans qu’on ait besoin d’y chercher la trace d’une référence historique ou littéraire qui viendrait éclairer l’œuvre d’un grand écrivain (par ailleurs encore inconnue du lecteur). Ce recueil a cette qualité rare qu’il donne envie de lire, et aussi envie d’écrire, ce qui est déjà un très beau cadeau à faire aux jeunes gens qui le découvriront.
Quelques pas de plus…
Nous avons déjà chroniqué des ouvrages d’Agnès Laroche (Dans les yeux d’un loup et On a rien vu venir).
Marjane et le sultan Texte d’Agnès Laroche Talents Hauts dans la collection Libres et égaux. 8€, 135 x 180 mm, 144 pages, imprimé en République Tchèque, 2015. |
Un berger aux Jeux olympiques Texte d’Eric Chevreau Oskar éditeur dans la collection Histoire et société. 9,95€, 145 x 190 mm, 88 pages, imprimé en Europe, 2015. |
Demain je t’écrirai encore. Lettres de jeunesse de grands écrivains Textes de George Sand, Marcel Proust, Sigmund Freud… Marie-Ange Spire (cahier de lecture) Gallimard Jeunesse dans la collection Folio Junior Textes classiques. 5,60€, 124 x 178 mm, 130 pages, imprimé en Espagne, 2015. |
La difficile discipline du marathon a déjà inspiré des écrivains qui y ont vu le reflet de la pratique de l’écriture. Dans son Autoportrait de l’auteur en coureur de fond (Belfond, 2009), Haruki Murakami fait de nombreux parallèles entre la traversée du désert qu’il a vécue en écrivant son premier roman et sa pratique intensive du demi-fond. Concentration, endurance, capacité de résistance et d’abnégation… toutes ces qualités sont partagées par le coureur et l’écrivain.
Dans Courir (Les éditions de Minuit, 2008) Jean Echenoz s’est quant à lui intéressé au destin du coureur tchèque Emil Zátopek, quatre fois champion olympique. Le rythme de la course se retrouve dans celui de l’écriture du romancier formaliste. On se laisse emporter par la course du marathonien et l’écriture jubilatoire de l’écrivain.
Laura
Je ne lis pas que le vendredi.