Cet été, on vous propose à nouveau la rubrique du berger à la bergère tous les mercredis. Cette rubrique vous avait tellement plu l’été dernier, nous nous devions de la reprendre (il faut dire qu’à nous aussi elle plaît beaucoup) ! Donc tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur.trice.s et des illustrateur.trice.s qui posent trois questions à un auteur.trice ou une illustrateur.trice de leur choix. Puis c’est à l’interviewé.e d’en poser trois à son tour à son intervieweur.euse d’un jour. Après Régis Lejonc et Janik Coat, Stéphane Servant et Madeline Roth et Patrick Pasques et Sévérine Vidal, cette semaine c’est Thanh Portal qui a choisi de poser des questions à Maurèen Poignonec !
Thanh Portal : Maurèen, tu as déjà un univers bien à toi à travers ton trait et tes couleurs particulières, les petits détails récurrents d’album en album, éprouves-tu l’envie ou le besoin de raconter une histoire dont tu serais l’auteure ?
Maurèen Poignonec : Merci pour ta question, oui, maintenant que je suis parvenue à trouver un univers dans lequel je suis bien installée (j’ai quand même encore des doutes sur les personnages que je dessine), j’aimerais beaucoup me poser quelques instants et réfléchir à des histoires qui seront vraiment les miennes… J’aimerais énormément écrire mes propres récits. Mais ça demande vraiment une maîtrise particulière d’écrire joliment, pour ne pas qu’il y ait de redondance, que l’histoire soit efficace et pas lourde… J’aurais un peu peur si jamais je parvenais à faire éditer un texte et que je doive lui apporter des modifications. Car corriger une illustration je suis habituée, mais corriger un texte quand on n’est pas auteur, ça doit être plus difficile… En tout cas je suis certaine que la première histoire que j’écrirai mettra en scène plein de petits animaux/monstres un peu bizarres probablement habillés et accessoirisés (lunettes et tout), dans une atmosphère bucolique et douillette, et surtout ce sera joyeux. Et je pense que j’écrirai plutôt des histoires contemplatives, sans véritable narration ni de personnage principal… Maintenant il faut plus que je m’y mette, l’année prochaine j’espère… mais j’ai hâte !
Thanh Portal : Nous vivons un métier dans lequel il est difficile d’exercer, qui n’est pas vraiment confortable. Au-delà de nos contraintes, as-tu un rêve éditorial ?
Maurèen Poignonec : J’apprécie d’avoir un rythme de travail assez dynamique et condensé, mais c’est un peu contraignant car je manque de temps pour m’approprier les textes au maximum. Du coup dans les années qui viennent, je rêverais vraiment de travailler sur un album tous les 3-4 mois. Cela me permettrait de vraiment bien cibler un récit qui me correspondrait à 200 %, et prendre le plus de temps possible sur chacune des illustrations : vraiment m’imprégner du récit et des personnages. Donc si un jour je parviens à mieux m’organiser et à donc avoir plus du temps, mon grand rêve éditorial serait de faire un album géant, les illustrations grouilleraient de détails, il y aurait plein de petites choses à découvrir dans les pages, de la végétation partout, des insectes, des animaux bizarroïdes, pourquoi pas des grandes bâtisses où on pourrait apercevoir plein de bonhommes et de monstres aux fenêtres, des planètes dans le ciel, des soucoupes volantes… Oui, vraiment avoir le temps de faire un très grand album serait le summum de la perfection ! J’aimerais bien aussi faire un roman graphique pour les adultes, plus sombre et plus froid, quelque chose qui changerait de mes albums pour les enfants… J’espère ne jamais me lasser de mon métier mais au cas où c’est vrai que ce serait plaisant d’avoir un jour la possibilité d’illustrer un livre pour les adultes, voir si j’en suis capable ou si je serais prise de pulsions à rajouter des cochons et des girafes partout. Au moins je serai fixée.
Thanh Portal : Qu’est-ce qui te motive pour accepter un texte ? Son sujet, le défi qu’il représente, la musique du texte ?
Maurèen Poignonec : D’abord, je lis très vite le texte et il faut que des images me viennent en tête, sinon je sais que ça va pas marcher et que j’aurai dû mal à être inspirée. Je sens à l’avance, avant même d’avoir commencé à poser mon crayon sur la feuille si je vais être contente de ce que je vais faire, car je ressens comme un bourdonnement en moi quand j’ai lu un récit qui m’a convaincu. Ce qui va me motiver dans un texte, ce sera vraiment l’aspect émotionnel entre les personnages, s’il y a un brin d’humour, le contexte de l’histoire, et évidemment si le texte fonctionne parfaitement, si je sens que les paragraphes vont bien se marier avec les futures illustrations… Quand il y a un « défi » comme tu dis ça m’attire, car j’aime bien quand il y a une prise de risque, c’est absolument pas apaisant mais très motivant.
Maurèen Poignonec : Thanh, comme je parlais d’un probable futur récit joyeux avec des animaux et de la nature qui grouille de partout, il y a des thèmes en particulier que tu aimes illustrer ? Et pourquoi ?
Thanh Portal : Nous avons des points communs dans nos univers, j’aime également les animaux, la nature, les petits détails que personne ne voit. Cela m’apaise.
J’aime aussi beaucoup illustrer les moments de solitude mais également les tâtonnements des premiers instants d’une rencontre, de l’amitié qui surgit. Je suis très attachée à la notion de joie qui me paraît essentielle pour supporter le monde à n’importe quel âge.
J’espère parvenir à mettre de l’humour dans certaines illustrations, j’aime aussi les choses simples et un peu « bébêtes ».
Maurèen Poignonec : Dans ta deuxième question, tu introduisais que nous étions sujets à des difficultés et contraintes, donc en période de stress, ou en période de travail tout court, comment tu fais pour dessiner et t’aérer l’esprit en même temps ? Musique, films, séries, écouter les oiseaux chanter ?
Thanh Portal : Je suis incapable de regarder un film ou une série pendant que je travaille. J’ai dû mal à me concentrer de manière générale, pour cela j’ai besoin de m’isoler avec mon casque audio : j’écoute de la musique au début d’un projet afin de lui donner un ton, j’associe chaque livre à une playlist. Puis j’écoute des podcasts de toutes sortes lorsque j’exécute : beaucoup de documentaires et quelques émissions critiques. J’habite en hauteur, je vois la cime des arbres de mon bureau ce qui m’apaise et m’inspire beaucoup.
Maurèen Poignonec : Tu es illustratrice autodidacte, est-ce que tu vois ça comme une vraie chance qui t’aurait évité d’être formatée ou conditionnée dans un style, ou au contraire tu aurais apprécié avoir fait une école en lien avec l’édition, le graphisme ou l’art en général ?
Thanh Portal : Je ne sais pas si c’est une chance ou pas, le fait est que je n’ai pas eu l’impression d’avoir eu le choix : plus jeune je n’avais ni les moyens financiers ni le temps nécessaire pour envisager une école. J’ai donc mis le désir de devenir illustratrice de côté et j’ai cessé de dessiner, bêtement.
Puis il y a quelques années, j’ai repris mes crayons et ma peinture, au départ simplement pour moi, et très rapidement j’ai eu le besoin de créer des illustrations au service d’un texte et je me suis lancée dans ce métier en formant des binômes notamment.
J’aurais aimé connaître le plaisir de former un groupe réuni pour apprendre, de fréquenter des gens qui partagent la même passion, d’être dirigée, guidée et formée.
C’est une vision un peu idéale de l’école d’art que j’ai ! J’apprends donc sur le tas et grâce à internet je rencontre des personnes du monde de l’illustration avec lesquelles je partage expériences, aides et avis. Cela forme une sorte d’émulation, cette communauté m’est très précieuse.
Bibliographie (sélective) de Mauréen Poignonec :
- On n’a pas allumé la télé, illustration d’un texte de Bénédicte Rivière, L’élan vert (2017).
- Série Quart de frère, quart de sœur, illustration de textes de Sophie Adriansen, Slalom (2017).
- Le Saule rieur, illustration d’un texte de Pog, Sarbacane (2017)
- Le doudou de la directrice, illustration d’un texte de Christophe Nicolas, Didier Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- La grande inconnue, illustration d’un texte de Pog, Maison Eliza (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Tout le monde sait faire du vélo, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, Kilowatt (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Les tourterelles, illustration d’un texte de Karine Guiton, La palissade (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Série La Famille Cerise, illustration de textes de Pascal Ruter, Didier Jeunesse (2016-2017), que nous avons chroniqué ici.
-
Chrysalide, illustration d’un texte de Pog, Cépages éditions (2016).
-
Histoires pour bien dormir, Collectif, Milan éditions (2016).
- Lola et la machine à laver le temps, illustration d’un texte de Rolland Auda, Sarbacane (2016).
- La classe de mer de Monsieur Ganèche, illustration d’un texte de Jérôme Bourgine, Sarbacane (2016).
- Une histoire chaque soir, Collectif, Gautier-Languereau (2015).
- 10 petites souris cherchent une maison, illustration d’un texte de Pog, Gautier-Languereau (2015).
- Le Vilain Petit Canard, illustration d’un texte de Magdalena, Castor Poche (dans la collection Contes du CP – 2015).
Son site : http://www.maureenpoignonec.com
Son book : http://maureenpoignonec.ultra-book.com
Bibliographie (sélective) de Thanh Portal :
- La couleur du vélo, illustration d’un texte de Sandra Le Guen, La Palissade (2017).
- Le jour où on a mangé tous ensemble, illustration d’un texte de Thierry Lenain, Nathan (2017).
- Le jour où la France est devenue la France, illustration d’un texte de Thierry Lenain, Nathan (2017).
- Un jour dans la forêt Toc Bou Toc Zoï / Une nuit dans la forêt Toc Bou Toc Zoï, coloriage, La maison est en carton (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les petits secrets, illustration de textes de Natalie Tual, Didier Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- La compète, illustration d’un texte de Benoît Charlat, Talents Hauts (2014).
- Loup s’y perd, illustration d’un texte d’Isabelle Wlodarczyk, Les 400 coups (2014).
- Sous le signe de la mouette, illustration d’un texte d’Arnaud Jomain, Orphie (2014).
- Le petit principe : Voyageur des trous noirs, illustration d’un texte d’Eva Almassy, l’école des loisirs (2014).
- Histoires de renards, illustration d’un texte d’Annie Caldirac, Rue des enfants (2014).
- Léo et Célestin, illustration d’un texte d’Isabelle Wlodarczyk, L’escamoteur (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Oh les loups !, illustration d’un texte de Céline Alix, Paquet (2013).
- Madoulaine, illustration d’un texte de Mary Aulne, Apeiron (2013).
- Renardot et le souvenir volé, illustration d’un texte d’Isabelle Wlodarczyk, Éditions du Caïman (2013).
- Sur mon arbre perché, illustration d’un texte d’Isabelle Wlodarczyk, Vert pomme (2013), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Thanh Portal sur son book : http://thanh.ultra-book.com.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !