Mon papa qui venait pour me border,
Moi, déjà, dans mon pays rêvé
(…)
J’étais pas là, j’étais pas là, j’étais pas là…
J’étais pas là, Alain Souchon
On fait souvent des chroniques sur l’imaginaire des enfants (à tel point que je n’ai plus d’idées de titre pour les chroniques !), parce que c’est un sujet intéressant et parce que ça donne généralement de bons albums (soit poétiques, soit déjantés). Voici donc une nouvelle sélection d’albums dans lesquels les enfants voient des choses que nous ne voyons pas, partent dans des mondes qui nous sont inconnus.
S’il y a bien une chose qui terrifie cette petite fille, c’est le sac à main de sa mère ! Une fois, il a même avalé des clefs ! Mais la mère de la petite fille, inconsciente sans doute, a plongé son bras entier dans la gueule de la bête ! Elle a fini par les trouver au fond de l’estomac du monstre ! Mais bon, il a recommencé plusieurs fois, c’est un sac sauvage ! Au boulot, ce monstre terrifiant doit être utile pour éloigner les Kolaborateurs et les Kollègues dont sa maman parle tant… Mais à la maison, qui sait ce qu’il fait quand on a le dos tourné ?
Énormément d’humour dans L’abominable sac à main d’André Bouchard sorti au Seuil jeunesse. Il faut dire que c’est quand même un objet intriguant (pas que pour les enfants). Ici, la petite fille imagine que ce sac est un animal (mal dressé) qui mange les objets. Le soir avant d’aller se coucher elle le gave de jouets (avec des gants au cas où) pour qu’il n’ait pas faim pendant la nuit, de peur d’être dévorée (mais il y a quand même des objets qui disparaissent) ! On voit la vie des adultes vue par les enfants et c’est tordant. Les grandes planches d’André Bouchard sont magnifiques. Un album qui fera beaucoup rire les enfants, et tout autant les parents.
Eddie habite dans un haut manoir (pour de faux, car en vrai c’est dans une petite maison), la nuit il discute avec son dinosaure et son cochon ailé (qu’il a rencontré une nuit où on l’avait oublié, dans une grande forêt). Ce qu’Eddie aimerait par-dessous tout c’est disparaître et grâce à la machine qu’il construit il sait qu’il va y arriver !
Bonne nuit Eddie est un album magnifique, aussi poétique que drôle, sur l’imaginaire des enfants. Qu’ils s’inventent des mondes ou des machines, les enfants voyagent parfois sans quitter leur chambre. Eddie est de ceux-là. De ceux qui voient le monde autrement. Eddie a pourtant l’impression que personne ne le voit, qu’il n’existe pas. En même temps, c’est pratique ! Ses parents vivent leur vie tranquillement sans savoir qu’il a de sacrés amis avec lui et qu’il invente une machine qui va faire des choses incroyables. L’histoire est vraiment belle et les illustrations d’Estelle Billon-Spagnol à l’encre de Chine sont merveilleuses, le duo fonctionne à merveille. Un magnifique ouvrage.
Quelques pages du livre.
Elle en est sûre, si elle marche le long du trottoir sans tomber son frère va vivre jusqu’à 100 ans, si elle compte bien tous les petits pois sans se tromper, il fera beau tout l’été et si elle répète chaque fois le dernier mot de ses phrases, Malou sera amoureux d’elle. C’est certain ! Et pas seulement ça, il y a aussi les dalles noires qu’il faut éviter et ne marcher que sur les blanches, les poignées de porte qu’on tourne sept fois pour réussir les contrôles ou tant de choses encore ! Et elle n’est pas folle, sa girafe vous le confirmerait !
Avec la finesse et l’humour qu’on lui connaît, Séverine Vidal parle de ces jeux d’enfant qu’on a tous faits (non ?), marcher en suivant une ligne, compter nos pas (et si c’est un nombre pair elle va tomber amoureux de nous, sinon…), compter les voitures et se dire que si dans les 10 prochaines il n’y a aucune voiture bleue c’est qu’on n’aura pas de contrôle de maths… ce genre de petit jeu qu’on continue à faire un peu adulte (non ?), mais qui peuvent se transformer en tocs. Car c’est aussi de ça que parle Une girafe toquée, l’héroïne commence à faire ce genre de choses sans s’en rendre compte, puis ça commence à prendre une telle place dans sa vie que sa mère s’inquiète. Bien entendu, ce n’est pas lourd, jamais pesant (même si l’on devine des choses douloureuses) et l’on finit même par en rire. C’est ça le talent de Séverine Vidal. Le livre est sorti dans la collection Mouchoir de poche de chez Motus, très belle collection de livres noirs (donc le texte en blanc) dont l’auteur se charge lui-même des illustrations. Ici, Séverine Vidal a choisi d’illustrer son texte grâce à des fils de fer qu’elle a triturés (mon explication n’est sans doute pas claire mais l’illustration de la couverture est plus parlante). Un très beau texte, plein de poésie qui parle de l’imaginaire des enfants… quand il devient trop présent.
Devant ses parents assis à la regarder, une petite fille raconte son périple. En levant le bras, elle a attrapé une noix de coco, puis elle a continué le voyage dans un lac et enfin sur la lune. Quelle belle aventure ce fut !
Avec peu de mots, Jorge Lujàn (traduit par Carl Norac) nous fait entrer dans le monde de cette petite fille qui voyage à dos de poisson et rencontre des licornes. Ses parents la regardent, attendris, raconter son histoire sur la première planche, sur la seconde ils sont encore là, dans un coin, un peu moins visibles, ensuite ils ne reviendront qu’à la fin du récit. Raconte-t-elle un rêve ? Un voyage qu’elle pense avoir vraiment fait ? Les illustrations de Mandana Sadat sont très belles et pleines de douceur et de poésie. Un bel album sur l’imaginaire, sensible et poétique.
Le même vu par Œil d’ailleurs.
Plus d’illustrations sur le site de l’illustrateur.
Bulle est si légère qu’elle s’envole à la moindre occasion. Elle est là et d’un coup la voilà dans le ciel, parmi les nuages. On a beau l’appeler, lui dire de redescendre sur Terre, Bulle n’est pas facile à ramener. Heureusement que parfois son père l’accroche à un fil pour pouvoir la faire rentrer à la maison.
Là aussi, quelle poésie ! Cette histoire d’enfant qui s’envole et qu’il est difficile à ramener parmi nous est pleine de douceur et de poésie (accentuées par les grandes et belles illustrations de Justine Brax). Bulle est un grand album dans lequel on a envie de s’évader, de suivre la petite fille dans ses voyages, de nous envoler avec elle. Un très bel album pour rêver, s’envoler.
Pendant que les autres regardent une petite boîte carrée, bien à l’abri de leur maison, Guillemette, elle, raconte des sornettes. Elle voit des choses que les autres ne voient pas, elle invente des histoires, chante pour faire pousser les lampadaires au milieu de la place du village. Alors forcément on la trouve bizarre et son père, le boulanger, voit ça d’un mauvais œil (pensez, que va dire la clientèle ?). Alors Guillemette est triste, elle décide de partir loin en Papoutrie Nouvelle Guirlande et dans la grande forêt d’Âme-à-Zombie.
Ici, on parle des rêveurs, des créateurs, de la différence… Guillemette invente des histoires que les gens ne veulent pas entendre, ils préfèrent regarder la télé. Alors Guillemette fuit et ira raconter ses histoires à des gens qui veulent l’écouter et là-bas elle en apprendra d’autres, dans ce pays où l’on aime raconter et écouter. Au-delà de l’histoire sur l’imagination, la création, le livre critique assez finement le rapport à la télévision (on peut se dire que c’est parce qu’ils l’ont vu à la télé qu’une fois rentrée chez elle, les gens l’écoutent désormais). Un album bien plus riche qu’il n’y paraît.
Le même vu par Enfantipages, La littérature de Judith et Sophie et par Clarabel.
Quelques pas de plus…
Nous avons déjà chroniqué des livres d’André Bouchard (Avant quand y avait pas l’école et Quand papa était petit il y avait des dinosaures), Amélie Billon-Le Guennec (Eulalie de la grande rêverie), d’Estelle Billon-Spagnol (La catcheuse et le danseur, Bad Lino, Les chaussettes qui puent, Les soeurs Tsss, La planète des mius, Ti-Jack, Chiche !, La rentrée de Jacotte, Jacotte en vacances, 5h22, Petit Lagouin, Le jardin du secret, Jacotte, Le petit bois du dimanche soir, À table et Mister Mok), Séverine Vidal (Bad Lino, L’œil du pigeon, Au pays des vents si chauds, Petit Minus, Le laboureur de nuages & autres petits métiers imaginaires, La grande collection, Mon papa est zarzouilleur, Clovis & le pain d’épices, Rien qu’une fois, Philo mène la danse, Plus jamais petite, Comment j’ai connu papa, Arsène veut grandir, Lâcher sa main, Rouge Bitume, Comme une plume, J’attends Mamy, Roulette Russe tome 1 Noël en juillet, Je n’irai pas, Léontine, princesse en salopette, Mamythologie, On n’a rien vu venir, Du fil à retordre, Prune, tome 1 : La grosse rumeur, Prune, tome 2 : Le fils de la nouvelle fiancée de papa, Prune, tome 3 : Prune et la colo d’enfer, 5h22, Les petites marées et La meilleure nuit de tous les temps) et Gwendoline Raisson (Fête d’anniversaire chez la famille Pompom). Retrouvez aussi nos interviews d’Estelle Billon-Spagnol et de Séverine Vidal.
L’abominable sac à main d’André Bouchard Seuil Jeunesse 15€, 246×318 mm, 32 pages, imprimé en France, 2013 |
Bonne nuit Eddie d’Amélie et Estelle Billon Grasset Jeunesse 12€, 152×205 mm, 32 pages, imprimé en France, 2013. |
Une girafe un peu toquée de Séverine Vidal Motus dans la collection Mouchoir de poche 4,50€, 105×150 mm, 32 pages, imprimé en Italie, 2013. |
Du bout de mes doigts Texte de Jorge Lujàn (traduit par Carl Norac), illustré par Mandana Sadat Syros 14,50€, 258×260 mm, 28 pages, imprimé en France, 2013 |
Bulle Texte de Charlotte Demanie, illustré par Justine Brax De la Martinière Jeunesse 14€, 256×347 mm, 32 pages, imprimé en Italie, 2013. |
Les sornettes de Guillemette Texte de Gwendoline Raisson, illustré par Sandra Poirot Chérif Naïve 15€, 307×250 mm, 30 pages, imprimé en Belgique, 2013. |
L’excellente librairie Dialogues, à Brest, met en ligne des vidéos d’enfants très drôles. Ils proposent un mot (charabia, conspuer, chamarré,…) et les enfants imaginent ce que ce mot peut vouloir dire. Vous pouvez voir ces vidéos sur leur chaîne Youtube.
Gabriel
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Le premier de la liste a l’air juste formidable mais je pense qu’Arwen est encore un peu jeune… À voir pour plus tard 🙂
Merci!
J’aime les livres sur l’imaginaire. j’ai l’impression que c’est la vraie enfance.
Raphaël était a fond dans ce monde et il commence à s’en détacher (enfin il garde ses petites bagarres seul contre on n’a jamais su qui :D).
Madeleine y est encore à fond et heureusement puisqu’elle n’a que 6 ans ! Son père l’appelle Spielberg tant elle peut avec 3 pinces à linge partir dans un délire incroyable. Ce que j’adore chez elle c’est qu’elle fait tous les dialogues des personnages avec vraiment beaucoup de conviction (si elle continue comme ça on va avoir droit aux cours de théâtre d’ici peu).
Sinon la girafe toquée c’est vraiment mon enfance. Je gardais tout ça pour moi, je me demande si d’autres partageaient ces petites manies avec leurs copains.
Et toi t’as arrêté donc ?
Tous me tentent! Surtout “l’abominable sac à main”, c’est vrai que le sac à main d’une femme, c’est sacré!
“La girafe un peu toquée”, mais c’est moi!!! enfin plus quand j’étais petite, certes, mais parfois encore!
Et “les sornettes de Guillemette” me tente particulièrement pour les jeux de mots qu’il y a l’air d’avoir!