La peur et les frissons ne sont pas l’apanage des nuits sombres et du soir d’Halloween. Et si l’on tremblait, quel que soit le jour de l’année ? Mais ouvrez l’œil, les monstres ne sont pas toujours ceux que l’on croit et à défaut de prendre nos jambes à notre cou, nous pourrions bien rire plutôt que mourir de peur !
Chaque soir c’est le même phénomène, chaque nuit ils prennent vie. Alors pour dompter ses frayeurs, la demoiselle qui côtoie au quotidien les monstres de sa maison leur a même attribué un prénom. Personne n’a envie de croiser Crissgrif qui rôde dans l’entrée comme un garde zélé prêt à vous sauter à la gorge. Nul·le imprudent·e n’a l’intention de tendre la joue face à Sluuurp pour se laisser enrober de bave dégoulinante à souhait. Enfin, qui trouverait le courage d’affronter Spiro qui a pris ses quartiers d’été dans le grenier, entouré d’une armée d’araignées ? Doigts crochus, langue visqueuse, trompe affreuse : voilà un avant-goût des attributs effrayants des monstres diaboliques qui peuplent toutes les pièces de la maison. Difficile de s’attaquer à eux quand on sait pertinemment qu’ils sont capables de nous fausser compagnie au petit jour… Et pourtant, en un petit geste, en un petit clic, le combat à mener pourrait s’avérer moins complexe qu’il n’y paraît…
Comment ne pas songer à notre enfance et nos fantasmes de chambres peuplées de cruelles créatures une fois la nuit tombée en tournant les pages de cet album ? Derrière cette couverture aux couleurs qui ne sont pas sans rappeler trois brigands dont la réputation n’est plus à faire, se cachent de curieux personnages qui suscitent plus de curiosité qu’ils ne provoquent de frissons angoissés. Dans un esprit d’enfant, l’imagination peut vite faire basculer dans un monde où de simples objets du quotidien cristallisent bien des frayeurs. Balais abandonnés, bottines délaissées, plantes au feuillage ébouriffé… Ajoutez à cela des jeux d’ombres et un peu de poésie, et vous obtiendrez de quoi nourrir vos craintes nocturnes qui se trouveront heureusement vite apaisées au petit jour… Le travail d’illustration d’Eleonora Marton est un véritable festival graphique et coloré reposant sur une alternance de tons sombres et lumineux qui rythme chaque jour qui passe en compagnie de ces facétieux·euses intrus·es. Un album qui joue de page en page avec ses lecteur·rices qui, à l’instar de l’héroïne de cette histoire, se rendront assurément compte qu’on est toujours le monstre d’un autre. Faut-il dès lors, savoir regarder autour de soi et apprendre à sourire de ces peurs qui nous saisissent au cœur de la nuit… Mais le message est clair : laissons donc le noir aux coups de cafard et amusons-nous de notre côté trouillard !
Sur le papier usé glissé dans une enveloppe, un courrier officiel et princier. Le Cercle chevaleresque de la Table ronde ne plaisante pas quand il s’agit de prendre des décisions de la plus haute importance et une urgence s’impose : mademoiselle Hermine de Gonce, princesse de son état, prisonnière en bonne et due forme, est surveillée par un gardien peu investi dans son travail. Il n’en fait qu’à sa tête et il paraît indispensable de lui trouver un remplaçant bien plus zélé à la tâche. Pour cela, aucun problème, leur comité a sous le coude un précieux catalogue de créatures qui sauront assurément faire l’affaire. Certes, René Kikoul ne paraît pas très vaillant sur le papier… Assurément, Elizabeth la sirène a d’autres poissons à fouetter… Vraisemblablement, Barnabé Gueulenbié pourrait manquer de dextérité… Mais feuilletez donc ces pages et lisez leur curriculum vitae, vous dénicherez bien le candidat parfait !
Voilà un album grand format — prêt à trôner fièrement dans une chambre d’enfant ou une bibliothèque — qui se présente sous la forme d’un catalogue hors du commun.
Au fil des pages, chaque créature est présentée en quelques lignes permettant de mettre en avant leur dangerosité et leurs caractéristiques fantastiques. Humour, jeux de mots et dérision sont au menu sous la plume de Laurence Kubler et les hauts faits d’armes évoqués de manière anecdotiques font naître des sourires amusés sur nos bouches qui se régalent de ces petits portraits d’une grande ingéniosité. Les illustrations d’Étienne Friess — dans un format gigantesque qui sied à merveille à ces créatures extraordinaires — envahissent audacieusement la page… L’épaisseur de ce livre n’est pas celle d’un vieux grimoire, mais l’on se sent tout petit face ce catalogue d’une drôlerie délicieuse. Le plus difficile sera de décider quelle créature nous serons prêt·es à adopter !
Il est détestable, côtoie les plus puissant·es, se moque de la morale et trouve son bonheur dans le malheur de son prochain. Rien ni personne ne trouve grâce à ses yeux et il se nourrit de sa haine des autres. Face à un être de cet acabit, de petites fées prennent une décision radicale… Et si ce monstrueux personnage était enfin sévèrement puni ? En moins de temps qu’il n’en faut pour lui jeter un sort, voilà qu’elles mettent tout en œuvre pour donner une bonne leçon à cet homme odieux qui se verra contraint d’exécuter leur requête au grand dam de ses principes et de sa manière de vivre.
Ne cédons pas précipitamment à l’envie de nous émouvoir face à la situation dans laquelle se retrouve l’abominable Steuple qui ne récolte que ce qu’il a semé. Les fées qui décident de se jouer de ce monstrueux personnage rendent ici un immense service à l’humanité et l’on se délecte de ses mésaventures autant que l’on s’offusque de son attitude abjecte et intolérable. Subissant le tour vieux comme le monde de l’arroseur arrosé, le personnage de Steuple passerait presque du monstre à craindre au monstre à plaindre. Sous les talentueux pinceaux d’Hyppolite, l’univers de cette fable cruelle se fait sombre et le trait s’éloigne sans vergogne des albums édulcorés que l’on peut trouver dans le paysage de la littérature jeunesse. Osez donc tourner ces pages si singulièrement dessinées pour vous laisser surprendre par la chute, habilement amenée par Grégoire Kocjan. Lecteur·rices regarderont tour à tour cet anti-héros d’un œil tantôt amusé, tantôt décontenancé, et chacun·e apprendra qu’il ne faut pas toujours se fier aux apparences… Monstrueusement savoureux !
Monstres de maison![]() ![]() d’Éléonora Marton Grasset Jeunesse 15,50 €, 190 x 240 mm, 48 pages, imprimé en Espagne, 2020. |
Le Fantastique catalogue des dragons et autres créatures![]() ![]() Texte de Laurence Kubler, illustré par Étienne Friess Éditions Margot 19,90 €, 260 x 380 mm, 64 pages, imprimé en Italie, 2019. |
L’Abominable Monsieur Steuple![]() ![]() Texte de Grégoire Kocjan, illustré par Hyppolite L’atelier du Poisson soluble 16 €, 200 x 300 mm, 48 pages, 2019. |

J’aime les gens qui doutent, aller voir ailleurs si j’y suis, oublier le temps dans une librairie, boire du vin et du thé, entretenir mon goût démesuré pour les petites listes… Amoureuse du cinéma de Miyazaki, des chansons de Pierre Lapointe, des pinceaux de Mélanie Rutten, des BD de Renaud Dillies, de la poésie de Vinau, des livres illustrés et des romans qui bousculent avec de jolis mots.


