Aujourd’hui, on plonge dans l’univers de Florie Saint-Val, autrice et illustratrice qui a notamment réalité le génialissime Sacha le Pêcheur aux éditions Les Fourmis Rouges et puis on revient avec Cécile Roumiguière, Alessandra Maria et Lucette Savier sur la merveilleuse réécriture de Peau d’Âne sortie chez Albin Michel, un album poétique, onirique et féministe ! Bon mercredi !
L’interview du mercredi : Florie de Saint-Val
Pouvez-vous me parler de votre parcours ?
Petite, je dessinais tout le temps donc en grandissant, pour continuer ce plaisir, j’ai fait en sorte d’en faire mon métier… Après un bac littéraire option arts plastiques, j’ai passé deux ans à l’école d’arts appliqués Estienne puis cinq ans aux Arts Décoratifs de Paris où je me suis spécialisée en graphisme et en illustration qui sont mes deux activités aujourd’hui.
Que vous apporte l’illustration de littérature jeunesse ?
Une carte blanche qui me permet de raconter et dessiner ce qui me plaît, d’exprimer ce qui me semble tendre et rigolo tout en explorant la couleur, que j’adore. Mon trait naïf me range d’office dans la case jeunesse mais je crois que mes livres s’adressent aussi à n’importe quel adulte sensible ayant gardé son âme d’enfant ! Et puis pour moi, faire des livres c’est un engagement. Créer de la culture, du rêve, de l’évasion, de l’amusement, un peu de douceur dans ce monde de brutes.
Pouvez-vous nous parler de votre dernier album Sacha le Pêcheur ?
Sacha le Pêcheur était à la base un mini-fanzine en noir et blanc, fait en quelques jours il y a quelques années. J’ai toujours eu envie de lui donner vie en couleur et sous la forme plus aboutie d’un album. Je l’ai donc proposé à la super maison d’édition Les fourmis rouges et le vœu s’est réalisé ! Ce livre fonctionne sur le running gag, parle de l’amitié, de comment s’apprivoiser et vivre ensemble même si on a des caractères super différents. Tout ça avec une dose d’absurde et d’humour… C’est ma première histoire aux airs de bande dessinée.
D’où vous est venue l’idée de cet album ?
J’ai eu une phase où je m’intéressais beaucoup à l’Oulipo, ce groupe littéraire qui propose de créer en s’appuyant sur des contraintes (mon premier livre La Petite fabrique d’illustration Potentielle est d’ailleurs sur ce thème). Une de leurs contraintes qui s’appelle « Boule de neige » consiste à allonger chaque vers d’une lettre ou d’une syllabe par rapport au vers précédent. Je me suis inspirée de cette contrainte, j’ai joué sur la répétition graphique d’un même décor sur lequel j’ai ajouté au fur et à mesure plein de personnages inattendus. Et le personnage principal du pêcheur était idéal pour faire émerger tous ces hurluberlus.
Quelles étaient vos lectures d’enfant et d’adolescente ?
Je me souviens avoir appris à lire avec entre autres la série de livres Dinomir, un dino géant violet rigolo, dessiné par Quentin Blake. Puis mes parents m’ont abonnée à J’aime lire et ensuite à Je Bouquine. Mon entrée dans la lecture s’y faisait par les images : je lisais uniquement les numéros dont les illustrations me plaisaient, par contre je lisais toujours les épisodes de Tom-Tom et Nana ou Le journal d’Henriette dont j’aimais l’humour. Et puis en vrac, quelques-uns des ouvrages que je me souviens avoir beaucoup aimé : les petits livres Monsieur Madame de Roger Hargreaves, le pop-up La maison hantée de Jan Pienkowski, Le petit Nicolas de Sempé/Goscinny, Mimi Cracra, Le gentil facteur ou Lettres à des gens célèbres… et puis de grands livres de contes illustrés ou de Fables de La Fontaine, des bibliothèques vertes et roses de mes parents, les magazines Picsou… Ado, je ne lisais pas beaucoup de romans sauf des Agatha Christie achetés l’été en brocante, plutôt beaucoup de BD : Lucky luke, Gaston Lagaffe, Mafalda, Agrippine...
Avez-vous de nouveaux projets d’album ?
J’ai plein d’idées, maintenant il faut faire le tri et se lancer… Et en ce moment je suis concentrée sur la préparation d’une petite exposition (ma première !) qui aura lieu mi-mars à Paris au Musée de Poche et qui s’appellera « Funny Foule ». Ce sera l’occasion de présenter des dessins originaux mais aussi des céramiques, un nouveau domaine que j’expérimente.
Bibliographie :
- Sacha le Pêcheur, texte et illustrations, Les Fourmis Rouges (2019) que nous avons chroniqué ici.
- Otto, illustration d’un texte d’Étienne Exbrayat, Éditions MeMo (2017).
- Planète Bidule, illustration d’un texte de Françoise de Guibert, Mango (2017).
- Coccinelle et les copains du jardin, texte et illustrations, MeMo (2016).
- Toc-Toc ville !, texte et illustrations, Éditions MeMo (2015).
- Ça roule dino ?, texte et illustrations, MeMo (2016).
- La saga des petits radis, illustration d’un texte de Françoise Morvan, Éditions MeMo (2013).
- Promenade sous la mer, texte et illustrations, Le Baron Perché (2012).
- Le concert de la savane, texte et illustrations, Le Baron Perché (2012).
- Mon voyage dans la maison, texte et illustrations, MeMo (2011).
- Pique-nique papilles — le domino des feuilles, texte et illustrations, MeMo (2011).
- La petite fabrique d’illustration potentielle, texte et illustrations, Le Baron Perché (2010).
Parlez-moi de… Peau d’Âne
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·rice, son illustrateur·rice et son éditeur·rice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellés. Cette fois-ci, c’est sur Peau d’Âne que nous revenons avec Cécile Roumiguière (autrice), Alessandra Maria (illustratrice) et Lucette Savier (éditrice).
Cécile Roumiguière (autrice) :
Peau d’âne, histoire d’une réécriture
Peau d’âne est un conte essentiel de mon enfance. Le réécrire est un cadeau… Un cadeau que m’a fait Benjamin Lacombe en me demandant d’entrer dans sa collection de textes classiques revisités. J’évoque la genèse de cette réécriture à la fin du livre et sur mon site : https://cecileroumiguiere.com/wp/?page_id=5879
Un thème sensible
Le thème est très sensible. Parler de l’inceste, en parler à des enfants, des adolescent·es d’aujourd’hui, pose des questions complexes. Enfant, la seule version du conte que je connaissais était celle de Jacques Demy. Le film me fascinait — il me fascine toujours ! —, et je ne me souviens pas y avoir vu autre chose que l’impossibilité pour une enfant d’épouser son père. Chaque lectrice, chaque lecteur a son propre filtre…
D’hier, d’aujourd’hui et de demain
Au-delà du thème, ce qui est passionnant dans le fait de réécrire un conte qui a traversé les siècles, c’est de l’inscrire dans le monde actuel. Pour mieux éclairer ce monde actuel, j’ai décalé l’histoire dans… le futur : « … Le couple avait débarqué, il y a bien longtemps, d’un vaisseau aux soutes remplies de plantes et d’animaux. Ils avaient transformé ces terres austères en un lieu de vie où rien ne manquait, ni l’air pur, ni l’eau, ni la nourriture. Grâce à eux, avec l’abondance était venue la paix, et on les avait nommés Roi et Reine en souvenir des temps légendaires. » Dans ce futur où l’humanité est partie vivre sur d’autres planètes, la richesse que le roi sacrifie en tuant son âne, ce ne sont pas des pièces d’or, mais de l’engrais. Le roi sacrifie à sa folie ce qui rend la terre fertile… Ce décalage d’un élément essentiel du conte en lien avec la problématique cruciale de l’avenir de l’humanité sur Terre me semble important. Comme le regard de la foule, tous ces gens autour du roi qui acquiescent à ce qu’il dit et ne défendent pas l’enfant devant la demande inepte de son père, à la façon des paroles lâchées sur les réseaux qui, comme des fauves déchaînés, peuvent mordre et détruire sans que personne ne vienne défendre la victime. Ou encore la réponse de Peau d’âne à la demande du Prince, et ses exigences avant de partager sa vie…
Des mots et des images
Si les mots, la forme, les partis pris pour raconter l’histoire ont surgi comme une évidence, le travail ensuite sur le texte et les liens avec les images d’Alessandra ont pris du temps, une lente maturation qui nous a permis à toutes et tous de ciseler ce livre. Et d’en faire, on l’espère, un livre précieux. Pour finir, comme le chanterait Jacques Demy…
Il est temps à… il est temps à présent
Tandis que vous… tandis que vous relisez,
De glisser une pensée,
Pour votre enfant, pour votre enfance à vous.
Un souhait d’a… un souhait d’amour s’impose,
Tandis que là, l’imprimeur est au travail,
Lissez le livre d’or,
Et laissez lire… et laisser lire qui veut !*
* Sur l’air du « Cake d’amour », musique de Michel Legrand
Alessandra Maria (illustratrice) :
Peau d’Âne est né d’une manière inattendue pour moi. En tant qu’Américaine, je n’avais jamais entendu parler de cette histoire auparavant ; Benjamin Lacombe m’a envoyé un jour un courriel me proposant le projet, et m’a fait parvenir le beau manuscrit que Cécile avait écrit.
L’histoire était fascinante et belle, et j’ai pensé qu’elle avait un côté contemporain. À bien des égards, l’héroïne est différente de celles des autres contes de fées traditionnels. Souvent, dans les contes de fées, la femme cherche à tout prix à se marier, le mariage est le moment « heureux pour toujours », le point culminant. Dans Peau d’Âne, au contraire, l’héroïne défie son père, elle défie la société et ce qu’on attend d’elle, et se forge sa propre voie. Elle est déterminée à se défendre, à ne pas se contenter d’être un pion dans les jeux des hommes. Pour moi, c’est ce qui la rend si intéressante et si différente. Et bien sûr, la belle écriture de Cécile évoquait déjà tant d’images, qu’il a été facile de créer pour le livre. Tout le projet a été une joie à réaliser.
Lucette Savier (éditrice) :
En 2020, les contes traditionnels n’ont pas fini de nous interroger, provoquant pour chacun·e d’entre nous une lecture personnelle, qu’elle soit symbolique, poétique, psychologique, politique… Osons publier les histoires qui comme Peau d’Âne sont chargées d’effroi sur les désirs insensés mais présentent aussi des femmes battantes et résolues. Multiplions donc les interprétations et les représentations pour enrichir notre imaginaire et ne pas le laisser coloniser par une seule voix…
![]() Peau d’Âne texte de Cécile Roumiguière, illustré par Alessandra Maria sorti chez Albin Michel (2019) chroniqué ici. |

Née au début des années 90s, tour à tour professeure, amoureuse de la vie, de la littérature, de la musique, des paysages (bourguignons de son enfance, mais pas que…), des films d’Agnès Varda, des vers de Cécile Coulon et des bulles de Brétecher. Elle a fait siens ces mots de Victor Hugo “Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent”.