Aujourd’hui je vous propose tout d’abord d’en savoir plus sur une autrice/illustratrice dont le travail est très original, Isabelle Gil, avec elle nous revenons sur son parcours et sur son travail. Ensuite, on part découvrir comment travaille l’autrice-illustratrice Daphné Collignon. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Isabelle Gil
Parlez-nous de votre parcours ?
J’ai commencé la photographie en autodidacte à 18 ans, puis j’ai arrêté la photographie pendant longtemps, puis j’ai repris la photographie en formation professionnelle d’abord par un CAP de photographe, puis par des études en Arts Plastiques et Photographie, à Paris 8, l’université de Saint-Denis.
Pendant les études, j’ai commencé à travailler sur des projets de livres.
J’ai suivi les cours d’un intervenant artiste, Alain Bernardini avec qui j’ai pu énormément avancer en étant tellement bien accompagnée dans mes recherches par son talent, son exigence et ses connaissances de l’art contemporain.
Ensuite pendant 4 bonnes années, j’ai envoyé mes multiples maquettes de livres à différentes maisons d’édition.
J’ai pris un travail à mi-temps pour subsister pendant mes recherches et démarches et pour pouvoir mener ce projet de faire des livres en photographie.
J’ai eu toutes sortes de retours, mais sont venus aussi des encouragements, une curiosité pour mon travail qui m’a aidé parfois à tenir et à insister.
Et tout à coup, comme je commençais tout de même à fatiguer un peu et à penser qu’il était vraiment difficile de faire des projets de livres, j’ai eu une réponse positive de Paul Otchakovsky-Laurens, le truc inouï, mon éditeur préféré ces années-là me dit qu’il trouve mon projet de livre très beau et qu’il aimerait le faire avec moi si je suis d’accord ! Quelle joie et quel trésor inoubliables d’avoir rencontré cette personne.
Mon premier livre s’appelle LOVE, chez POL donc, en 2006, et le raconter là c’est – encore – penser à lui tout particulièrement.
Par la suite, j’ai rencontré une troisième personne importante, artiste, illustrateur et cinéaste, également éditeur de littérature jeunesse, avec lequel je travaille aujourd’hui et c’est encore une incroyable chance car il a cette curiosité et une grande connaissance de l’illustration mais aussi ce goût de la photographie et son choix déterminé et rare de donner une existence à des projets de livre de photographies et notamment les miens !
Dans cette dernière rencontre, une évidence s’est montrée entre ces projets-là de livres et l’édition pour les enfants et la jeunesse.
Comment est venue l’idée de raconter vos histoires avec des photos ?
Je ne sais pas, depuis toujours. Il me semble que parlant peu, j’adorais la lecture et la photo qui dans mon enfance, me fascinait un peu et puis ça me semblait être un média très complexe en fait. Et très bavard.
Ça pouvait être du passé, du futur, de la beauté, de la mort, de la mise en scène, de la pensée, du faux.
Et puis la photographie parle beaucoup, seule, le texte est dans l’image.
Pouvez-vous nous raconter comment vous travaillez ?
Avec des images en tête, des paysages, des situations ou des expressions, littéraires ou imagées.
Comme prendre des bains de soleil, être zinzin, voir des éléphants roses…
Où trouvez-vous votre inspiration ? Comment naissent vos histoires ?
De ça, des choses en tête et également de certains objets que je trouve attachants ou intéressants en tout cas.
Pour leur banalité, leur disponibilité, ce sont principalement des objets du quotidien, et pour ce qu’ils peuvent offrir comme supports à l’imaginaire, comme représentations que l’on a du monde, pour ces petites ou grandes relations avec l’extérieur, pour ce qu’on y projette.
Pouvez-vous nous parler de votre dernier album, Le petit éléphant rose ?
J’ai pensé particulièrement à l’enfance, à cette capacité à se glisser dans la peau de ce que l’on veut, un chat ou un avion. Je suis ce que je veux. J’adore cette folie de l’enfance.
C’est une immense liberté, je parle aux chiens et là je ne marche pas, je vole.
Ce n’est pas un désir de régression, si ce n’est de garder l’enfant ou cette part-là, mais je trouve le lien de l’enfant au monde et au vivant très direct, drôle, très fou, très simple aussi, tout est possible.
Oui donc Le petit éléphant rose c’était pour associer cette expression « voir des éléphants roses » qui chez les adultes signifie un état de délire hallucinogène — je cherche d’ailleurs toujours un témoignage — et le monde de l’enfance où on s’étonne de tout et de rien à la fois !
Et mettre dans ce livre des souvenirs personnels et forts de paysages de jungle.
Travailler en solo sur un projet, c’est un plaisir ou parfois ça vous manque de partager des projets ?
Au début, c’était comme ça, j’avais des projets, donc je tente de les faire.
Depuis quelque temps, j’aimerais croiser d’autres personnes et compétences et s’embarquer joyeusement, on verra…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Aucune en particulier, j’allais au bibliobus, j’adorais cet espace, j’ai dû lire Croc blanc, je ne sais plus trop, rien de marquant ou je me souviens pas, même si je restais dans cet étroit camion bleu des heures et des heures.
Et en vacances chez (ma) Mémé… j’ai tout lu, tout ce qu’il y avait sur place, des magazines étranges comme Point de vue, Nous Deux…
Un jour je suis tombée sur le roman — Lady Chatterley — et je me suis dit que c’était pas mal le fond du jardin et après j’ai lu sans aimer ça à l’école, mais après j’ai lu tout ce que je pouvais, en tombant vers l’âge de 17 ans sur les Chants de Maldoror ou sur Crime et Châtiment, je me suis dit que je ne comprenais pas tout mais que ça allait être génial.
Je ne sais plus à quel âge, jeune adulte je pense, j’ai aussi découvert Crin blanc et Le ballon rouge de Albert Lamorisse et ça m’a beaucoup plu. Livres & films.
Et puis le Muppets show et Téléchat, Buster Keaton, Monty Python…
Quelques mots sur les prochaines histoires que vous nous proposerez ?
J’ai des pistes non poursuivies dans mes tiroirs, faut que je regarde de près…
Et un projet de livre photographies et texte pour adultes toujours en pause.
Rien à dire, avant des avancées… mais j’ai très envie de faire encore des albums.
Merci !
Bibliographie :
- Le petit éléphant rose, texte et illustrations, l’école des loisirs (2018).
- Le zinzin de la forêt, texte et illustrations, l’école des loisirs (2016).
- Coquille, texte et illustrations, l’école des loisirs (2016).
- Copain Copain, texte et illustrations, l’école des loisirs (2015).
- Le magicien d’os, texte et illustrations, l’école des loisirs (2015).
- Les vacances, texte et illustrations, l’école des loisirs (2014).
- Le chapeau de Maman, texte et illustrations, l’école des loisirs (2014).
- Le déjeuner sur l’herbe, texte et illustrations, l’école des loisirs (2013).
- Le musée des ours, texte et illustrations, l’école des loisirs (2012).
- Une ou deux bêtises, texte et illustrations, l’école des loisirs (2011).
- L’aventure, illustration d’un texte de Jean Rolin, Les éditions de la Table ronde (2011).
- Couleurs à sensations, texte et illustrations, Le Rouergue (2011).
- À la mer, texte et illustrations, l’école des loisirs (2010).
- Oursons, texte et illustrations, l’école des loisirs (2008).
- LOVE, texte et illustrations, P.O.L. (2006).
Retrouvez Isabelle Gil sur son site : http://www.isabellegil.fr.
Quand je crée… Daphné Collignon
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Daphné Collignon qui nous parle de quand elle crée.
Je fais de la BD et de l’illustration depuis plus de 15 ans maintenant ; j’ai donc écrit et dessiné dans de nombreux endroits, ayant beaucoup voyagé par le passé.
J’ai eu ma période café, où je faisais mes dessins et mes croquis avant de les mettre en couleur à la maison ; puis l’ère informatique est arrivée, et j’ai passé tout mon temps au café avec mon ordinateur portable. Une fois un album fini, je changeais d’endroit, parce que je ne pouvais plus remettre les pieds dans le café où j’avais travaillé pendant un an — ce qui pouvait s’avérer un peu ennuyeux quand il s’agit de lieux que nous aimions, mes proches et moi !… J’ai aussi beaucoup travaillé en bibliothèque, au milieu des livres et des lecteurs.
J’ai besoin d’un bruit de fond quand je dessine. Cela me rassure et me permet de mieux me concentrer. Le travail de dessinateur et de scénariste étant très solitaire, j’ai besoin de présences autour de moi.
Je n’ai cependant jamais pu travailler en atelier, et cela n’a pas été faute d’essayer ! Mais à chaque fois, j’étais trop déconcentrée par l’envie de discuter avec mes amis ou par les discussions qui se déroulaient autour de moi.
Le bruit d’un café ou l’ambiance d’une bibliothèque est impersonnel, alors qu’un atelier me sollicite plus intimement et ne me permet pas de me concentrer comme je le voudrais.
J’ai aussi travaillé beaucoup chez moi, ce qui est à la fois le meilleur endroit, et le pire ! C’est là que je suis le plus « dans ma bulle », et que les résultats sont les meilleurs. Mais c’est aussi très solitaire, et comme tous les gens qui travaillent à la maison, on n’a jamais vraiment l’impression de s’arrêter. En ce moment pourtant c’est là que je travaille. Mon rêve serait d’avoir mon atelier à moi, une sorte d’autre chez moi où je pourrais inviter des amis à partager des séances de modèle vivant ou à dessiner de temps en temps.
Je suis donc capable, a priori, de dessiner n’importe où pourvu que la lumière soit bonne et qu’on ne me parle pas, ou qu’on ne commente pas ce que je fais. Je déteste montrer mes images en cours de réalisation, n’étant jamais très sûre de moi, et sachant qu’elles vont évoluer. C’est un peu mon jardin secret, mon laboratoire intime.
J’ai même du mal à rester à côté de quelqu’un qui lit mes livres ! C’est parfois un problème en dédicace. 😉
Quand je dessine et que je fais de la couleur, j’écoute la radio ou des histoires. J’aime beaucoup lire, et j’ai trouvé sur internet des sites qui proposent des histoires à écouter. Depuis, j’ai dû écouter des centaines de livres ! Chacun de mes albums est relié à ces livres, et chaque page me les rappelle. C’est une manière pour moi de me concentrer, et de me plonger dans une sorte de bulle intime et personnelle.
Quand je dessine, je suis « en moi », je peux rester 6 ou 7 heures à la même place sans en bouger. Je ne sais pas si c’est la meilleure façon de faire, parce que je manque parfois de recul sur ce que je fais, mais ça me permet de m’immerger complètement dans les images.
Les interruptions téléphoniques sont plutôt malvenues en général, pour la même raison. Tout cela fait de moi une ourse solitaire !!
Depuis que j’ai une petite fille, mon rythme a un peu changé ; je suis obligée de faire des pauses, et j’ai dû modifier mes horaires.
Avant, je commençais en fin de matinée pour finir tard dans la nuit.
Aujourd’hui, je démarre tôt le matin après avoir posé ma fille à l’école, et je dessine jusqu’à la sortie des classes. Je me remets généralement au travail après qu’elle se soit couchée, jusque tard dans la nuit.
J’ai toujours énormément travaillé, et cela a toujours été mon activité principale ; j’ai un peu de mal à sortir de cette bulle qui s’est construite au fil du temps, et à ne pas percevoir le monde comme une matière à exploiter.
Je ne fais pourtant pas de carnet de voyage, parce que je suis nulle pour ça ! Je préfère m’imprégner des ambiances, des atmosphères, prendre des photos, profiter de l’instant, et le retranscrire plus tard sur le papier quand le besoin s’en fait sentir. C’est comme si j’avais une bibliothèque d’images dans la tête et le corps dont je me sers pour mes livres.
J’aime à penser, même si c’est un peu banal, que nous sommes tous des portes ouvertes sur des livres, par nos sensations et nos ressentis, par toutes les histoires que nous portons en nous. C’est plus qu’un travail. C’est une manière de vivre !
Daphné Collignon est autrice et illustratrice.
Bibliographie sélective :
- Série Calpurnia, BD, dessins d’après un scénario de Jacqueline Kelly, Rue de Sèvres (2018).
- Tamara de Lempicka, BD, dessins d’après un scénario de Virginie Greiner, Glénat (2017).
- Avant l’heure du tigre : La voie Malraux, BD, dessins d’après un scénario de Virginie Greiner, Glénat (2015).
- Série Le rêve de Pierres Pétra, BD, dessins d’après un scénario d’Isabelle Dethan, Vents d’Ouest (2014).
- Ma vie de chien, album, illustration d’un texte de France Quatromme, Fleur de ville (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le B.A. ba de la savate boxe française, illustration d’un texte de Victor Sebastiao, Fleur de Ville (2013).
- Série Sirène, BD, scénario et dessins, Dupuis (2013).
- Série Destins, BD, dessins d’après un scénario de Frank Giroud et Virginie Grenier, Glénat (2010)
- Correspondante de Guerre, BD, dessins d’après un scénario d’Anne Nivat, Soleil (2009).
- Série Cœlacanthe, BD, scénario et dessins, Vents d’ouest (2006-2007).
Le site de Daphné Collignon : https://www.daphnecollignon.com.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !