Merlito est un album singulier sorti chez Esperluète, sa lecture m’a donné envie de rencontrer son autrice-illustratrice Florence Gilard. Je lui ai proposé de répondre à mes questions, elle a accepté. Après cette interview, je vous propose de partir en vacances avec Olivier Latyk dont l’album La maîtresse mal réveillée vient de sortir chez Père Castor.
L’interview du mercredi : Florence Gilard
Pouvez-vous nous présenter l’album Merlito que vous venez de publier chez Esperluète ?
Merlito, c’est le surnom donné par un enfant à un merle, dont la présence familière et rassurante fait partie de ses repères. Il est question de lien et d’attachement, à travers la place que peut prendre un être vivant dans l’esprit d’un autre, qu’il soit présent ou absent.
Je voulais parler, avec peu de mots, de cette question de l’apparition-disparition, de la présence-absence. Celui ou celle qui s’en va, revient-il ? C’est une question centrale dans la vie d’un tout-petit. Comment « la chose absente » peut continuer d’exister dans l’imaginaire de l’enfant, appui à la sécurité affective.
C’est un processus intérieur invisible : comment le raconter sans l’expliciter ? La confrontation entre le texte et les images permet de jouer avec les implicites.
Merlito c’est une présence chantante, une musique à travers les notes flûtées du chant du merle, auquel répond le questionnement joueur ou inquiet de l’enfant :
Merlito, où es-tu ? Je t’entends !
Il l’attend, le guette, se demande où il est quand il n’est pas là, tout en poursuivant ses jeux pour déjouer l’attente.
Je suis contente de travailler avec Anne Leloup (mon éditrice), dont je suis les éditions depuis longtemps. Sa ligne est exigeante, et elle publie des livres illustrés singuliers en direction des adultes. La couture orange pour la reliure de Merlito me plaît beaucoup.
C’est votre tout premier album jeunesse, comment est né ce projet ?
Cela faisait plus de deux ans que j’avais ce projet en tête et que j’y pensais beaucoup. Il s’est élaboré silencieusement. J’ai pris des notes durant tout ce temps, je pensais à sa construction, des images me venaient… Il est né de plusieurs éléments. D’une histoire avec un petit merle, que l’on avait quasiment apprivoisé, et de la place qu’a pris cette présence (Tiens ! Où est-il en ce moment ? Dans le jardin d’à côté ? Parti ? Reviendra-t-il ?). Par ailleurs, le chant du merle à la tombée de la nuit me bouleverse. On touche là au sacré peut-être, à une forme de transcendance… La musique c’est un langage très puissant émotionnellement (on peut ne pas parler la même langue et tout à coup se rejoindre, être émus à l’unisson à la simple écoute d’une musique). À la même période, dans une crèche où j’intervenais, un petit garçon était lui focalisé sur la présence — absence d’un chat, qui traversait de temps à autre le jardin de la crèche. Il est arrivé qu’il m’interpelle, en désignant par la baie vitrée le jardin déserté : « chat, chat ». Tous ces ingrédients se sont agrégés pour faire récit. Le premier confinement est arrivé… Je n’avais plus de travail, je me suis attelée à ce projet tous les jours du matin au soir… ce qui m’a aidée à supporter cette succession de jours, enfermée dans l’espace de mon appartement.
Avez-vous commencé par les dessins ou par l’histoire ?
C’est un agencement entre les deux, texte et images se sont articulés et travaillés ensemble. D’une manière générale, je n’écris pas un texte d’abord que j’illustrerais ensuite ou l’inverse.
Pour ce projet, qui était donc « là » depuis un bon bout de temps, j’ai d’abord cherché à donner un visage au petit garçon — inspiré d’un enfant de mon entourage. Je savais que je voulais en passer par du papier découpé pour le visage. J’ai aussi très vite commencé à faire vivre le merle sur le papier, par des petites recherches. Dans un cahier, parallèlement à mes recherches sur papier, je prenais des notes : associations d’idées, liens, croquis rapides… La narration (texte et image) s’est ainsi élaborée et construite progressivement. Je ne fais pas de chemin de fer préalable, définitif, je laisse une grande place à l’imprévu, aux accidents. La structure est là mais elle est mobile, souple, elle s’agence, se ré-agence tout au long du processus. Chaque nouveau dessin peut faire bouger « les lignes », déplacer un peu les choses. Ce qui s’est imposé rapidement c’est le rythme de l’apparition / disparition sur deux double page successives, depuis le retour à la maison jusqu’au coucher de l’enfant, avec des moments où l’enfant fait exister autrement Merlito. En parallèle, j’ai cherché la musique du texte, avec ces alternances du « voir / ne plus voir / entendre / ne plus entendre ». Cette musique du texte se cherchait pendant que je dessinais.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Pour Merlito : Gouache, encre, monotypes… Techniques mixtes. J’ai travaillé le collage, à partir de papiers texturés que je fabrique.
Le collage n’est pas la technique qui parle le plus du mouvement (ce qui est quand même le propos du livre, avec le merle qui apparaît, disparaît subrepticement, fffrrrrr dans un battement d’ailes), mais c’est ce qui s’est imposé. A contrario, je dirais que le côté « image un peu figée » du collage parle d’empreinte et de permanence, ce qui est finalement, aussi, le propos du livre : la trace, ce qui reste et s’imprime dans la psyché, une fois la chose disparue.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Initialement j’ai une formation littéraire. Après mon bac j’hésitais entre une école d’art et la littérature, j’étais entre les deux (entre le texte et l’image finalement…). Beaucoup de choses m’intéressaient. J’ai opté pour un cursus littéraire. J’ai travaillé un an au Cameroun, comme graphiste au Centre Culturel français de Yaoundé. Au retour, le « hasard » m’a amenée à croiser l’association Lire à Paris et A.C.C.E.S. Puis j’ai travaillé avec de nombreux partenaires. Je suis lectrice et formatrice depuis plus de 20 ans. En 2011, j’ai repris un cycle d’études à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, dans l’atelier d’Anne Quévy et de Bruno Goosse. Pendant 6 ans j’ai fait des AR entre Paris et BXL, tout en continuant à travailler comme lectrice dans les structures petite enfance. Ces années de formation, de construction ont été intenses, vives, enthousiasmantes : des années de travail, de recherches, de rencontres, extrêmement stimulantes. J’ai beaucoup appris.
Vous êtes également formatrice : cela a-t-il une influence sur votre travail de création ?
Je suis pétrie de littérature jeunesse. J’ai à la fois un regard critique sur les albums, au niveau du rapport texte-image, de leur qualité littéraire et plastique, mais aussi une oreille. Dans mon métier de lectrice, je suis très attachée à la musique de la langue : lire les textes à voix haute, c’est entendre leur musique, leur prosodie, leur ligne mélodique. Ce qui influence aussi mon travail, sans aucun doute, c’est le côtoiement constant des jeunes enfants : je me sens souvent en connivence et en résonance avec eux, je les observe, je suis à l’écoute. Avec ceux de mon entourage je joue beaucoup, en m’ajustant à leur mouvement. Je pars de ce qu’eux amènent : la création est là aussi, dans ce qui s’invente dans la relation à l’autre, dans les rebonds, tout en lui permettant d’être dans son propre mouvement. C’est un dialogue fécond et créatif.
Pour en revenir au livre d’images, ce qui me passionne c’est l’articulation de ce double langage, texte et image, et tout ce qui se joue dans l’entre-deux, « ce qui est là potentiellement mais n’est pas dit ». Les implicites. C’est un formidable réservoir pour la pensée, un espace de jeu incroyable.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Je n’avais pas ou peu de livres enfant (je n’ai pas eu la chance d’être un « bébé lecteur »). J’ai le souvenir d’un album avec 3 tigres, qui finissaient en crêpes après s’être transformés en huile pour avoir tourné à toute vitesse autour d’un arbre… finalement mangés par l’enfant qui avait trouvé cette ruse pour leur échapper. Cette histoire m’avait fait une très forte impression ! Par la suite j’ai dévoré les Tintin, les Gaston Lagaffe, Boule et Bill. Et puis il y a eu la Bibliothèque Verte (Oui Oui…), la bibliothèque Rose… Une de mes grands-mères m’a aussi offert des Jules Verne. Et puis vers 14 ans, cela a été la révélation : j’ai trouvé dans Les souffrances du jeune Werther, Les confessions d’un enfant du siècle, Les rêveries du promeneur solitaire, Le lys dans la vallée, etc., une consolation à mes maux d’adolescente tourmentée. Et puis il y a eu la découverte de livres qui m’ont paru sulfureux et transgressifs, comme Septentrion de Louis Calaferte. Pendant des années, j’ai beaucoup lu.
Deux auteurs ont pris le dessus : Marguerite Duras et Nathalie Sarraute (cette façon de faire vivre la voix intérieure, le bégaiement, le soliloque intérieur résonnait beaucoup). Plus tard la poésie, là aussi, bam, grande découverte, avec la liberté et la diversité des écritures — et ce que je sens de la présence du corps de façon sous-jacente (quand je lis, j’entends que ça court, que ça s’accélère ou que ça ralentit… souffle, rythme, il y a vraiment quelque chose d’organique dans l’écriture et la langue poétique), cela m’intéresse beaucoup. Antoine Emaz, André Du Bouchet, James Sacré, Guillevic, Jacottet, Valérie Rouzeau…
Travaillez-vous sur d’autres projets actuellement ?
C’est un peu comme Merlito, je suis traversée par plusieurs idées, c’est en chantier, mais j’ai peu d’espace et de temps pour m’y mettre concrètement en ce moment. Cela s’élabore souterrainement sans doute. J’ai aussi plusieurs projets, dont deux qui me tiennent très à cœur, parmi ceux réalisés aux Beaux-Arts, que j’aimerais proposer.
Bibliographie jeunesse :
- Merlito, texte et illustration, Esperluète (2021).
En vacances avec… Olivier Latyk
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte ce qu’iel veut me faire découvrir. On ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’iel veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Olivier Latyk que nous partons ! Allez, en route !
Albums
- Chien Bleu, Nadja, L’école des loisirs
- La mer et lui, Henri Meunier et Régis Lejonc, Notari
- This is Edinburgh, Miroslav Sasek, Universe Publishing
- L’imagier des gens, Blexbolex, Albin Michel Jeunesse
- ABC3D, Marion Bataille, Albin Michel Jeunesse
- D’autres vies que la mienne, Emmanuel Carrère
- Le point d’orgue, Nicholson Baker
- Nouvelles orientales, Marguerite Yourcenar
- Immortelle randonnée, Jean-Christophe Rufin
- Eldorado, Laurent Gaudé
Films
- Tous les matins du monde, Alain Corneau
- The Sopranos, David Chase
- Itinéraire d’un enfant gâté, Claude Lelouch
- Dikkenek, Olivier Van Hoofstadt
- Le Mari de la coiffeuse, Patrice Leconte
CD
- The Queen is dead, The Smiths
- Six suites pour violoncelle, Bach, Peter Wispelwey
- Libertango, Astor Piazzolla
- Asteria, la nuit étoilée, Yardani Torres Maiani
- L’un de nous, Albin de la Simone
5 artistes
- Alfred Sisley
- Sébastien Barrier
- Clémentine Mélois
- Eugène Delacroix, ses carnets.
- Charb
- En cuisine avec Alain Passard, Christophe Blain
- Come Prima, Alfred
- Le journal d’un ingénu, Spirou, Emile Bravo
- Gérard, Mathieu Sapin
- The Far Side Gallery, Gary Larson
Lieux
- Édimbourg, le Firth of Forth
- Le cap Gris-nez
- Le mémorial des martyrs de la déportation, sur l’île de la Cité
- L’entrée du vieux Port de Marseille (par le mer)
- La tour des Opies, dans les Alpilles
Olivier Latyk est illustrateur, dans son dernier album La maîtresse mal réveillée (sorti chez Père Castor) il illustre un texte d’Anne-Claire Lévêque dans lequel on rencontre une institutrice qui fait tout ce qu’elle peut pour ne pas aller à l’école…
Bibliographie (sélective) :
- La maîtresse mal réveillée, illustration d’un texte d’Anne-Claire Lévêque, Père Castor (2022).
- Série Le buveur d’encre, illustration de textes d’Éric Sanvoisin, Nathan (2011-2022).
- Après la pluie, illustration d’un texte de Gwendoline Raisson, Père Castor (2021).
- La très grande aventure, illustration d’un texte d’Anne Cortey, Grasset (2021).
- Siam au fil de l’eau, illustration d’un texte de Johan Farjot et Arnaud Thorette, Père Castor (2020).
- N’est pas singe qui veut, illustration d’un texte de Marc Cantin, Flammarion (2020).
- La soupe aux cailloux, illustration d’un texte de Robert Giraud (2018).
- Le grand livre animé de la mythologie Grecque, illustration d’un texte de Juliette Vinci, Tourbillon (2018).
- Mowgli de la jungle, illustration d’un texte de Michel Laporte (d’après Rudyard Kipling), Père Castor (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Le grand livre animé de l’espace, illustration d’un texte d’Anne-Sophie Baumann, Tourbillon (2016).
- Le magicien d’Oz, illustration d’un texte de Michel Laporte (d’après L. Frank Baum), Père Castor (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Série Éliott, illustration de textes de Françoise de Guibert, Gallimard Jeunesse (2014-2016), que nous avons chroniquée ici, là, ici et là.
- Cendrillon, illustration d’un texte d’Élodie Fondacci, Gautier Languereau (2016).
- Le merveilleux voyage de Nils Holgersson, illustration d’un texte de Kochka d’après Selma Lagerlöf, Père Castor (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Série Yoki, textes et illustrations, Actes Sud Junior (2014-2015), que nous avons chroniqué ici.
- Cache-cache des grosses bêtes et Cache-cache des petites bêtes, illustration de textes de Christel Denolle, Nathan (2014), que nous avons chroniqué ici.
- En voiture ! Mes premiers pas sur la route, illustration d’un texte de Christelle Huet-Gomez, De la Martinière Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- La merveilleuse légende de Saint Nicolas, illustration d’un texte de Corinne Albaut et Sylvie Pierre, Actes Sud Junior (2013), que nous avons chroniqué ici.
- L’imagier de la couleur, coécrit avec Corinne Albaut et Jean-François Alexandre et illustrations, Naïve (2013), que nous avons chroniqué ici.
- La petite Louise, ses voyages et son accordéon, illustration d’un texte de Marc Perrone et Marie-Odile Chantran, Actes Sud Junior (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Contemimes : comptines à mimer et chanter, illustration d’un texte de Corinne Albaut, Naïve (2011), que nous avons chroniqué ici.
- La vie merveilleuse de la princesse Olga, illustration d’un texte d’Olivier Ka, Éditions l’édune (2009), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Olivier Latyk sur son site https://olivierlatyk.com et sur son compte Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !