Aujourd’hui, je vous propose de tout savoir sur l’illustratrice Gabrielle Berger qui vient de sortir un très joli livre sur Nelly Bly chez Gallimard Jeunesse, puis j’ai proposé à Nadine Brun-Cosme, dont les romans Corps à cœur et La courbe de tes yeux sont sortis il y a peu, de nous livrer ses coups de cœur et coup de gueule.
L’interview du mercredi : Gabrielle Berger
Vous venez d’illustrer un bel ouvrage sur Nelly Bly, pouvez-vous nous parler de cet album ?
C’est un album qui fait partie de la très jolie collection « Les Grandes vies » de Gallimard jeunesse.
Adapté à un jeune public et très bien documenté, chaque ouvrage fait le portrait d’une personne qui a marqué l’Histoire.
À chaque fois que je disais que je travaillais sur Nellie Bly, on m’a répondu : « Nellie qui !? »
Et pourtant elle a marqué l’Histoire ! Même si elle n’est pas (encore) très connue en France…
Cette Américaine de la fin du XIXe est une pionnière du journalisme d’investigation, elle n’hésitait pas à s’infiltrer avec beaucoup de volonté et de courage, dans des milieux très durs (des usines, un asile…) pour dénoncer dans des articles virulents la dureté de la vie, en particulier celle des femmes, liée à l’inégalité des classes sociales et des genres.
Et ses articles ont eu un véritable impact sur la société de l’époque et ont entraîné des changements.
En plus de son sens aigu de la justice, elle était très débrouillarde, elle a su tirer profit de la révolution industrielle. Dans un monde où la technologie était dominée par les hommes, elle savait parfaitement user de tous ces nouveaux modes de communication, de transports… c’est ce qui lui a d’ailleurs permis d’organiser un tour du monde qu’elle a réalisé seule en 72 jours, pour le frisson de l’aventure mais aussi pour prouver qu’une femme pouvait le faire !
Féministe avant l’heure, Nellie Bly mérite d’être mise en lumière.
Ce que Jean-Michel Billoud (l’auteur) a, je pense, très bien fait dans ce petit condensé de sa vie et je me suis vraiment sentie honorée d’illustrer son histoire.
Concernant mon travail, pour être en phase avec la collection, ma gamme colorée était limitée à trois couleurs principales (un rose, en référence à son surnom « Pinky », un bleu et un ocre) et aux mélanges de ces trois couleurs. Et je devais mêler lignes graphiques et aplats. C’était des conditions inédites pour moi mais c’était au final très ludique et le petit format de ce livre m’a beaucoup plu.
J’ai essayé de rendre Nellie la plus virevoltante possible mais je me suis aussi beaucoup attachée à rendre l’ambiance de son époque vrombissante car les combats qu’elle a menés y sont intimement liés.
Avez-vous effectué des recherches pour ce livre ?
Oui on peut dire ça.
J’ai lu ses propres récits, Le tour du monde en 72 jours et 10 jours dans un asile ainsi que sa récente adaptation en bande dessinée (de Virginie Ollagnier et Carole Maurel), je recommande d’ailleurs la lecture de ces deux derniers pour les grands qui s’intéressent au sujet !
Et l’équipe de Gallimard m’avait fait une liste de ressources utiles.
Mais avant de débuter chaque projet je crée toujours une banque d’image sur Pinterest où je réunis ce qui m’inspire (illustrations, photos, peintures, extraits de films…) que ce soit pour la composition, les couleurs, un détail, une architecture, savoir comment dessiner une chaise… et que j’alimente jusqu’à la fin. Pour Nellie j’ai dû rassembler 500 références environ (et le tout en vrac car j’aime bien avoir tout sous les yeux pour rebondir d’une idée à l’autre).
L’avantage c’est que Nellie a vécu en plein essor de la photographie, j’avais des photos d’elle, des gens qu’elle a rencontrés, des lieux qu’elle a visités… le train, les machines, les objets du quotidien dans le livre ont été soigneusement sélectionnés pour éviter les anachronismes (je veux savoir si vous en trouvez !)
J’ai aussi accordé beaucoup d’importance aux polices d’écritures qui sont présentes sur plein d’éléments du livre car ça fait partie intégrante de l’univers du journal et donc de la vie de Nellie, mais ça donne aussi un code très « 1900 ».
Un autre élément central ça a été les couvertures originelles des livres de Jules Verne, ça entrait forcément dans le thème et ça m’a inspiré plusieurs compositions et motifs.
Sinon au moindre doute sur un élément, Jean-Michel était toujours là pour me répondre avec une parfaite exactitude !
Parlez-nous de votre parcours
J’ai fait des études en cinéma d’animation 2D. Mais l’illustration m’attirait aussi beaucoup pour la liberté créatrice que ça offrait, ce qui comptait pour moi de toute façon c’était de raconter en image une histoire. En sortant de l’école, j’ai démarché et tâtonné dans ces deux domaines mais c’est l’illustration qui l’emporte pour l’instant grâce à de chouettes opportunités.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
Avec mes études j’ai pris l’habitude de travailler en numérique, j’utilise Photoshop sur une grande tablette graphique. Je passe rarement par le papier c’est seulement lorsque j’ai des blocages que j’y reviens pour faire des croquis…
Comment choisissez-vous vos projets ?
Pour l’instant j’ai eu de la chance on ne m’a proposé que des projets qui m’ont plu ! J’aime pouvoir créer des univers assez riches et qu’il y ait de la matière à travailler, j’aime aussi varier, changer complètement de thème… J’ai été particulièrement enthousiasmée quand on m’a proposé Nellie Bly, car c’était mon premier personnage principal féminin et quelle femme ! En plus j’avais déjà flashé sur elle grâce à Pénélope Bagieu, je ne pouvais pas dire non.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Petite j’ai été biberonnée à Claude Ponti, Solotareff, Nadja, Arnold Lobel… il y a eu Le petit Nicolas, les Roald Dhal…
Adolescente j’ai lu des classiques, mais j’avalais les Marie-Aude Murail, Moka, Susie Morgenstern, Malika Ferdjouk… une vraie fidèle de l’école des loisirs !
J’aimais aussi beaucoup les romans policiers, j’avais un faible pour ceux d’Anne Perry, « so british », qui donnait envie de se lover sous un plaid avec une tasse de thé.
Est-ce qu’il y a un conte ou une histoire que vous rêvez d’illustrer ?
J’ai déjà illustré trois adaptations de contes mythologiques et deux biographies, en ce moment je rêve plus d’une histoire rien qu’à moi… avec de l’onirisme… les géants… de la tendresse.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je travaille sur un recueil d’histoires chez Fleurus éditions pour les un peu plus petits avec beaucoup d’animaux. Je suis en train de puiser tout ce que je peux dans ma réserve de mignon.
Bibliographie :
- Nelly Bly, illustration d’un texte de Jean-Michel Billioud, Gallimard Jeunesse (2021).
- Les princes poètes, illustration d’un texte de Constance Félix, Faton Jeunesse (2021).
- Mozart, illustration d’un texte de Béatrice Fontanel, Gallimard Jeunesse (2020).
- Rostam, illustration d’un texte de Léopold Roy, Aleph (2019).
- Le roi des singes, illustration d’un texte d’Emmanuelle Lê, Aleph (2018), que nous avons chroniqué ici.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Nadine Brun-Cosme
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Nadine Brun-Cosme qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Écrire en littérature jeunesse, c’est précisément une histoire de coups de cœur, de multiples déflagrations intimes. Tant de coups de cœur qu’il est difficile de n’en dire qu’un.
Coup de cœur pour l’intelligence de certains livres. Pour une apparente simplicité et pour une évidence. Petit bleu et petit jaune. L’évoquer à des enfants, à des adolescents, et soudain tout s’anime : Les yeux brillent les mains battent les jambes balancent, joie du corps tout entier à ce souvenir, car les livres nous remuent, n’est-ce pas, de la tête aux pieds.
Coup de cœur pour la modestie de ce monde, où la joie de la rencontre estompe les rudesses constantes du métier.
Coup de cœur pour la subtilité des lecteurs, pour ces mots fondateurs : — Moi, je n’aime pas lire, je n’ai jamais aimé mais celui-là, celui-là…
Coup de cœur pour de grands éditeurs découvreurs, de grands auteurs qui ne travaillent qu’en littérature jeunesse et font mentir cette idée que cette littérature n’en serait pas une. Qui citer tant il y en aurait ? Premiers mots de Cassandre, de Rascal, Amanda Cochon, d’Arnold Lobel, et son œuf qui la regarde de son gros œil jaune, et tout le travail de cet auteur merveilleux, coup de cœur inaugural pour le trait de Philippe Dumas, faussement inachevé, l’histoire d’Odette, l’égarement de Victor Hugo, la délicatesse des gestes d’enfants avec Nougatine, le subtil passage du croquis sur le vif à la narration.
Coup de cœur enfin pour la profondeur des questions posées dans les rencontres, par les grands, par les petits, qui me renvoient la balle et me donnent à toucher davantage encore à la profondeur de ce que je fais.
Coup de cœur pour ces critiques qui ont lu, et pris le temps, et compris parfois plus encore que nous,
Coup de cœur pour ces éditeurs qui entendent une magie de la langue, pour cette éditrice qui à son réveil, dit soudain « corps à cœur, ce serait bien, ce titre », et dont on sait brusquement qu’elle aussi, mange, dort, respire avec notre texte en devenir.
« Corps à cœur », puis « la courbe de tes yeux » : Tenir le livre après le texte. Quelle joie ! Cœur battant.
Coup de cœur pour ces petits qui par la rencontre au cœur de l’écriture, nous grandissent.
Coups de cœur enfin pour tout ce qui respecte l’intelligence de l’enfance, l’intelligence de la recherche, l’intelligence du risque, l’éternelle découverte qu’est Écrire.
Écrire en jeunesse, ce serait : Apprendre à marcher en équilibre, réapprendre sans cesse à dire, à tracer, à marcher, à s’émouvoir.
« Écrire, est une affaire de devenir, toujours inachevé, toujours en train de se faire », écrit Gilles Deleuze.
Écrire. À cœur battant.
Nadine Brun-Cosme est autrice. Elle vient de sortir deux romans, Corps à cœur à L’école des loisirs et La courbe de tes yeux chez Courtes et Longues.
Bibliographie sélective :
- Corps à cœur, roman, L’école des loisirs (2021).
- La courbe de tes yeux, roman, Courtes et Longues (2021).
- Le voyage de Grand Ours, album illustré par Sébastien Pelon, ABC Melody (2020), que nous avons chroniqué ici.
- À la recherche du petit chaperon rouge, album illustré par Maurèen Poignonec, Little Urban (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Le Troisième Fils de Monsieur John, album illustré par Christine Davenier, Sarbacane (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Papa à grands pas, album illustré par Aurélie Guillerey, Nathan (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Moi devant, album illustré par Olivier Tallec, Père Castor (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Loup ne sait pas s’habiller, album illustré par Nathalie Choux, Père Castor (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Tous sauf un, album illustré par Anne-Isabelle Le Touzé, Points de suspension (2009), que nous avons chroniqué ici.
- Série Grand Loup & Petit Loup, albums illustré par Olivier Tallec, Père Castor (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Trop c’est trop !, album illustré par Philippe Jalbert, Points de suspension (2008), que nous avons chroniqué ici.
- Le prince amoureux, album illustré par Mayalen Goust, Lito (2004), que nous avons chroniqué ici.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !