Une fois par mois, avec Véronique Soulé, nous mettons en avant deux invité·es lié·es par un livre. Cette fois-ci… elles sont même trois ! C’est Anna et Ogre-mangeur-de-mots, sorti chez Biscoto qui nous a fait réunir ses éditrices Julie et Catherine Staebler et son illustratrice Eloïse Rey. Les premières sont mes invitées pour l’interview, la seconde répond à la rubrique (sonore !) Du tac au tac de Véronique Soulé.
L’interview du mercredi : Julie et Catherine Staebler
Biscoto, qu’est-ce que c’est ?
Biscoto, c’est à la fois une maison d’édition, et un journal éponyme né en 2013, de l’envie toute simple de travailler collectivement autour d’un projet jeunesse qui s’inscrive dans le temps. La forme périodique s’est imposée naturellement. Nous étions alors étudiantes en illustration et fréquentions le milieu de la bande dessinée alternative en tant qu’amatrices. Constatant la diversité des formes de bandes dessinées à l’adresse d’un lectorat adulte, la variété éditoriale des livres jeunesse et le foisonnement de la presse indépendante (on lisait la revue Article 11 à l’époque, dont la direction artistique était assurée par Formes Vives, qui nous a beaucoup marquées), il nous semblait qu’il y avait un espace aux lisières de tout cela pour créer un journal de bande dessinée alternative, pour les enfants !
Le choix du support journal et du format tabloïd est arrivé très tôt dans nos envies et choix éditoriaux, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que nous voulions créer un objet accessible au plus grand nombre et que ce support permet un prix de vente relativement bas et démocratique. Ensuite, c’est un support qu’on affectionne beaucoup pour son côté simple et sans prétention, un journal comme pour les grands, mais pour les enfants, c’est une idée rigolote. On peut lire un journal avec de la confiture sur les doigts, on peut le plier, on peut écrire dessus, le laisser dans le bus pour son voisin, c’est très bien, ce n’est pas un objet de collection, ce qui est important c’est qu’il soit lu. Tout ça dédramatise la lecture. Et puis ça fait de grandes pages pour mettre de grandes images, pour laisser champ libre au dessin et y plonger. En 2017, nous commençons à publier des livres, au départ issus des feuilletons que l’on trouve chaque mois dans le journal, et très vite d’autres projets originaux. Aujourd’hui, nous publions environ sept livres par an, bandes dessinées et albums.
D’où vient ce nom « Biscoto » ?
D’un intense brainstorming où sont passés plein de noms farfelus, et finalement c’est celui-ci qui a été choisi ! Pour dire vrai, au départ c’est surtout une intuition, un mot d’enfant marrant. On aimait l’idée du mot d’argot parce que ça dit d’emblée quelque chose de la maison d’édition, qu’on ne se prend pas au sérieux et qu’on s’adresse aux enfants. Et en même temps, les biscotos, c’est les biceps, et on est une équipe de filles « qui en a » (on peut y voir une référence au We can do it !).
Quelle est la ligne éditoriale de la maison ?
Évidemment, c’est une maison d’édition avant tout jeunesse. En plus des onze numéros de Biscoto, on publie environ quatre bandes dessinées et trois albums par an, c’est très peu, et chaque projet est accompagné et porté avec beaucoup de soin. Dans le journal, il y a une liberté très grande offerte aux auteurices, on propose un thème et un format de rubrique, et ensuite on a vraiment envie de mettre en avant un travail d’artiste, assez loin de l’idée de la pure commande. On travaille beaucoup avec de jeunes auteurices qui publient parfois pour la première fois dans les pages de Biscoto. Biscoto c’est un peu le laboratoire d’expérimentation de la maison d’édition, un espace où on peut essayer des choses, prendre des risques, tant graphiquement que dans les récits, parce que la forme courte et périodique permet cela. On pense que cela se ressent dans la maison d’édition, il y a une collection de bandes dessinées, qui fait collection par son format (17×23 cm), mais au sein de laquelle sont accueillis tous types de styles graphiques, des récits d’aventures comme Violette et les lunettes magiques d’Émilie Clarke ou des bandes dessinées plus poétiques comme Le beau chat de Laurie Agusti, des paginations diverses (de 48 à 136 pages…). Et puis il y a tous les formats libres, des tout petits albums imprimés en Pantone comme Le Lisou d’Anne Vaudrey et Guillaume Chauchat, ou les grands albums paysages de Charlotte Lemaire (Les chaussures lentes et le curieux chemin). Biscoto, c’est aussi une maison d’édition qui se définit depuis sa création comme portant des valeurs féministes et antiracistes, qui veille à lutter contre les stéréotypes oppressifs. Ça se traduit par exemple par la façon dont on aborde les questions de représentation, de rôles attribués aux personnages, mais aussi par certaines rubriques dans le journal qui posent de façon ouverte des questions de société.
Je sais que la question n’est pas facile, mais si vous deviez me citer quelques albums qui ont marqué votre maison d’édition…
Le fait de publier très peu de livres par an est un choix pour pouvoir tous les porter avec la même attention… Nous passons tellement de temps à travailler avec leurs auteurices sur chaque projet, à essayer d’en faire le meilleur livre possible, qu’il rencontre ses lecteurices, qu’ils sont tous très importants pour nous.
Qui compose l’équipe et quel est le rôle de chacun·e ?
Le journal a été fondé en 2013 par Suzanne Arhex et Julie Staebler, Suzanne a quitté la maison d’édition fin 2015 et poursuit une carrière d’autrice. Depuis, Biscoto c’est principalement les sœurs Staebler, Catherine et Julie 🙂 Nous travaillons à quatre mains, entre Toulouse et Angoulême, on s’occupe de tout à deux, même si Catherine a plus de responsabilités dans le journal. On travaille aussi avec Benoît Preteseille, œil-de-lynx par qui passent pour relecture tous les numéros de Biscoto et tous les livres, aucune pétouille ne lui résiste !
Depuis plusieurs années, Stéphanie Vernet, de l’agence The Picture Book Agency, s’occupe des cessions de droits à l’étranger. Et on collabore depuis quelques mois avec Inès Bahans et Lucie Fournier des Ardentes pour les relations presse et librairie ! Sans oublier Aurore Mettens qui nous accompagne depuis quelques mois pour un volontariat en service civique, et qui crée une version pour personnes en situation de déficience visuelle de l’album Pangu, la naissance du monde d’Amélie Carpentier.
Parlons un peu de vous deux, racontez-nous votre parcours.
Julie : J’ai étudié dans l’atelier Illustration de la Hear (anciennement Arts décos de Strasbourg), l’édition y était particulièrement encouragée, par Guillaume Dégé notamment, qui m’a transmis, ainsi qu’à de nombreux·ses camarades un goût et une attention particulière et précise à l’endroit de l’objet du livre, pour le fait de réaliser des maquettes, créer des collectifs, des fanzines… C’était un atelier très fertile où apprendre et expérimenter des formes diverses. Depuis, je me suis installée à Angoulême, et en plus de mon activité d’éditrice, j’enseigne les littératures graphiques à l’École européenne supérieure de l’image.
Catherine : J’ai étudié à l’IsdaT (Beaux-arts de Toulouse) dans l’option design graphique, et j’ai toujours apprécié travailler en équipe, l’entraide et les regards croisés sur les travaux les uns des autres. Travailler avec Julie, entre sœurs, c’est une chance incroyable et si je ne suis pas à l’origine de Biscoto, j’avais un petit strip mensuel dès le début. J’ai toujours eu un faible pour l’illustration didactique et toutes les formes qu’elle peut prendre et c’est aussi pour cela que je fais la rubrique Dégourdir ses doigts dans le journal ! Dans ma pratique de graphiste en dehors de Biscoto, c’est toujours un plaisir de lier illustration et design, et parfois vulgarisation scientifique.
Quelles étaient vos lectures d’enfants, d’adolescentes ?
Avec un père critique de bandes dessinées et une mère critique d’albums jeunesse et bibliothécaire, on a lu un paquet de livres, la maison en regorgeait, on a aussi beaucoup fréquenté la bibliothèque de notre village, lire était une de nos activités principales, on lisait de tout, et beaucoup. On a été marquées par le journal Grodada et par les disques du Roi des Papas et aujourd’hui encore on garde un goût tout particulier pour les histoires idiotes et les blagues de prout. Parmi les livres qui nous ont beaucoup marquées, il y a tous les albums de la Famille Souris, les contes russes illustrés par Bilibine, Marion Duval, Tom-Tom et Nana, la Famille Malaussène, Philémon…
Éloïse Rey est notre seconde invitée, parlez-nous de votre travail avec elle et des deux livres que vous avez faits ensemble.
Anna qui chante et Anna et Ogre-mangeur-de-mots font partie d’une même série de contes féministes écrits par Sonia Paoloni et mis en image par Éloïse Rey. Anna qui chante est un projet que Sonia nous a proposé en 2017, un des tout premiers albums que nous avons publiés, et dont l’écriture et le propos nous touchent particulièrement. Très vite, le travail d’Éloïse, qui dessinait déjà tous les mois dans le journal, nous semblait une évidence pour illustrer ce conte. Éloïse a un grand talent pour accompagner des textes, elle déplace et ajoute beaucoup de choses dans les images, avec une grande puissance symbolique. Lorsque Sonia nous a proposé Anna et Ogre-mangeur-de-mots, évidemment nous avons demandé à Éloïse si elle souhaitait le lire et travailler avec nous !
Quelques mots sur les prochains ouvrages que vous proposez ?
Fin avril sortira Tout le monde a un teckel sauf moi de Charlotte Pollet. C’est son premier album illustré, un grand livre beau et drôle, qui nous plonge dans les pensées d’Assa, une petite fille passionnée de teckels. Charlotte a déjà publié chez Biscoto Pipistrelli (2019) et Pipistrelli T.2, Alpha, Bêta, Plectrude ! (2021).
Et début mai, Les Vieux skis de Mamie, une bande dessinée de Léo-Louis Honoré, sept aventures fantastiques complètement déjantées, un voyage à la rencontre d’une famille extraordinaire et haute en couleur, rejoindra la collection de bandes dessinées.
À la rentrée nous publierons C’est pas tous les jours facile, un nouvel album de Élisabeth Corblin (Attention au départ, 2018). L’année extraordinaire, un feuilleton de Ariane Hugues qui paraît en ce moment dans Biscoto sortira sous forme d’album fin septembre, et un nouvel album de Charlotte Lemaire se prépare pour l’automne !
Quelques livres Biscoto que nous avons chroniqués :
- L’atelier des bidouillages, de Catherine Staebler (2020), que nous avons chroniqué ici.
- William, la longue-vue et le tigre, de Charlotte Lemaire (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Attention au départ, d’Élisabeth Corblin (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Les gros bras de Polka, d’Émilie Gleason (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Super cool, de Tanja Esch (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Anna qui chante, texte de Sonia Paoloni, illustré par Eloïse Rey (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le Meilleurissime Repaire de la Terre, d’Oriane Lassus (2017), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Biscoto sur leur site et sur Instagram.
Du tac au tac… Éloïse Rey
Une fois par mois, Véronique Soulé (de l’émission Écoute, il y a un éléphant dans le jardin) nous propose une capsule sonore, Du tac au tac. Avec la complicité du comédien Lionel Chenail, elle pose des questions (im)pertinentes à un·e invité·e que nous avons déjà reçu·e sur La mare aux mots. Aujourd’hui, c’est Éloïse Rey qui répond à ses questions.
Éloïse Rey est illustratrice. Son dernier ouvrage, Anna et Ogre-mangeur-de-mots est sorti en 2022 aux éditions Biscoto, on y retrouve l’héroïne d’Anna qui chante.
Bibliographie :
- Anna et Ogre-mangeur-de-mots, illustration d’un texte de Sonia Paoloni, Biscoto (2022).
- Anna qui chante, illustration d’un texte de Sonia Paoloni, Biscoto (2017), que nous avons chroniqué ici.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !