Les éditions Delachaux et Niestlé fêtent cette année leurs 140 ans ! J’avais envie de mettre une nouvelle fois un coup de projecteur sur cette belle maison d’édition. Je vous propose donc une interview de Michel Larrieu, auteur de plusieurs livres chez Delachaux et Niestlé, mais qui en est également le directeur éditorial, puis j’ai proposé à Gilles Macagno, qui vient d’y sortir Mauvaise réputation, de nous livrer ses coup de cœur et coup de gueule.
L’interview du mercredi : Michel Larrieu
Delachaux et Niestlé fête cette année ses 140 ans. Comment présenteriez-vous cette belle maison d’édition à quelqu’un qui ne la connaît pas ?
140 ans, c’est en effet une longévité exceptionnelle pour une maison d’édition.
C’est 140 ans au service de la nature, c’est-à-dire les sciences de la Terre, la zoologie, la botanique, l’environnement et l’écologie. Mais aussi, parce que la nature, ce n’est pas seulement du sauvage, la biodiversité domestique ou encore le jardinage.
C’est 140 ans au service du livre nature, et le livre nature sous toutes ses formes : les guides de références, bien sûr, notamment le célébrissime Guide Ornitho mais aussi des ouvrages pratiques pour le grand public, des beaux-livres, des ouvrages de texte et même de la BD.
C’est 140 ans au service de tous les lecteurs : les experts comme les néophytes, les adultes comme les enfants et c’est aussi 140 ans d’auteurs, d’illustrateurs et de photographes spécialisés et de terrain, qui sont toutes des personnes passionnées et donc passionnantes.
Enfin 140 ans, c’est un catalogue de 450 références.
La « partie jeunesse » est réapparue il y a peu dans le catalogue, comment est venue l’idée de ce retour ?
On le sait peu, mais Delachaux a une grande tradition d’éditeur jeunesse. Dès le début, la maison a consacré un quart de son catalogue à la jeunesse en général et au livre jeunesse nature en particulier. Pour ne prendre qu’un exemple, Delachaux fut l’éditeur francophone de certaines aventures de Bambi de Félix Salten. Cette époque est révolue, mais son esprit perdure. Avec le retour en force de la Jeunesse aujourd’hui, Delachaux ne fait que perpétuer l’ADN de sa marque qui passe par la transmission générationnelle des savoirs et le développement de la conscience écologique chez les plus jeunes.
Parlons un peu de vous, quel est votre rôle au sein de la maison ?
Je suis directeur éditorial ; je suis donc chargé d’établir le programme éditorial de la maison en cherchant des sujets et des auteurs, aussi bien en France qu’à l’étranger. Le plus difficile est de maintenir un certain équilibre dans les thématiques, les tirages et les prix de vente.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai d’abord enseigné le français tout en travaillant comme free-lance pour l’édition. À l’époque, il n’existait pas de formation spécifique comme aujourd’hui pour rentrer dans l’édition. Dès qu’une opportunité s’est présentée, j’ai quitté l’éducation nationale pour l’édition scientifique puis universitaire. Après plusieurs maisons, je suis rentré en 1999 chez Delachaux et Niestlé comme éditeur.
En plus d’être directeur éditorial, vous êtes également auteur. Parlez-nous de votre dernier album La véritable histoire de Jérémy l’escargot.
C’est une fiction illustrée suivie d’un documentaire. Mais l’histoire n’est pas si fictive que cela puisqu’elle raconte la véritable histoire de Jérémy l’escargot.
Car, vous ne le connaissez peut-être pas, mais Jérémy a bel et bien existé. On peut même dire qu’il est une superstar. Jérémy a fait les plateaux télé et la une de la presse écrite. Jérémy possède son propre compte twitter. Jérémy a sa fiche Wikipédia et des chanteurs ont même écrit des chansons à sa gloire.
Pourquoi ce succès ? Tout simplement parce que Jérémy est senestre. C’est-à-dire qu’il porte sa coquille à gauche et qu’elle s’enroule donc dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Et ça, c’est extrêmement rare. Suffisamment rare pour intéresser le monde scientifique.
Jérémy vient d’un tas de compost du sud-ouest de Londres et le scientifique qui l’a récupéré souhaitait savoir si cette anomalie était héréditaire, donc génétique, ou s’il s’agissait juste d’une malformation.
Seulement voilà. Un escargot senestre ne peut s’accoupler qu’avec un autre escargot senestre. Chez les escargots, il n’y a ni père ni mère, mais pour se reproduire, il faut tourner dans le même sens. C’est comme ça, c’est physiologique.
Alors, trouver un autre escargot senestre s’avérait mission impossible. On parle d’un individu sur un million. D’où l’idée d’utiliser les réseaux sociaux et d’ouvrir un compte twitter au nom de Jérémy. Eh bien, aussi incroyable que cela puisse paraître, ça a marché !
Deux prétendants : un Anglais et un Espagnol ont répondu à l’annonce. Malheureusement, lorsqu’ils se sont rencontrés, ils se sont reproduits ensemble et n’ont même pas capté Jérémy ! Quoi qu’il en soit, les 179 descendants qu’ils ont eus étaient tous dextres et ce que l’on cherchait à prouver le fut.
Mais l’histoire ne se termine pas si mal pour Jérémy. Car, lorsque le bel hidalgo est retourné chez lui, Jérémy a tout de même fini par attirer l’attention de son congénère britannique. Et ils ont eu 56 petits. Et là encore, tous étaient dextres.
Ça, c’est la véritable histoire. Bien sûr, elle est un peu édulcorée pour les enfants et elle est surtout prétexte à la découverte d’une espèce qui fait partie du bestiaire enfantin. Et il y a beaucoup à dire sur l’escargot qui est un animal assez fascinant… même lorsqu’il porte à droite.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Enfant, je n’étais pas un grand lecteur. Quant à l’adolescence, c’était encore pire ! Ce sont plutôt les films conférences de Connaissance du Monde auxquels mes parents m’emmenaient régulièrement à la Salle Pleyel qui ont développé mon goût pour le vivant et permis de côtoyer déjà tout petit et sans le savoir des auteurs Delachaux comme les Kraft !
Parlez-nous des dernières nouveautés sorties chez Delachaux et Niestlé et ce qu’on découvrira à la rentrée
Il est difficile de parler de tout, nous éditons plus de 50 nouveautés par an.
Pour le premier semestre, je retiendrai Montaigne, Kant et mon chien d’Audrey Jougla. C’est un récit : l’auteur raconte l’histoire qu’elle a vécue avec son chien durant 13 ans et, de ce point de vue, c’est très poignant. Mais c’est aussi un manuel de philosophie appliquée, puisque l’auteur qui est professeur de philo va nous décrire au fur et à mesure du récit les vertus philosophiques que le chien, à son insu bien sûr, va nous enseigner comme l’honnêteté, la joie, la fidélité, le pardon ou l’amour inconditionnel.
Au second semestre, ce sont surtout les beaux-livres qui sont mis en avant et il y en aura cette année pour tous les goûts : Objectif Mars de Piers Bizony, une histoire illustrée de la conquête martienne, Renards de Pierre Rigaux, un récit narratif qui nous plonge dans la vie intime de ces mal-aimés, Requins de François Serano et Pascal Kobeh, un plaidoyer écrit à deux mains par un océanographe passionné et un photographe sous-marin d’excellence, Jardins d’ici et d’ailleurs de Jean-Philippe Teyssier et Sylvie Steinbach réalisé à partir de la série à succès éponyme d’ARTE, ou encore Forêts d’Hervé Le Bouler qui donne à réfléchir sur un écosystème en pleine mutation.
Enfin, je ne peux pas passer sous silence Traces, un bel album jeunesse de Sophie Tavert Macian et Hugo Frassetto, issu d’un court métrage d’animation réalisé en sable coloré qui imagine la conception des fresques de la grotte Chauvet.
Et des livres en tant qu’auteur à sortir ?
Oui. En septembre sortira Sushi aime les Souris, un album Jeunesse réalisé avec ma fille Léa. C’est une histoire de souris qui prolifèrent en l’absence de chats. Elle nous permet d’expliquer aux enfants de manière extrêmement simple et ludique le phénomène de la prédation et notamment son rôle dans le maintien des équilibres écologiques. Nous sommes chez Delachaux, nous n’oublions jamais le côté pédagogique !
Bibliographie :
- La véritable histoire de Jérémy l’escargot, album illustré par Duairak Padungvichean, Delachaux et Niestlé (2022).
- Pourquoi la coccinelle porte bonheur, album illustré par Bruno Heitz, Delachaux et Niestlé (2021).
- Les petits problèmes de la vie, album illustré par Léa Larrieu, Delachaux et Niestlé (2020).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Gilles Macagno
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Gilles Macagno qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule…
Coup de cœur
J’habite à quelques encablures de la rade de Brest, étonnante et méconnue mer intérieure de la pointe bretonne. Bordant la rade, une grande ville portuaire et militaire, des bourgs, deux fleuves côtiers drainant la campagne finistérienne et une base de sous-marins nucléaires.
Et comme seule sortie, un étroit goulet. Le fond de la rade cache aussi de nombreux restes issus des guerres : navires coulés, bombes et munitions qui, avec le temps, se dégradent de plus en plus.
Avec un tel environnement, on pourrait craindre le pire sur l’état écologique de cette rade. Et effectivement, ce n’est pas reluisant : pollutions aux métaux lourds, aux produits chimiques issus des peintures pour bateau ou de l’agriculture, pollution organique, radioactive (mais ça, c’est top secret !).
Ajoutons aussi la pêche excessive et les invasions d’espèces étrangères à cette petite mer. En particulier le petit mollusque américain : la crépidule.
Arrivée au début des années 1990, son expansion a été fulgurante. Il a rapidement couvert les fonds de la rade jusqu’à atteindre deux mille individus au mètre carré !
Mais le Breton aime sa Bretagne et la prise de conscience de ces atteintes à la nature ne cesse de s’amplifier. Des mesures sont prises de plus en plus, des règles sont édictées, des restrictions aussi (hélas) sont instaurées. Mais surtout, de plus en plus d’espèces et de secteurs sont protégés.
Et la nature, bonne fille, et surtout d’une grande résilience, revient. Ou, au moins, retrouve tant bien que mal un chemin vers un équilibre plus satisfaisant. Les crépidules ont abandonné leurs visées invasives et ont disparu de nombreux endroits. Là où elles sont encore présentes, elles ont plutôt tendance à favoriser l’installation d’autres espèces. Les quelques herbiers marins retrouvent un peu de vigueur, les bancs de maërl (des algues qui façonnent une croûte calcaire, tels des récifs coralliens) reprennent le dessus. Poissons et crustacés reviennent peu à peu.
Aujourd’hui, on croise de plus en plus facilement des dauphins dans la rade de Brest. Une baleine est même venue visiter furtivement l’endroit en 2020. Et surtout, des phoques gris sont venus s’y installer.
Le phoque gris avait disparu des côtes françaises. Depuis qu’il est protégé efficacement, on en compte plus de mille sur notre littoral. Et donc, un petit groupe vient passer une grande partie de l’année dans la rade, signe que le poisson est abondant et la vie plus riche.
La vie sauvage reprend ses quartiers, dès qu’on accepte de partager un peu d’espace. Et c’est rassurant.
Ce n’est pas le loup, aperçu il y a peu dans les monts d’Arrée, qui me contredira.
Coup de gueule
Mois de juin, un beau dimanche. Nous sortons pour une balade tranquille au soleil. Surgit une camionnette blanche d’où sortent des aboiements de chiens fous. Elle s’arrête, le conducteur sort pour nous prévenir qu’une battue au sanglier va commencer d’ici peu et il faut éviter les chemins.
Une battue ? En juin ?
« Battue administrative ! » rétorque le bonhomme.
Et peu après, une horde de camionnettes blanches et de gros 4×4 remplis de types à casquette orange et de chiens fous arrive. Elles se garent un peu n’importe où, les gars, leurs fusils, leurs trompes et leurs chiens sortent. Nous, on préfère rentrer.
Battue administrative. Une occasion d’organiser une chasse n’importe quand, de jour comme de nuit, n’importe où. Même dans votre jardin, s’il le faut !
La seule contrainte imposée aux chasseurs est d’en justifier la nécessité.
J’imagine qu’ils ont toute une liste de prétextes sous le coude : culture retournée, pieds de maïs arrachés, poulailler attaqué…
Voilà comment ces gens s’accaparent l’espace, juste pour le plaisir de tuer des bêtes sauvages. N’importe quand, n’importe où.
Il serait temps de les « réguler » sérieusement. Que tous les autres gens puissent jouir d’une nature plus sereine (rappelez-vous qu’après le confinement de 2020, le calme dans la nature avait rendu les bêtes un peu moins farouches et plus faciles à observer).
Gilles Macagno est auteur et illustrateur. Dans son dernier album, Mauvaise réputation, qui vient de paraître aux éditions Delachaux et Niestlé, il rend hommage aux animaux mal aimés.
Bibliographie sélective :
- Mauvaise réputation. Plaidoyer pour les animaux mal aimés, texte et illustrations, Delachaux et Niestlé (2022).
- Je t’aide, moi non plus. Solidarités et alliances dans le monde vivant, texte et illustrations, Delachaux et Niestlé (2020).
- Les super pouvoirs des petites bêtes, illustration d’un texte de François Lasserre, Delachaux et Niestlé (2018).
- Les pouvoirs du chat, illustration d’un texte de Anne Marie Lauras, Delachaux et Niestlé (2016).
- Le sex-appeal du crocodile, illustration d’un texte de Marc Giraud, Delachaux et Niestlé (2016).
Il participe aussi aux revues Drosophile et L’hermine vagabonde.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !