Il y a quelque temps, je vous ai parlé (à plusieurs reprises) du magnifique Qui suis-je ? sorti chez Les Grandes Personnes, j’ai eu envie d’en savoir plus sur son autrice, Claire Dé. Je vous propose donc aujourd’hui, une interview dans laquelle elle revient sur son parcours et sur son travail. Puis c’est avec le grand Benjamin Chaud que l’on a rendez-vous, on se glisse dans son atelier pour en savoir plus sur la façon dont il crée. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Claire Dé
Comment est né Qui suis-je ?, votre magnifique ouvrage sorti chez Les Grandes Personnes et comment avez-vous travaillé sur ce projet ?
Qui suis-je ? est d’abord né de mon désir de poursuivre mon travail autour de la mise en appétit visuel et de mon amour pour les fruits qui sont de magnifiques supports esthétiques à la découverte des couleurs, des formes, des textures… Il y a trois ans, j’avais fait quelques portraits serrés de mes enfants jouant avec des fruits tout en expérimentant une nouvelle gamme de couleurs : du vert, du bleu cyan, du rose, de l’orange, du violet… Et puis j’ai mis ces images de côté… Après la sortie de Compte sur tes doigts en 2016, j’ai eu envie de créer un quatrième opus de cette série tout carton autour des mains sur les aliments. Peu de temps après, j’ai eu deux propositions de résidence dans le secteur de la Petite Enfance, l’une dans le réseau des crèches de la ville de Vaulx-en-Velin, l’autre dans un Multi-Accueil à Loudun dans le département de la Vienne. J’ai commencé par photographier chez moi dans l’atelier des compositions saisonnières de fruits et de fleurs que je souhaitais mettre en dialogue avec des petites mains touchant, jouant, manipulant ces mêmes fruits… Les premières tentatives d’images en crèche au cours de petites séances d’ateliers de découverte m’ont très vite fait comprendre que tout se passait sur le visage des enfants. Parti des mains, mon travail a alors naturellement glissé vers le portrait, les expressions des enfants, leurs regards d’une incroyable présence, leur complicité, leur malice, leur gourmandise… J’ai installé un petit studio photo dans la pièce de vie des structures Petit Enfance. Je me suis fixée une règle du jeu simple : venir avec des fruits, des fonds colorés, quelques tee-shirts assortis et laisser faire la magie des choses, l’alchimie des rencontres… Dans un second temps, je me suis amusée à créer – en écho avec les visages des enfants – des masques fruits. Un prolongement qui me permettait d’enrichir le projet de l’album et de l’emmener davantage vers le jeu créatif, l’imaginaire, la fantaisie… La forme de l’album s’est imposée naturellement : le leporello avec sa longue bande de papier pliée en accordéon correspondait bien à cette idée de galerie de trombinettes et de bouilles à croquer, une façon également de dérouler la succession des images dans le temps et de donner à voir d’un seul regard, cette magnifique diversité à travers l’ensemble des portraits, comme dans un dispositif d’exposition murale. Quand je regarde l’album aujourd’hui, deux mots me viennent en tête comme une évidence : tous ensemble !
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Je trouve mon inspiration dans les émotions que peuvent me procurer les couleurs, les formes, les matières, les objets, la beauté des choses simples que je peux côtoyer au quotidien. Parfois un projet d’album naît tout simplement du désir de partager avec les futurs lecteurs, des sensations que j’ai pu éprouver, le plaisir du bon, du beau… À chaque fois que je termine un livre, je me dis : on efface tout et on recommence. Se remettre dans un état de disponibilité, faire de l’espace vide en soi est nécessaire pour créer mais c’est aussi très difficile…
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai un parcours de curieuse qui a toujours besoin de jouer, de créer, d’inventer. J’ai fait des études de littérature tout en étant une dingue d’images, d’art et de littérature jeunesse. Je crois que je suis une bricoleuse touche-à-tout. Je ne me mets pas de limite de genre. Je déteste les cases. Je pratique la photographie comme un art minimal. Produire peu mais avec justesse par rapport à ce que je recherche. J’aime les croisements, les échanges. J’ai grandi dans les années 80-90 avec l’émergence des notions d’interculturel, de métissage, la théorie du rhizome de Gilles Deleuze et Félix Guattari où tout élément peut en influencer un autre en échappant à la subordination du schéma d’organisation pyramidale. Dans ma jeunesse, j’ai travaillé avec une compagnie de théâtre d’objets, j’ai monté un festival de cinéma arabe avec des copains, j’ai créé avec une autre équipée le magazine Paris mômes, j’ai collaboré avec des grosses institutions culturelles comme le Parc de la Villette, le Centre Pompidou. J’ai monté de nombreux projets avec l’école d’art pour enfants de Blois. Depuis l’an 2000, je développe essentiellement un travail de création visuelle, d’albums et d’installation jeu qui invitent les enfants à prolonger, à enrichir, à décloisonner l’expérience de la lecture, la rencontre avec l’art et la création.
Vous avez sorti plusieurs albums chez Les Grandes Personnes, parlez-nous de cette collaboration avec ce bel éditeur…
Cette collaboration repose sur la confiance, la complicité, le respect et bien entendu un partage de valeurs autour du livre d’images. Brigitte Morel sait que les projets ont besoin de temps pour prendre forme. Je travaille mes livres de façon assez artisanale puisque je les conçois entièrement, maquette comprise. Créer un livre est pour moi un tout, forme et fond confondus. Brigitte est extrêmement vigilante sur la qualité d’impression, ce qui est primordial pour un travail photographique comme le mien où la couleur joue un rôle essentiel. La photogravure, le choix du papier, le format du livre, rien n’est jamais laissé au hasard.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai beaucoup lu enfant même si les livres n’étaient pas nombreux. De tout. Des albums, des encyclopédies, des romans. Certains ont été déterminants dans ma formation esthétique et ma passion pour cet incroyable objet qu’est le livre. Je pense en particulier à 13824 jeux de couleurs, de formes et de mots de Patrick Raynaud que mes parents m’ont offert en 1973 alors que j’avais 5 ans. Un choc. Adolescente j’ai découvert des auteurs qui ont changé ma vie comme Virginia Woolf, James Joyce, Marguerite Duras, Yasushi Inoue, Kenji Miazawa… Je suis venue à Paris à 20 ans pour faire des études. Je crois que Paris et sa vie culturelle m’ont davantage formée que les études. Je pouvais enfin nourrir mon besoin d’art, d’images et de sensations en tout genre. Passer de la Goutte d’Or aux quartiers chinois, des grands musées aux rues populaires. Des galeries d’art aux grandes librairies. Actuellement, ma bibliothèque de quartier est fermée pour travaux. J’en suis très frustrée car j’aime aller chercher des livres comme on va s’acheter une baguette à la boulangerie. J’ai une passion pour les livres avec des images, que ce soit des livres d’art, d’architectures, de graphismes, de photographies, d’histoire…
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
J’ai plusieurs marmites sur le feu… L’une sera sans doute prête avant les autres. Laquelle, je l’ignore. Il y est toutefois toujours question de nourritures, de mets colorés, de drôles de mélanges et d’un soupçon de pop attitude.
Bibliographie :
- Qui suis-je ?, éditions des Grandes Personnes (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Compte sur tes doigts, éditions des Grandes Personnes (2016).
- Devine à quoi on joue ?, éditions des Grandes Personnes (2015).
- Imagine, c’est tout blanc, éditions des Grandes Personnes (2015).
- Arti Show, éditions des Grandes Personnes (2010).
- À toi de jouer !, éditions des Grandes Personnes (2010).
- Ouvre les yeux !, éditions des Grandes Personnes (2006).
- Big Bang Book, éditions des Grandes Personnes (2005).
Retrouvez Claire Dé sur son site : https://claire-de.fr.
Quand je crée… Benjamin Chaud
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Benjamin Chaud qui nous parle de quand il crée.
J’aime beaucoup travailler au café peut-être parce que c’est un espace public, libre (je n’y paie pas de loyer) que je n’y suis pas dérangé par internet ou que je n’ai pas besoin d’être « rentable » comme à mon atelier. Tous les matins je passe une heure au café à faire semblant d’être occupé, à dessiner n’importe quoi, les gens qui passent, une bêtise qui me fait rigoler tout seul. C’est pas grave si c’est moche, bête ou raté, et petit à petit il y a des idées pour les livres sur lesquels je travaille qui arrivent, je les laisse venir toutes seules il ne faut pas que je les brusque, il faut qu’elles restent un peu sauvages, folles et ce n’est qu’ensuite à mon atelier que je les redessine au propre. En général il faut que je dessine mille fois la même chose avant de trouver un dessin qui me plaît, j’ai besoin de beaucoup rater.
J’ai vraiment l’impression d’être incapable d’avoir une idée valable à mon atelier et j’en suis tellement convaincu que c’est devenu vrai. Une fois à mon atelier (je ne peux pas passer toute la journée au café) je réponds à mes emails, je mets la musique ou la radio, je ne dessine jamais en silence c’est un travail trop solitaire ça m’oppresserait, et je dessine proprement les idées que j’ai eues au café. J’écoute toujours à peu près les même vieux trucs : Tom Waits, Nick Cave, Belle & Sebastian, Arcade Fire ou Nina Simone, ça ne me gène pas que ce soit toujours la même musique, c’est plus un problème pour ceux qui partagent mon atelier avec moi.
Et pour maintenir le lien je bois un truc chaud, thé ou café.
Je travaille aussi très bien dans le train parce que c’est impossible d’en sortir et je n’ai que ça à faire.
Pour écrire c’est différent, je ne parle pas tant de la narration que je construis en dessinant au café une quantité incroyable de chemins de fer, mais du choix des mots pour le texte de l’histoire. Là j’ai besoin de marcher et de faire rouler les phrases dans ma tête comme des petits sacs de cailloux jusqu’à trouver la bonne formule, le bon agencement et souvent après je l’oublie car bien sûr je marche sans carnet, c’est donc un processus assez long.
Et à la toute fin il y a le combat avec la couleur qui n’est jamais facile, que j’essaie de faire avec la même ouverture aux accidents que pour les crayonnés, j’essaie de me surprendre moi-même, de trouver de nouvelles choses, de prendre des risques fous (quitte à devoir recommencer un dessin) tout en respectant les dates de rendu car à ce moment-là je suis déjà un peu en retard. Et je me rends compte que malgré tous ces efforts de renouvellement je fais toujours à peu près la même chose, ça me désespère un peu sur le moment, cette incapacité à ne pas être quelqu’un d’autre, mais avec le recul, je vois mon petit chemin et je me dis tant mieux, c’est souvent une lubie cette volonté de changement et c’est bien qu’il y ait un semblant de cohérence dans le travail même si c’est involontaire.
Benjamin Chaud est auteur et illustrateur.
Bibliographie sélective :
- Milo joue du tambour, illustration d’un texte d’Eva Susso, Cambourakis (2018).
- Les Petits Marsus et la grande ville, texte et illustrations, Little Urban (2018).
- Binta danse, illustration d’un texte d’Eva Susso, Cambourakis (2018).
- Pompon ours dans les bois, texte et illustrations, Hélium (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Georgia, tous mes rêves chantent, illustration d’un texte de Timothée de Fombelle, Gallimard Jeunesse musique (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Le pire anniversaire de ma vie, texte et illustrations, Hélium (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La vérité sur mes incroyables vacances, illustration d’un texte de Davide Cali, Hélium (2016).
- Je suis en retard à l’école parce que…, illustration d’un texte de Davide Cali, Hélium (2015), que nous avons chroniqué ici.
- La fée Coquillette et la maison du bonheur, illustration d’un texte de Didier Lévy, Albin Michel Jeunesse (2014).
- Poupoupidours, texte et illustrations, Hélium (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Je n’ai pas fait mes devoirs parce que…, illustration d’un texte de Davide Cali, Hélium (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le petit Roro : Mon tout premier dico, illustration d’un texte de Corinne Dreyfuss, Actes Sud Junior (2012).
- Coquillages et petit ours, texte et illustrations, Hélium (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Une chanson d’ours, texte et illustrations, Hélium (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Pomelo grandit, illustration d’un texte de Romana Badescu, Albin Michel Jeunesse (2010).
- Adieu chaussette, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Le gros camion qui pue de mon papa, illustration d’un texte de Romana Badescu, Albin Michel Jeunesse (2006).
- Pomelo est bien sous son pissenlit, illustration d’un texte de Romana Badescu, Albin Michel Jeunesse (2002).
Retrouvez Benjamin Chaud sur le site de La charte.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !