Je suivais le travail de Stéphanie Marchal avant même qu’elle ait publié son premier livre (c’est ça la magie des réseaux sociaux). Elle vient de sortir deux ouvrages coup sur coup (un livre pour les tout-petits et le premier tome d’une nouvelle collection), c’était l’occasion idéale de l’interviewer. Ensuite, c’est l’auteur Philippe Nessmann qui nous livre ses coups de cœur et coups de gueule, ils sont en lien avec le salon de Montreuil qui s’ouvre aujourd’hui. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Stéphanie Marchal
Parlez-nous de votre parcours ?
Après des études à l’Esad de Reims et un DNSEP en poche (Diplôme National Supérieur d’expression plastique) j’ai été intervenante en arts plastiques en milieu scolaire et associatif, puis infographiste. Je me suis ensuite lancée dans l’enseignement à l’Éducation Nationale, aventure que j’ai menée pendant 10 ans. Puis, à un tournant de ma vie personnelle, c’était l’heure d’une course contre le temps où il fallait que « j’ose », que j’ose faire ce que j’avais toujours voulu faire. Dessiner pour la littérature jeunesse. J’ai quitté l’Éducation Nationale du jour au lendemain et me suis mise au travail avec la sensation enivrante qu’enfin j’étais en train de dessiner mon propre chemin !
Vous venez d’illustrer Maman, papa, comment vous êtes-vous rencontrés ? sorti dans la collection Les grandes questions de Sofia, pouvez-vous nous en dire plus sur cette nouvelle collection Père Castor ?
C’est une collection de 3 albums avec Thierry Lenain, j’espère que d’autres suivront ! Le premier titre Maman, Papa comment vous vous êtes rencontrés ? questionne sur les hasards qui conduisent à notre propre existence. Sofia, l’héroïne, est une enfant curieuse et pleine de gratitude, elle remercie chaque personne ayant concouru à son existence en lui faisant un dessin. Les titres abordent tous des questions existentielles. Le deuxième, fraîchement illustré, a pour sujet l’origine de l’humanité et notre monde et le troisième traite de la mort.
Le texte d’un autre album, cette fois-ci un cartonné, que vous avez illustré (Je suis moi) est également signé Thierry Lenain. Parlez-nous de cette collaboration ?
Thierry et moi ne nous sommes jamais rencontrés. À nos rythmes respectifs nous apprenons à nous connaitre en échangeant au téléphone, de longues conversations sur les thèmes de prédilection de ses textes — qui m’émeuvent particulièrement puisqu’il touche souvent à l’essence même de l’être, dans sa difficulté à être, dans ses fragilités, ses failles… – et sur ma vision de l’illustration pour la littérature jeunesse, sur mes dessins… Il est fréquent que j’émette des questions, de l’enthousiasme, des doutes parfois sur une phrase, le choix d’un mot dans le texte… Ce n’est pas qu’une collaboration, c’est un véritable travail de co-création où mes ressentis et les siens ont une place importante.
Parlez-nous de la façon dont vous illustrez les livres, de vos techniques et de vos choix d’utiliser telle ou telle technique pour un livre (par exemple les deux albums cités précédemment sont très différents)
Évidemment, Il me semble essentiel de m’adapter à l’âge de l’enfant à qui s’adresse le livre. Je suis moi s’adresse aux nouveau-nés, il a fallu que je trouve un moyen graphique qui, à la fois, invite l’adulte-lecteur à la lenteur, aux chuchotements et soit dans un registre identifiable par un enfant en bas âge. De ce fait, j’ai travaillé sur des agencements de formes pleines, vives, chaudes, presque abstraites parfois. Dans mes autres albums, destinés à des enfants de 4 ans et plus, alors je peux utiliser ma technique de prédilection, le dessin au trait avec un critérium pointe 0,7 mm. Il est très important que la pointe soit fine, car je dessine très vite, spontanément et je veux entendre ce tracé jeté, écouter la mine se briser si la pression de ma main est trop importante. Je n’utilise volontairement pas de gomme et m’exerce à la maladresse, tenir mon crayon de la main gauche alors que je suis droitière, j’aime bien ce qui dérape ! Je peux recommencer 20 fois la même figure jusqu’à ce qu’elle dégage l’émotion recherchée, puisque c’est le sentiment qui m’importe. Ce que je ressens, et ce que je voudrais donner, par hasard, avec poésie peut-être.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai lu beaucoup de Martine évidemment, et me souviens avoir dévoré les tomes de Fantomette, mais pas plus de souvenirs… Plus tard, mes choix de lecture se sont orientés vers des auteurs comme Zweig ou Hesse, dont certains récits initiatiques m’ont beaucoup marqué, la quête d’identité est toujours une de mes thématiques favorites !
Y-a-t-il actuellement des illustrateur·trice·s dont le travail vous touche, vous émeut ou même vous inspire particulièrement ?
Y en a des tas, mais là tout de suite je pense a l’univers de Laura Carlin, aux compositions de Catherine Sobral, j’ai une profonde attirance pour le travail de Dominique Goblet aussi !
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Je vais attaquer un nouveau projet avec Thierry Lenain, un texte aux allures de chanson soufflée, dont je ne dirai rien de plus ! Je réfléchis aussi comment traiter un texte d’Agnès de Lestrade, on s’est rencontrées récemment et avons envie l’une et l’autre de nous réunir dans un album !
Bibliographie sélective :
- Je suis moi, illustration d’un texte de Thierry Lenain, Père Castor (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Maman, Papa, comment vous vous êtes rencontrés ?, illustration d’un texte de Thierry Lenain, Père Castor (2019).
- J’adore pas trop, illustration d’un texte d’Arnaud Tiercelin, Kilowatt (2018), que nous avons chroniqué ici.
- On a volé les poules de clémentine !, illustration d’un texte d’Elise Fontenaille, Oskar (2018).
- Le facteur doudou, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, Frimousse (2017).
- Les petits nuages noirs, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, Le Diplodocus (2017).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Philippe Nessmann
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Philippe Nessmann qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Mon coup de cœur et mon coup de gueule portent le même nom : le salon du livre jeunesse de Montreuil. Lorsque j’y suis invité par un éditeur pour y dédicacer mes livres, je ressens toujours le même déchirement.
En tant que lecteur, Montreuil est un plaisir : pendant six jours, c’est la plus grande librairie jeunesse de France. Les grands éditeurs sont là, avec leurs auteurs et leurs illustrateurs vedettes, venus de toute la France. Il faut parfois faire la queue, mais quel bonheur d’avoir un livre dédicacé et personnalisé à offrir à Noël ! À côté des grands éditeurs, il y a les « petits », ceux qui ne produisent que quelques nouveautés par an. Leurs livres sont rarement présents sur les étalages des librairies, où l’on ne voit que le sommet de l’iceberg, les ouvrages les plus vendeurs. Mais leur production est souvent plus originale et audacieuse dans leur forme. Pour ceux qui aiment les livres pour la jeunesse, Montreuil est une incroyable caverne d’Ali Baba, pleine de trésors cachés.
En tant qu’auteur, le salon de Montreuil est pour moi une souffrance. En y entrant, je suis toujours frappé par la démesure du lieu : un immense hall surchauffé rempli de dizaines de stands couverts de livres, parcouru par des hordes d’écoliers à la recherche de marque-pages ou de posters gratuits. Et à l’étage, re-belotte ! Montreuil est un hypermarché du livre, où l’on ressent de plein fouet la surproduction de l’édition française. Et lorsque je m’assieds au stand de mon éditeur pour dédicacer le livre sur lequel j’ai travaillé pendant des mois, je ne peux m’empêcher de me sentir déprimé. J’écris un ou deux ouvrages par an, alors qu’il parait annuellement en France plus de dix mille nouveautés jeunesse. Dans cet océan de livres, quelle chance ma petite goutte d’eau a-t-elle de survivre ? Et de me faire vivre ? Quasiment aucune… Alors à quoi bon s’entêter à écrire de nouveaux livres ? Tout n’a-t-il pas déjà été fait ?
En ressortant du Salon du livre de Montreuil, le lecteur que je suis est heureux, mais il faut toujours plusieurs jours à l’auteur pour se remettre au travail et se convaincre que — malgré tout — il fait un métier utile qui lui permettra — peut-être — de survivre jusqu’à la prochaine édition du salon de Montreuil.
Bibliographie :
- 365 activités scientifiques et illusions d’optique pour toute l’année, avec Charline Zeitoun, illustré par Peter Allen, Fleurus (2019).
- Il y avait une maison, illustré par Camille Nicolazzi, La Cabane Bleue (2019).
- Mission Apollo 13, Flammarion (2019).
- Le tour du monde de Magellan, Flammarion (2019).
- Dans tous les sens, documentaire illustré par Régis Lejonc et Célestin, Seuil Jeunesse (2019).
- Éternité – Demain, tous immortels ?, documentaire, De la Martinière Jeunesse (2018).
- Mission Mars, roman/documentaire illustré par Dofresh, Fleurus (2017).
- Dans la nuit de Pompéi, roman, Flammarion jeunesse (2017).
- Le village aux mille roses, album, texte et illustrations, Flammarion jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- La fée de Verdun, roman, Flammarion (2016).
- 50 inventions qui ont fait le monde, documentaire, Flammarion jeunesse (2016).
- Quand j’étais petit (c’était avant), documentaire, Palette… (2014), que nous avons chroniqué ici.
- art & sciences, documentaire, Palette… (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Le livre de tous les jumeaux (petits et grands), documentaire illustré par Bruno Gibert, Le Baron Perché (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Toutes les réponses aux questions que vous ne vous êtes jamais posées, album illustré par Nathalie Choux, Palette… (2005), que nous avons chroniqué ici.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !