Pour notre premier mercredi de l’année j’ai choisi d’inviter un éditeur que j’ai découvert en 2019 (année de la création de la maison) et un auteur-illustrateur que j’aime particulièrement. On commence donc avec l’éditeur Romain Galand, de la jeune et prometteuse maison Kinaye, puis le piquant et drôle Philippe Jalbert nous livrera ses coups de cœur et coups de gueule. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Romain Galand
Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Romain Galand, j’ai 32 ans et je suis le fondateur des Éditions Kinaye, une maison d’édition spécialisée dans le comics jeunesse et young adult qui a tout juste un an !
Parlez-nous de votre parcours ?
Je ne suis pas passé par la filière classique des masters d’édition : j’ai fait une école de commerce un peu spéciale, l’ICN, qui a pour originalité d’avoir un campus et des cours communs avec une école d’art et une école d’ingénieur. J’ai fait mes premiers pas dans l’édition au cours d’atelier avec des étudiants-artistes et j’ai même publié 2 fanzines avec eux qui ont été sélectionnés à Angoulême. Ça m’a permis de travailler à l’éditorial chez Glénat pendant un an puis de partir aux États-Unis chez Valiant Entertainment, pour travailler au marketing et à l’édito. C’est là-bas que j’ai découvert la richesse du comics jeunesse et j’ai fondé ma maison d’édition à mon retour en France.
Justement, pourquoi avez-vous créé cette maison d’édition ?
Comme je viens de le dire, j’ai découvert le comics jeunesse lorsque je travaillais aux États-Unis, en 2015. Les parutions pour la jeunesse commençaient tout juste à apparaître là-bas, avec les succès d’Adventure Time et Lumberjanes en 2012. J’ai découvert une incroyable diversité de titres, très colorés et dynamiques, mais aussi avec des thèmes intéressants et modernes et j’ai trouvé que ce type de parutions pouvait constituer une bonne alternative à la BD jeunesse franco-belge.
D’où est venu le nom ?
Kinaye vient de la contraction phonétique des 2 mots anglais « keen eye », littéralement cela veut dire « œil avisé ».
Pouvez-vous définir la ligne éditoriale ?
La ligne éditoriale se base sur une ligne graphique très colorée, proche des mondes de l’animation ou du jeu vidéo avec des thèmes modernes, qui se veulent plus libres que dans la BD franco-belge et une mise en valeur de la diversité au niveau des héros et héroïnes des albums choisis.
Dès les premières BD que vous avez publiées, l’antisexisme et des personnes LGBTQI+ sont mis en avant, c’est important pour vous de parler de ces thématiques ?
Oui, c’est très important car ce type de parutions s’adressent avant tout aux enfants et donc mon rôle est aussi de faire de la prévention et de lutter contre le sexisme et l’homophobie. Pour ce qui est de la diversité des héro·ïne·s proposé·e·s et de la présence de personnages LGBTQI+, c’est quelque chose qui arrive de manière naturelle lorsqu’on s’attache à publier des histoires différentes et originales. Il y a tellement peu d’histoires publiées avec ce type de personnages qu’il y a encore énormément à explorer !
Pouvez-vous nous parler de certaines collections ou de titres marquants pour cette jeune maison ?
Nous avons 2 collections : Fresh Kids, une collection de BD d’aventure/action aux graphismes très proches du monde de l’animation, et Graphic Kids, une collection de romans graphiques jeunesse avec des thèmes plus intimistes et/ou plus profonds que dans l’autre collection.
Notre gros succès de l’année, c’est Diesel, la quête épique d’une jeune fille imparfaite mais attachante dans un monde steampunk !
Qui compose l’équipe et quel est votre rôle à vous ?
Je suis seul à être salarié dans la maison d’édition mais j’ai la chance d’être accompagné par beaucoup de freelances : pour le lettrage, la traduction mais aussi au niveau éditorial et marketing. Ce qui est bien, c’est que du coup je touche un peu à tout : c’est moi qui fais tous les choix éditoriaux de la maison d’édition, qui m’occupe des réseaux sociaux, de la relation avec la presse et les librairies et aussi de l’aspect commercial de la société… bref, je n’ai pas le temps de m’ennuyer !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
J’ai toujours été un gros lecteur de BD. Enfant, j’aimais beaucoup Soda de Tome & Gazzotti, c’était super moderne pour l’époque. Adolescent, je me suis un plus focalisé sur les comics (c’était tout nouveau à l’époque) avec notamment les titres d’Alan Moore comme From Hell ou Watchmen.
Quelques mots sur ce que l’on va découvrir chez Kinaye en 2020 ?
Le 24 janvier, il y a le premier tome d’une série qui me tient particulièrement à cœur : Le garçon Sorcière : c’est l’histoire d’un jeune garçon, Aster, qui veut étudier la sorcellerie alors que c’est réservé aux filles dans sa famille. C’est un peu l’histoire de Billy Elliott mais dans un univers magique à la Harry Potter ! C’est un album qui traite des stéréotypes de genre et du poids des traditions familiales… on peut aussi y lire en filigrane la difficulté de faire son coming out. Tout ça mélangé à une histoire d’enlèvements, de monstres et d’amitié. Et le 14 février, Misfit City T1, un hommage aux Goonies, modernisé avec une équipe de filles très diverses et un peu de magie. Les autrices voulaient l’histoire aussi inclusive que possible !
Bibliographie :
- Diesel T1, Tyson Hesse (2019).
- L’Assistante de la Baba Yaga, Marika McCoola & Emily Carroll (2019).
- Space Battle Lunchtime 1 & 2, Natalie Riess (2019).
- Bounty, Kurtis Wiebe & Mindy Lee (2019).
- Volcano Trash, Ben Sears (2019).
- Garbage Night, Jen Lee (2019).
- Chasma Knights, Boya Sun & Kate Reed Petty (2019).
- The Storyteller : Dragons, collectif (2019).
- The Storyteller : Sorcières, collectif (2019).
- The World, Valentin Seiche (2019).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Philippe Jalbert
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Philippe Jalbert qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
« La mare aux mots » me demande un coup de gueule et un coup de cœur.
Que dire ? Comment faire ?
Est-ce que j’applique la fameuse méthode du renforcement positif en commençant par le « coup de cœur » ou au contraire je termine par celui-ci afin de donner une note optimiste à ces quelques mots ?
Ayant peu d’appétence pour tout ce qui est « méthode » je vais donc faire l’inverse des préconisations managériales en démarrant par mon coup de gueule.
Mais lequel choisir ?
Il suffit d’écouter n’importe quel bulletin d’information pour avoir l’embarras du choix. Prenons le journal de 7 heures ce matin sur France Culture : la réforme des retraites, Gabriel Matzneff, les incendies en Australie, le chômage, Carlos Ghosn qui fuit la justice dans un avion privé, les vœux d’Emmanuel Macron… À quoi bon parler d’un de ces sujets, certains le font tous les jours, sur les différents plateaux télé ou radio. D’ailleurs ce sont toujours un peu les mêmes qu’on entend, non ? Le voilà mon coup de gueule.
Nous, les auteurs illustrateurs travaillant pour la jeunesse n’avons aucun accès aux médias majeurs. Personne pour parler de nos livres ou nous inviter à en discuter si on excepte « L’as-tu lu mon p’tit loup » sur France Inter et Yétili sur France télé (mais il y a-t-il encore de nouveaux épisodes de cette chouette série ?). Il y a bien sûr les traditionnelles émissions la semaine précédant le salon de Montreuil invitant toujours les trois ou quatre mêmes auteurs dont tout le monde connait déjà le travail, bien leur en fasse, mais quid des autres ? Rien.
On voit de temps en temps de nouvelles tentatives surgir comme le Libé des auteurs jeunesse en novembre dernier (c’est super mais qui lit Libé aujourd’hui ? À part flatter l’ego de la profession ça n’a pas du faire découvrir ni un livre ni un auteur à qui que ce soit ou presque) ou une programmation spécialement jeunesse de « La dispute » d’Arnaud Laporte. Tiens, parlons un peu de cette émission que je trouve habituellement de belle tenue avec un regard critique souvent très intéressant m’amenant à de nouvelles pistes de lecture. Pour l’émission littérature jeunesse ils ont invité trois journalistes de la chaîne (que je trouve habituellement brillantes) mais à mon grand étonnement, aucune n’a su dépasser son expérience de jeune maman. Absence de références, absence de mise en perspective mais terrible présence de lieux communs. Quelle déception ! Arnaud Laporte si un jour vous lisez ce « coup de gueule », faites appel à des critiques qui ont une vraie culture dans leur domaine comme vous le faites si bien pour les autres disciplines auxquelles la notre n’a pourtant rien à envier. Mais pour s’en rendre compte, c’est comme tout, il faut s’y intéresser sérieusement et non pas une fois par an…
Comme j’ai été trop long pour mon coup de gueule je vais faire bref pour mon coup de cœur : Richard Wagamese.
Lâchez tout ce que vous faites et foncez dans une librairie pour acheter ses livres.
Chanceux sont ceux qui ne les ont pas encore lus, je vous envie…
Philippe Jalbert est auteur et illustrateur.
Bibliographie sélective :
- Les animaux de la forêt, texte et illustrations, Seuil Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Le dico de la vie sans écran, texte et illustrations, Larousse (2019).
- La grosse grève, texte et illustrations, Gautier Languereau (2019).
- Petits mensonges faits à ma fille, texte et illustrations, Michel Laffon (2019).
- Et…, texte et illustrations, Gautier Languereau (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Les animaux de la savane, texte et illustrations, Seuil Jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Les animaux de compagnie, texte et illustrations, Seuil Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Qui c’est qui décide ?, texte et illustrations, Gautier Languereau (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le dictionnaire des grosses bêtises à ne surtout pas faire !, texte et illustrations, Larousse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Super Lion et Super Lion & les couleurs, textes et illustrations, Gautier Languereau (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Un secret de petit cochon, texte et illustrations, Seuil jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Le dictionnaire des bonnes manières, textes et illustrations, Larousse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Java mon éléphant à moi, avec Paulson, Gautier Languereau (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Java ma maison à moi, illustration d’un texte de Paulson, Gautier Languereau (2014).
- Pourquoi je ne suis plus ton amoureux ?, texte et illustrations, Seuil Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La déclaration, texte et illustration, Seuil Jeunesse (2014) que nous avons chroniqué ici.
- Podlapin, texte illustré par Cécile Hudrisier, Thierry Magnier (2010).
- Les quatre saisons du loup, texte et illustrations, Belin Jeunesse (2010).
- Trop, c’est trop !, illustration d’un texte de Nadine Brun-Cosme, Points de suspension (2008), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Philippe Jalbert sur son site : http://www.philippejalbert.com.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Bonjour, j’aimais déjà beaucoup Philippe Jalbert mais après son coup de gueule, encore plus ! C’est si………. juste !