Pour fêter notre anniversaire nous avons demandé à des gens qui comptent beaucoup pour La mare aux mots de prendre notre place toute cette semaine.
Gabriel et Marianne
Quitte à prendre le contrôle de cette chronique, je vais mettre un pied hors de la mare pour m’éloigner – juste un peu – de la littérature jeunesse. Pas tant que ça, puisque les deux livres dont je vais vous parler traitent bel et bien de littérature dite “jeunesse”, mais s’adressent à un lectorat adulte. Car nous sommes assez nombreux à aimer cette littérature pour vouloir, parfois, mieux la connaître. Voici donc deux ouvrages, pas forcément faciles, mais essentiels.
La littérature pour ados est-elle sulfureuse, dangereuse, voire un outil de perversion d’une jeunesse innocente ? La jeunesse est-elle innocente ? Qui sont les âmes vertueuses qui se proposent de la guider loin des œuvres jugées néfastes à sa santé mentale ? Que répondre à ceux qui usent d’arguments retors pour instiller le soupçon à l’égard des auteurs qui daignent s’adresser aux plus jeunes ? Et quel est le rôle de cette littérature, sa spécificité, sa définition ?
Paru en 2008, l’ouvrage d’Annie Rolland revient avec talent et intelligence sur les attaques portées, depuis longtemps et de façon chronique, contre la littérature jeunesse (ici pour adolescents). Que l’on repense aux récentes polémiques qui ont ému le monde du livre jeunesse et l’on verra que ce livre reste d’une actualité brûlante. En plus d’être passionnant, il démonte la rhétorique des défenseurs autoproclamés de la vertu, les remet à leur place de censeurs, et rend à la littérature pour ados (et par extension pour la jeunesse) sa place dans la littérature tout court. Celle du “seul média capable de tordre le cou à la pression d’une norme sociale qui augmente, (…) parce qu’elle ne ment pas”. Enthousiasmant et formidablement motivant pour continuer à lire et à écrire pour la jeunesse.
En quoi les contes, aujourd’hui si souvent décriés pour leur vision “sexiste” des rôles masculin-féminin, restent une forme unique, alliant intime et universel, et continuent de toucher enfants et adultes par-delà les époques ? Sans doute que les contes n’assènent pas toujours – ou pas tous – les stéréotypes éculés dont Disney et ses clones font leur beurre. Les contes seraient, au contraire, le lieu privilégié d’émancipation de la femme et d’accomplissement de chaque individu. C’est en des termes parfois savants mais toujours brillants, que Marie-Louise Von Franz – disciple de C.G. Jung – s’est attachée à mettre en lumière les différentes facettes de l’âme féminine dans les contes. Puisque, rappelle-t-elle, le héros et l’héroïne de conte sont les propositions d’une esquisse demandant à « s’accomplir et se réaliser de façon concrète dans la vie de chacun ». Et c’est pour cela qu’ils me (nous) parlent encore. Un livre qui rend intelligent, et qui, par le prisme du conte, parle aussi de la vie, de l’humain, bien au-delà de son titre presque réducteur.
Qui a peur de la littérature ado ? d’Annie Rolland Éditions Thierry Magnier 17 €, 135×220 mm, 237 pages, imprimé en France, 2008. |
La femme dans les contes de fées de Marie-Louise Von Franz Albin Michel 9,20 €, 180×110 mm, 298 pages, imprimé en France, 1993 (première édition française 1979). |
Jeune quadra dynamique, La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse est née en 1975 de la volonté d’auteurs souhaitant défendre une littérature jeunesse de qualité, ainsi que leurs droits et leurs spécificités d’écrivains et de créateurs. Elle réunit aujourd’hui plus de 1300 auteurs et illustrateurs jeunesse. J’ai la chance de faire partie de ses quinze administrateurs bénévoles depuis deux ans, et pour encore une année. Elle m’a permis de penser et d’agir collectivement, dans nos métiers particulièrement solitaires et fragiles. Prosélytisme, publicité ? La Charte n’en a pas besoin et je n’ai rien à y gagner. Découvrez son action et ses membres ici et ici.
Gaël Aymon

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !