Lorsque j’ai eu envie d’écrire cette chronique, j’avais en tête l’idée qu’il fallait rappeler ce qu’il s’était passé il y a si peu de temps (les arrières grands-parents de nos enfants ont pour la plupart connu cette période… Ce n’est pas il y a 200 ans). À quelques mois des élections, je trouvais primordial de parler à nos enfants de la barbarie qui vient avec le fascisme. J’avoue m’être dit, à plusieurs moments, en lisant ces deux BD et ces trois romans que quand même, heureusement, on n’en était pas là, que ça n’arriverait plus aujourd’hui. Et mardi, alors que je préparais cette chronique, deux jeunes se sont fait agresser parce qu’ils portaient une kippa. Le devoir de mémoire est important, nos enfants doivent savoir, parce qu’il ne faut plus que ça arrive. Il ne faut plus qu’on laisse monter les extrémistes, apprendre l’Histoire est la meilleure chose à faire pour que les horreurs d’hier ne se reproduisent pas. Apprendre à nos enfants ce qu’il s’est passé c’est aussi couper l’herbe sous le pied aux négationnistes de tous poils qui voudraient leur faire croire sur certains sites que tout ça n’a pas existé. Voici donc deux BD et trois romans, pour ne pas oublier.
Irena travaille dans le ghetto de Varsovie. Nous sommes en mars 1941 et cette femme au fort caractère fait tout son possible pour aider ceux et celles qui sont enfermés là. Seulement, il y a des choses que le département d’aide sociale dans lequel elle travaille n’a pas prévu. C’est la peur au ventre pour ceux et celles qui travaillent avec elle et qu’elle entraîne dans son geste fou, qu’Irena va aller plus loin que les tâches qui lui sont confiées.
Irena a existé, elle s’appelait Irena Sendlerowa et les auteurs de la BD se sont documentés sur elle pour écrire cette magnifique série qui comptera trois volumes. Irena c’est un album extrêmement fort sur une femme qui décida un jour de sauver des enfants. Un bel album, mais parfois extrêmement dur (mais fallait-il enjoliver la réalité ou raconter ?) si bien qu’il sera peut-être nécessaire d’accompagner de jeunes enfants qui souhaiteraient le lire (car graphiquement, les plus jeunes vont être attirés).
Un album extrêmement fort sur une femme qui sauva de nombreux enfants du ghetto de Varsovie, si fort qu’on a du mal à le refermer… On attend la suite avec impatience !
Heinz, Trude, Ruth, Martin, Suzanne et Arek ont été des enfants juifs qui ont connu la guerre. Aujourd’hui, ils racontent. Leurs six témoignages rappellent la vie dans cette sombre période de l’Histoire quand on était juif. Ils racontent la persécution, les séparations, la fuite et bien d’autres choses encore.
Si Rescapés de la Shoah est, comme l’indique le communiqué de presse, illustré de façon à « dire les choses vraies, mais sans qu’elles soient insoutenables pour les jeunes lecteurs », ses illustrations seront aussi bien plus clivantes (personnellement, je trouve ça extrêmement laid). Mais il faudra aller au-delà pour ceux et celles qui comme moi seront repoussés par les dessins, car ce sont ici de vrais témoignages, forts et poignants. Chacun y raconte son enfance, puis on apprendra ce qu’il ou elle est devenu.e. On trouvera même un glossaire et des conseils lecture pour aller plus loin en fin d’ouvrage.
Un ouvrage qui nous permet de lire six témoignages d’enfance pendant la Shoah.
Ménaché Rozenbaum a fui la Pologne pour se retrouver en Belgique. Ce jeune juif va entrer dans la résistance, malheureusement il sera pris par les Allemands en possession de journaux clandestins et durant huit mois il va subir les pires tortures. Mais Ménaché a survécu, âgé de 95 ans il raconte. Il parle de son enfance, de ses ancêtres, mais surtout de la guerre.
Il faut absolument oublier les quelques maladresses de 8 mois dans les caves de la Gestapo (dans le texte et graphiquement) et lire ce témoignage fort, mais non dénué d’humour. Dans des chapitres courts, Ménaché Rozenbaum raconte : le ghetto, la résistance, la déportation, mais aussi sa vie de tailleur ou sa rencontre avec celle qui est devenue sa femme. Chaque chapitre est consacré à un sujet et se lit presque indépendamment des autres à tel point qu’il y a parfois des redites, qu’on se perd dans la chronologie, mais on a le sentiment de passer une soirée à écouter le vieil homme nous raconter sa vie, son enfance, témoigner. Et même si parfois on est un peu perdu, on est passionné par le propos, captivé par son histoire et au final on aura rencontré une personne qu’on n’est pas prêt d’oublier.
Un témoignage passionnant sur la guerre à lire comme on écouterait quelqu’un nous raconter sa vie.
Ilse commence son journal en 1938. Elle raconte sa vie, ses amies, sa famille, mais elle parle aussi de ce qui se passe autour d’elle : la nuit de cristal qui vient d’avoir lieu quand elle commence son journal, les privations de droits des juifs (d’ailleurs, elle-même n’a bientôt plus le droit d’aller à l’école) ou les persécutions. Mais bientôt, la vie d’Ilse va peut-être prendre un tournant inattendu.
J’ai fui l’Allemagne nazie est un roman passionnant et totalement original. Parce qu’il s’arrête en 1939 (même si un épilogue nous permet de faire un saut dans le temps) alors que la plupart des romans sur cette période couvrent plutôt les années suivantes, parce qu’il nous parle d’un événement peu connu (la fuite vers Cuba de 900 juifs) et l’on pourrait ajouter parce qu’il est sous forme de journal (même si ce n’est pas le premier). Voilà un roman qui va donner le goût de la lecture à ceux et celles qui ne l’ont pas, parce que le procédé du journal nous permet d’entrer en empathie tout de suite avec Ilse et qu’il permet aussi de faire en sorte que les chapitres sont courts. Parce que l’histoire est passionnante, pleine de rebondissements et qu’on ne sait pas comment ça va finir. Il est difficile de lâcher ce beau roman avant de l’avoir terminé.
Une jeune fille raconte la guerre et sa fuite, et ça donne un très beau roman.
Max vient d’avoir un poisson, il est rouge, avec un peu de jaune, il l’a appelé Auguste comme le clown au cirque qui l’a tant fait rire. L’eau du bocal fait de petites vagues quand les Allemands passent en faisant claquer leurs bottes. Max a une étoile sur ses vêtements, il la regarde briller, il aime cette étoile même si on lui a dit à l’école qu’elle puait (alors qu’elle ne sent rien, Max l’a reniflée pour vérifier). Max est un peu triste, alors que c’est son anniversaire il est emmené dans un grand stade où il y a plein de gens qui ont aussi des étoiles, du coup personne ne le lui fête.
Je termine par un énorme coup de cœur, Max et les poissons, un roman extrêmement fort et terriblement bien écrit par Sophie Adriansen. La force du roman, c’est l’écriture qui retranscrit parfaitement la voix de l’enfant, mais avec une extrême poésie et des phrases terriblement fortes (« la guerre, ça fait marcher les Allemands dans les rues et serrer fort les mains des petits garçons », « Le ciel est plein d’étoiles. Moi, avec la mienne, je suis un shérif », « les voisins disent “rafle” dans l’escalier, le mot fait le son du balai à poils secs qu’on passe sur le sol. »…). En fin d’ouvrage, quelques repères historiques.
Un roman magnifique à lire absolument, à offrir à tous les enfants à partir de 9 ans et même à leurs parents.
D’autres livres sur le sujet que nous avons chroniqué : la magnifique quatrilogie Une île trop loin, Surtout ne prends pas froid, Alex et Léon dans les camps français 1942/1943, Le royaume d’Eliousha et Les carnets de Lieneke.
À noter qu’en ce moment le Mémorial de la Shoah propose une exposition Shoah et bande dessinée. Plus d’infos.
Irena – T1 – Le Ghetto Scénario de Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël, dessin de David Evrard, couleurs de Walter Glénat dans la collection Tchô ! 14,95 €, 240×320 mm, 67 pages, imprimé en Belgique chez un imprimeur éco-responsable, 2017. |
Rescapés de la Shoah Texte de Zane Whittingham et Ryan Jones (traduit par Faustina Fiore) Flammarion 15 €, 208×289 mm, 96 pages, imprimé en Chine, 2017. |
8 mois dans les caves de la gestapo de Ménaché Rozenbaum et Jacques Sobieski Je réussi dans la collection Romans 9,90 €, 140×219 mm, 119 pages, imprimé en CE, 2014. |
J’ai fui l’Allemagne nazie, journal d’Ilse 1938-1939 de Yaël Hassan Gallimard Jeunesse dans la collection Folio Junior 4 €, 124×178 mm, 112 pages, imprimé en Espagne chez un imprimeur éco-responsable, 2015. |
Max et les poissons Texte de Sophie Adriansen, illustré par Tom Haugomat Nathan 5,20 €, 120×181 mm, 88 pages, imprimé en France chez un imprimeur éco-responsable, 2015. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Je connais trois des cinq livres présentés. Merci pour cette chronique, je me note précieusement les deux titres que je ne connais pas. Oui il est plus que jamais important d’informer les enfants sur notre histoire. Il y a tant à apprendre et à comprendre et les auteurs jeunesse imaginent des récits de grande qualité et parfaitement adaptés.
Un grand merci Isabelle pour ce commentaire !
Je viens de lire le second tome d’Irena, c’est aussi bien que le premier. Dommage que le troisième ne soit prévu que pour 2018, j’aurais aimer voir les réactions des mes loulous de CM jusqu’au bout…