Chaque mois, nous mettons un coup de projecteur sur un·e auteur·rice, un·e illustrateur·rice ou une maison d’édition. Ce mois-ci, c’est à Fleur Oury que nous consacrons cette rubrique.
« J’ai l’impression de ne pas avoir quitté les outils, de quand j’étais enfant. C’est pour moi assez agréable de me perdre des heures sur mes grandes planches. Il y a un grand plaisir à crayonner, à varier les couleurs, à superposer pour avoir toutes les nuances que l’on retrouve dans le paysage. » Fleur Oury (Interview Librairie Mollat)
Il est des artistes dont on reconnaît la patte, dès le premier coup d’œil ; bien souvent, parce que l’on fréquente leurs ouvrages depuis des années. Et puis, certains, comme Fleur Oury, arrivent, en seulement quelques publications, à imposer leur style et à affirmer leur talent.
Après des études de biologie, Fleur Oury laisse sa passion pour le dessin prendre le dessus, et sort finalement diplômée des Arts décoratifs de Strasbourg. Elle entame, alors, une carrière d’autrice et illustratrice ; et a publié, à ce jour, quatre albums. Les crayons de couleur et les feutres sont ses outils de prédilection ; la nature et l’enfance, ses thèmes préférés. Avec ses crayons, elle sublime la nature, faisant d’elle le cocon de l’enfance, le tout avec beaucoup de poésie et de douceur.
Carole
C’est l’histoire d’un petit ours qui a du mal à se lever. Et pour cause : ce matin, c’est la rentrée des classes, et Petit Ours a peur. Pendant que le grand ours l’aide à se lever et à se préparer, Petit Ours raconte ses mauvais rêves de la nuit : il avait perdu son cartable, ou bien la maîtresse le punissait, ou alors il n’avait pas de copains ni de copines pour jouer… Chemin faisant, Grand Ours écoute, rassure et aide Petit Ours à aller de l’avant pour démarrer ce premier matin plus sereinement.
Voilà un album devenu un classique depuis sa parution en 2015. Si le thème de la rentrée est l’un des plus traités dans les albums pour enfants, rares sont ceux qui le font avec autant de subtilité dans l’évocation de ce grand moment qu’appréhendent tous les enfants. Il faut d’abord noter le décor dans lequel l’histoire s’inscrit : une nature qui n’a rien d’hostile, bien au contraire. Elle jouera d’ailleurs un grand rôle dans le cheminement de Petit Ours vers sa première journée d’école. Car c’est en chemin que Grand Ours pourra le rassurer et lui montrer tout ce que cette journée aura de positif : la rivière pour jouer, pêcher et manger. Les copains et les copines pour jouer, toute une faune qui, elle aussi, prend le chemin de l’école. Ainsi, renards, blaireaux, cerfs, lapins, souris, chouettes, etc. se rassemblent petit à petit aux côtés de Petit Ours, qui n’a plus peur d’être seul. Il émane de chaque page une bienveillance et une rondeur caractéristiques de l’illustratrice, qui collent parfaitement au propos qui se veut rassurant et positif, passées les premières craintes bien légitimes.
Prendre le chemin du « premier matin », ça peut faire peur, et c’est normal. Mais avec Fleur Oury, ça devient doux, rassurant, et même amusant ! Cet album est un incontournable à avoir dans toute bibliothèque au moment d’aborder le sujet de l’entrée à l’école avec les petit·es.
Amélie
Ours, un ours brun aux airs de grizzli féroce, ne fait plus peur. C’est un triste constat : les enfants ne font plus attention à lui. Alors, Ours va demander conseil à ses amis. Successivement, il rencontre le loup, le crocodile, le serpent, le tigre… mais aucun ne lui donne de conseils ! Alors qu’Ours abandonne, triste et perdu, il entend pleurer quelqu’un d’encore plus triste et perdu…
Les illustrations au crayon de couleur sont douces et poétiques. L’ours est attachant, le dessin renforce l’impression de vulnérabilité qui se dégage de ce géant autrefois terrifiant. Même plus peur est un album réconfortant, dans lequel on voudrait se blottir. Se déploie sur de belles double-pages toute une ménagerie d’animaux censés faire peur et qui reconnaissent, un à un, leur impuissance. Une pointe d’humour, autant dans les illustrations que dans le texte, rend toutes ces terreurs extrêmement attachantes. Le schéma plutôt classique de la répétition (Ours va voir un animal après l’autre) permet de donner un vrai rythme à l’histoire, tout en gardant une grande part de lenteur, de douceur. La vivacité colorée des dessins, la manière dont sont croquées les bouilles des animaux, et l’importance faite à l’amitié — qui peut vaincre la peur — font de cet album une bouillotte de papier.
Morgan
Une petite fille blaireau, nous invite à découvrir sa maison, qui par un beau matin de printemps, vit d’étonnants bouleversements. La maison bourgeonne et se gonfle de sève. Des branches et des fleurs poussent. En réalité, toute la maison-arbre se met à pousser. Les branches voisines accueillent ainsi de nouveaux habitant·es. Mais les changements ne s’arrêtent pas là. Ils sont encore plus significatifs à l’intérieur du foyer, et plus particulièrement dans la cuisine, où les meubles passent à la taille supérieure. Même le ventre de maman change, pousse, se gonfle, s’arrondit. La petite fille s’inquiète : s’il n’y avait qu’elle qui ne vivait aucun bouleversement. Papa et Maman savent poser des mots rassurants, pleins de douceur et de bienveillance. C’est alors, qu’à son tour, elle se transforme ; elle grandit, pour endosser un très beau rôle, celui de grande sœur.
La naissance est un thème récurrent en littérature de jeunesse. Didier Lévy choisit, dans cet album, de l’aborder en faisant un parallèle avec les évolutions de la nature au printemps. Le temps file : après les heures lumineuses de la journée, vient la nuit, et ses angoisses ; après l’hiver vient le printemps, saison des fleurs et des naissances. Le recours aux animaux anthropomorphes ne saura étonner le lecteur ou la lectrice, tant la procédure est classique en littérature de jeunesse. Les illustrations de Fleur Oury magnifient le texte, par leurs douceurs et leurs poésies. Ses crayons de couleur créent un décor bucolique, riche de détails, qu’il faut prendre le temps d’observer comme on observerait la nature. De plus, en laissant votre œil se promener, vous ne manquerez pas de découvrir ici ou là des références culturelles, souvenirs de l’illustratrice qui sont peut-être aussi les vôtres. Fleur Oury était l’artiste rêvée pour mettre en valeur ce texte : un vrai coup de cœur !
Carole
C’est dimanche. Le jour du déjeuner chez Mamie. Pour Clémentine, la jeune renarde de cet album, c’est aussi un jour où ses parents lui font une tonne de recommandations : être polie, bien se tenir à table, écouter sa mamie, qui est très vieille. Arrivée là-bas, Clémentine salue la vieille renarde, un peu voutée, dont les poils et la blouse sont parsemés de petites brindilles qui la rendent d’emblée un peu étrange. Le repas semble bien long et ennuyeux pour la petite fille. À l’heure du café, la mamie s’assoupit… Clémentine en profite alors pour sortir dans le jardin. Découvrant un passage dans les buissons, elle va passer de l’autre côté de l’univers familier du jardin de sa grand-mère… et l’après-midi va prendre une tournure bien plus amusante, notamment grâce à une rencontre inattendue.
Dimanche est un album tout en finesse et de délicatesse, une histoire touchante qui s’affranchit de la monotonie du quotidien grâce à une aventure où rêverie, fantaisie et joies d’enfants sont au rendez-vous. La petite renarde va faire une rencontre que je ne dévoilerai pas, qui va certes changer la tournure de sa journée, mais surtout sa vision de sa mamie. Car, quand viendra la fin de la journée, lorsqu’elle repassera de l’autre côté du jardin, un détail devrait attirer notre attention : les petites brindilles dans ses cheveux et sa tenue, identiques à celles de sa grand-mère… Alors, cet après-midi fantastique, rêve ou réalité ?
Tout le charme de cet album se niche dans les détails, et Fleur Oury y excelle. De la décoration de la cuisine de la grand-mère, au mobilier, en passant par la vaisselle, toute l’ambiance de ce « dimanche » a un charme désuet, suranné, mais qui évite pourtant le « poussiéreux ». Puis c’est le végétal qui se déploie, luxuriant et coloré, dès l’instant où Clémentine « bascule » de l’autre côté du jardin. Bien sûr, on peut penser à Alice au pays des merveilles. Mais là où l’album touche le plus, c’est dans le retour à la réalité, puisque c’est là que se révélera la tendresse infinie qui enveloppe ces deux générations, qui partagent peut-être plus qu’on ne le pense…
Amélie
Premier matin de Fleur Oury Les fourmis rouges 14 €, 201×228 mm, 40 pages, imprimé au Portugal, 2015. |
Même plus peur de Fleur Oury Seuil jeunesse 12,90 €, 207×276 mm, 30 pages, imprimé dans l’Union européenne, 2016. |
Bonjour printemps Texte de Didier Lévy, illustré par Fleur Oury Seuil jeunesse 12,90 €, 207×279 mm, 40 pages, imprimé au Portugal, 2018. |
Dimanche de Fleur Oury Les fourmis rouges 15,50 €, 221×256 mm, 40 pages, imprimé en Italie, 2019. |
Fille des années 80, amoureuse des livres depuis toujours. La légende raconte que ses parents chérirent le jour où elle sut lire, arrêtant ainsi de les réveiller à l’aube. Sa passion des livres, et plus particulièrement des livres jeunesse, est dévorante, et son envie de partage, débordante. Elle est sensible aux mots comme aux images, et adore barboter dans les librairies et les bibliothèques. Elle aime : les albums au petit goût vintage et les romans saisissants, les talentueux Rebecca Dautremer et Quentin Gréban, les jeunes pousses Fleur Oury et Florian Pigé, l’humour d’Edouard Manceau et de Mathieu Maudet, les mots de Malika Ferdjoukh et de Marie Desplechin.
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