Aujourd’hui, on consacre notre mercredi à une maison que, comme beaucoup d’entre vous, on adore, MeMo. Tout d’abord à travers une interview de Christine Morault (à l’origine de la maison avec Yves Mestrallet), puis on part en vacances avec Émilie Vast. Quelle fierté d’avoir aujourd’hui ces invitées ! Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Christine Morault
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Mon parcours ressemble à celui de beaucoup d’éditeurs de ma génération ; une suite de hasards et d’engouements en zig-zag. Des études d’art à Paris interrompues brutalement vers la fin par un engagement politique un peu extrême, qui m’a fait m’établir comme téléxiste aux PTT d’alors pendant des années, comme féministe et syndicaliste. Ensuite, la route, comme on disait, pendant des années, suivie d’une vocation de fermière en forêt amazonienne avec mon mari brésilien pendant bien d’autres années. Rien qui ressemble à des études vous permettant de bâtir des CEP en bonne et due forme. Mais après un retour en France, puis à Nantes, ma rencontre avec Yves Mestrallet qui a donné vie à ce Me et ce Mo.
Comment est venue l’idée de monter MeMo ?
Yves est architecte de formation, mais surtout artiste, photographe, œil d’exception. Nous étions avant tout des fous d’images. Et c’est cet amour des images, de toutes les images qui nous a donné envie d’en faire des livres. Le coup de foudre pour des motifs créés au XVIIIe siècle pour des tissus imprimés pour la traite négrière a été l’élément déclencheur. La naïveté de ces images disait en creux et avec une force incroyable la folie de ce commerce. L’insensé se lisait par l’image. Nous n’avons jamais cessé de recourir à cette évidence pour choisir nos livres. Des livres illustrés, livres d’artistes, poésie contemporaine, catalogues et diverses folies éditoriales recourant à des outils de production à présent disparus, nous sommes passés presque sans le savoir aux livres pour enfants, ces livres où l’image parle à ceux qui savent le mieux la lire.
MeMo est une magnifique maison, totalement originale d’après moi, dans le monde de l’édition, mais comment vous vous définiriez la maison et sa ligne éditoriale ?
Si nous sommes à part, mais nombreuses le sont les maisons d’édition en France, surtout ces petites maisons curieuses, entre poésie et livres hors norme, auxquelles je m’identifie bien plus qu’à la plupart des maisons d’édition pour la jeunesse, c’est parce que nous n’avons jamais renoncé à publier des livres parce que la raison et le marché nous le recommandaient. Finalement, le côté éclectique de ces choix doit tout à un renoncement à ne pas renoncer. La ligne éditoriale de MeMo ce serait de privilégier absolument et uniquement l’émotion procurée par des images, qu’elles recourent à l’abstraction ou à une folie touffue. Et ces images doivent être portées au service de fictions fortes, même si elles sont muettes et n’emplissent que quelques pages. Des fictions qui sollicitent en nous l’empathie, la mélancolie, célèbrent les joies de l’amour et de l’amitié, bâtissent des formes artistiques inouïes, prenne en compte le déchirement de la séparation mais aussi la découverte de l’altérité, et surtout saisissent l’œil et l’affect, dans l’émotion partagée avec l’adulte.
Comment choisissez-vous les projets que vous éditez ?
Les projets chez MeMo doivent faire l’objet d’une passion immédiate, qui nous fait sauter à côté de celle ou celui qui vient de le recevoir et donne lieu bien souvent à une réponse enfiévrée et parfois complètement irréaliste. Ce type de filtre est à déconseiller à toute maison débutante.
Pouvez-vous me citer des livres qui ont particulièrement marqué la maison ?
Tant de livres… Il y a autant de livres qui ont marqué l’existence de MeMo qu’il y a de lecteurs. Pour certains parfois, la vente en a été presque confidentielle mais des lecteurs témoignent qu’ils leur ont été essentiels. Des étapes en littérature jeunesse, je préfère le formuler ainsi : le Mik d’Olivier Douzou, notre premier livre pour tout petits, le Raymond rêve d’Anne Crausaz, un escargot qui continue à nous accompagner depuis des années, les Blanches et les Noires d’Anne Bertier, l’élégance graphique des herbiers d’Emilie Vast, tous les livres de Malika Doray et leur façon de voir la vie, la Lune de Junko Nakamura, mais aussi récemment le Bison de Gaya Wisnieski, mais aussi des livres au rayonnement plus confidentiel, comme le Quatremers le Céleste, de notre amie disparue Lisa Bresner, et tous ces livres, rééditions d’ouvrages indispensables, créés il y a un siècle ou moins, et que nous avons pu rendre disponibles à nouveau, de l’illustration anglaise du début vingtième aux auteurs et illustrateurs d’Europe centrale de l’entre-deux guerres, en passant par l’avant-garde russe. Impossible de choisir !
Quel est votre rôle au sein de MeMo aujourd’hui et qui compose le reste de l’équipe ?
J’ai fondé la maison, mais nous sommes organisés, ou désorganisés parfois, en atelier. Tout est fait en interne jusqu’à l’impression. Nous choisissons, construisons nos livres avec les auteurs. C’est une décision collective. Yara Nascimento les édite, Yves Mestrallet en invente la forme et l’objet avec les auteurs, et en suit l’impression de la première à la dernière feuille. Caroline Lascaux les suit ensuite et travaille de très près avec les libraires, notre diffuseur et les bibliothécaires. Anna Piguet, la comptable, nous aide à garder en équilibre le tout. Tout le travail de chromie et les très longues recherches pour réussir à rééditer des livres dont n’ont subsisté que des éditions anciennes, est fait chez nous par Olivier Pauty. Je coordonne l’ensemble et je choisis et travaille sur les rééditions, ainsi que sur les expositions sur le catalogue et l’histoire de la Maison. Nous sommes des artisans du livre.
Pour vous, qu’est-ce qu’un bon livre jeunesse ?
J’ai eu l’occasion de le définir récemment, cela m’a pris 27 ans ! Pour moi, un bon livre jeunesse, c’est celui qui s’ouvre quand on le referme. Celui qui laisse une trace indélébile, donne l’envie à l’enfant d’en entreprendre sa relecture, de créer lui aussi son monde d’images et de sensations. Ce n’est pas le tour de force graphique, souvent très académique et normé, des écoles contemporaines. Ce n’est pas non plus le déroulé des bonnes intentions, formes modernes des livres de morale d’antan. Un bon livre pour les enfants c’est celui qui touche tout autant leurs parents. Et celui qu’on voudra garder toute sa vie.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Ma plus grande lecture d’enfant, c’est un livre que j’ai dû inventer. Celui de ma grand-mère anglaise, Ruff and reddy, the Fairy guide. Un petit personnage se promenant avec Dorothy au milieu des personnages de livres pour enfants de l’Angleterre du début vingtième. J’ai du imaginer, faute de traduction, tout ce livre, et le réinventer, seule, au grenier, à partir des illustrations de John Hassal, un affichiste et peintre japoniste admirable. Une vraie expérience éditoriale ! Il y avait aussi tous ces livres français pour enfants des années 50, d’une très pénible médiocrité. Heureusement, il y avait aussi les Anglo-saxons, Margaret Wise Brown ou Garth Williams, en petits livres traduits des Golden books. Et mes lectures adolescentes, ce sont celles de tant d’autres enfants de ma génération, pas d’écrans, tous les classiques russes et le romantisme français.
Nous traversons actuellement une période trouble pour l’édition, comment la vivez-vous ? Pensez-vous qu’elle changera des choses en ce qui concerne MeMo ?
C’est une épreuve. Nous devions, et c’est ironique, justement, réaliser plusieurs mois historiquement rémunérateurs, pour les auteurs comme pour nous, de mars à fin juin. Ce qui va advenir de nos nouveautés est encore mouvant. Le chiffre d’affaires est quasiment inexistant. Nous attendons, comme bien d’autres petits entrepreneurs, des aides et un emprunt. Il le faudra. Nous sommes confiants. Mais inquiets. Dans quelles conditions vont pouvoir survivre les auteurs ? Les libraires ? Et donc de quoi seront faits les mois et les années qui viennent ? Sont sortis, par exemple, un nouveau livre d’Émilie Vast Je veux un super-pouvoir et deux livres de poésie de Françoise Morvan la semaine du début du confinement, et qui n’ont donc pas pu rencontrer les lecteurs. Nous avons fait le choix de déplacer la quasi-totalité des livres prévus avant août, notamment un extraordinaire roman illustré par Cédric Philippe, afin de ne pas les noyer. Nous allons les soigner comme des enfants fragiles.
La seule chose qui changera ? Que nous revendiquerons encore plus fort de ne jamais avoir recours au pilon, même pas pour les livres réputés défectueux, et qui ne le sont jamais pour nous, puisque nous les offrons par milliers à des associations ou pour mener des projets solidaires. Le commerce du livre est devenu fou et détruit par centaines de milliers ce qu’il produit par millions. Si ce moment de sidération permettait de s’en émouvoir et de chercher d’autres constructions, ce serait une première bonne nouvelle.
Merci à la mare aux mots, d’être là, parmi d’autres maillons essentiels de cette chaîne du livre, si belle et si fragile. Que vivent les livres.
Pouvez-vous nous présenter les livres qui sortiront à la reprise ?
Cette fin de printemps a été réduite à deux livres : Un pull pour te protéger, de Malika Doray, sur le quotidien des très jeunes, et Papa écoute-moi ! de Gaya Wisniewski, où l’on suit une famille de blaireaux partie camper. Ensuite, nous attendrons la fin août pour dévoiler un conte graphique de Cédric Philippe, Les fleurs sucrées des trèfles, où l’on joue avec la chance et le merveilleux, mais aussi une réédition de Ruth Krauss et Maurice Sendak, Charlotte et le cheval blanc, et un documentaire d’Anne-Sophie Baumann et Claire Garralon, D’où ça vient ?
Les titres MeMo que nous avons chroniqués :
- Attends que la lune soit pleine, texte de Margaret Wise Brown, illustré par Garth Williams (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Quelque chose de merveilleux, texte de Shin Sun-Jae, illustré par Emilie Vast (2019), que nous avons chroniqué ici.
- L’arbre de Ploc, de Mélanie Rutten (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Jusqu’en haut, d’Émilie Vast (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Quel est ce fruit ? et Quel est ce légume ?, d’Anne Crausaz (2019), que nous avons chroniqués ici.
- Trois petits animaux, texte de Margaret Wise, illustré par Brown Garth Williams (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Chnourka, de Gaya Wisniewski (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Laurent le flamboyant, texte de Karen Hottois, illustré par Julia Woignier (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Moi, j’ai peur du loup, d’Émilie Vast (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Mon bison, de Gaya Wisniewski (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Poule Bleue, de Claire Garralon (2018), que nous avons chroniqué ici.
- L’hiver d’Isabelle, de Jeanne Macaigne (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Chat noir chat blanc, de Claire Garralon (2018), que nous avons chroniqué ici.
- La graine de carotte, texte de Ruth Krauss, illustré par Crockett Johnson (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Alphabet des plantes et des animaux, d’Émilie Vast (2017), que nous avons chroniqué ici.
- L’heure bleue, de Ghislaine Herbéra (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Chez un père crocodile, de Malika Doray (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Quand ils ont su…, de Malika Doray (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Perdu !, d’Alice Brière-Haquet (2011), que nous avons chroniqué ici.
- La surprise, de Janik Coat (2010), que nous avons chroniqué ici.
Le site MeMo : https://www.editions-memo.fr.
En vacances avec… Émilie Vast
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte ce qu’elle·il veut me faire découvrir. On ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’il·elle veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Émilie Vast que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse
Que 5 ? Impossible ! j’ai une bibliothèque avec des milliers de titres.
J’ai une page entière sur Facebook dédiée à l’illustration ancienne : oh les beaux dessins (même nom sur instagram)
je poste presque un livre illustré par jour…
plus simple, les 5 derniers albums récents que j’ai achetés :
- Malou de Geneviève Godbout, éditions La Pastèque
- Paraquoi d’Eva Offrédo et Alex Cousseau chez À pas de loup
- Les Jo des animaux par Virginie Morgand aux éditions MeMo
- Cheval de course d’Aurore Petit chez Albin Michel
- J’étais au pays d’Ava et Eve de Anne-Margot Ramstein chez Albin Michel
5 romans
oui, j’aime les romans policiers
- Un hiver dans la vallée de Moumine de Tove Jansson
- La nuit des temps de Barjavel (lié à mon adolescence)
5 DVD
je triche : le coffret DVD intégrale de Tati (impossible de choisir !)
- le coffret DVD de l’intégrale de Hayao Miyazaki
- le coffret DVD de l’intégrale de Wes Anderson
- la série Black Mirror
- L’étrange Noël de mister Jack de Tim Burton (claque artistique de l’adolescence)
5 CD
tout Arcade Fire (ultra fan)
- Tookah Emiliana Torrini
- Ouï Camille
- Ghosts & Voices Black Bones
- Erik Satie
Et tellement d’autres !
5 artistes
- François Pompon
- Mucha
- Jérôme Bosch
- les artisans de l’Égypte antique
- Gustave Moreau
5 lieux
- Talloires sur le lac d’Annecy
- les iles Borromées sur le lac Majeur
- le lac de Bled en Slovénie
J’aime les lacs !!
- n’importe quel jardin botanique anglais ou à l’anglaise, avec si possible une serre
- par chauvinisme et parce que j’aime l’architecture : « la villa demoiselle » à Reims
Émilie Vast est autrice et illustratrice
Bibliographie sélective :
- Je veux un super-pouvoir !, texte et illustrations, MeMo (2020).
- Engloutis !, texte et illustrations, MeMo (2019).
- Quelque chose de merveilleux, illustration d’un texte de Shin Sun-Jae, MeMo (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Jusqu’en haut, texte et illustrations, MeMo (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Moi j’ai peur du loup, texte et illustrations, MeMo (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Plantes vagabondes, texte et illustrations, MeMo (2018).
- Alphabet des plantes et des animaux, texte et illustrations, MeMo (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Abeille et Épeire, texte et illustrations, MeMo (2017).
- Chamour, texte et illustrations, MeMo (2016).
- De papa en papa, texte et illustrations, MeMo (2016).
- De maman en maman, texte et illustrations, MeMo (2016).
- Le secret, texte et illustrations, MeMo (2015).
- En t’attendant, texte et illustrations, MeMo (2014).
- Il était un arbre, texte et illustrations, MeMo (2012).
- L’herbier, plantes sauvages des villes, texte et illustrations, MeMo (2011).
- Korokoro, texte et illustrations, Autrement (2011).
- L’herbier, petite flore des bois d’Europe, texte et illustrations, MeMo (2010).
- L’herbier, arbres feuillus d’Europe, texte et illustrations, MeMo (2009).
- Koré-No, l’enfant hirondelle, illustration d’un texte d’Anne Mulpas, MeMo (2008).
Le site d’Émilie Vast : https://emilievast.com.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !