Cet été encore, on vous propose à nouveau la rubrique du berger à la bergère tous les mercredis. Cette rubrique vous avait tellement plu les trois derniers étés, nous nous devions de la reprendre (il faut dire qu’à nous aussi elle plaît beaucoup) ! Donc tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trice·s et des illustrateur·trice·s qui posent trois questions à un·e auteur·trice ou un·e illustrateur·trice de leur choix. Puis c’est à l’interviewé·e d’en poser trois à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Fanny Joly et Catharina Valcks, Clémence Pollet et Sandrine Thommen, Marc Daniau et Natalie Fortier, cette semaine c’est Gaya Wisniewski qui a choisi de poser des questions à Gaëtan Dorémus !
Gaya Wisniewski : Bonjour Gaëtan, j’ai été subjugué par l’album Fuis tigre !, comment l’album s’est-il tissé ? Connaissiez-vous Gauthier David ou c’est la maison d’édition qui a fait le lien entre vous ?
Gaëtan Dorémus : On se connait avec Gauthier, on est copains. On habite pas loin l’un de l’autre. On a partagé des moments, des lectures, des visions du monde, et puis ensuite on s’est dit que, tiens, on pourrait essayer de travailler ensemble. J’aime travailler avec des copines et des copains. Un été, on a passé une journée à la rivière. Gauthier m’a dit qu’il avait fait un texte pour moi et qu’il me l’envoyait le soir même. Une histoire d’enfants qui installent un camping dans un salon. Et puis il m’a envoyé Fuis Tigre. Pour me réécrire le lendemain en me disant qu’il s’était trompé, qu’il ne voulait pas m’envoyer ce texte-là. Mais c’était trop tard.
Ce texte, je l’ai fait mien direct. Je ne sais pas si cette erreur d’envoi est fausse ou pas.
Et puis Gauthier m’avait dit qu’il était rentré en littérature jeunesse en partie avec mon premier livre, Bélisaire, déjà une histoire de tigre, déjà au Seuil jeunesse, il y a 20 ans.
J’aime la puissance évocatrice du texte de Gauthier. Cela laissait de la place pour mettre des images. Elles devaient trouver du sens et de la force dans les creux du texte.
J’ai fait le choix d’inscrire l’histoire dans le monde d’aujourd’hui et de travailler la figure de l’animal sauvage/animal doudou.
Gaya Wisniewski : Vous illustrez vos textes et parfois ceux des autres. Quel est l’auteur dont vous aimeriez illustrer le texte ?
Gaëtan Dorémus : Italo Calvino, mais je crois que ce n’est pas possible.
J’aime nombre d’auteurs contemporains, mais ils n’ont pas besoin d’imageurs.
Les auteurs de textes d’albums sont assez rares. Certains textes sont bons en tant que tels, mais parfois tout est dit et des illustrations seraient téléphonées, ou à l’inverse n’importe quelle image encagerait l’imaginaire du lecteur.
La poésie est illustrable, le roman (pour adulte) est illustrable, les essais sont illustrables, mais commercialement c’est suicidaire pour l’instant.
Gaya Wisniewski : Cette répétition de petit trait dans vos dessins à souvent l’air spontané et donne une grande force graphique. Y a-t-il beaucoup de croquis préparatoires à l’image ou justement c’est « instinctif » et fait sur le vif ?
Gaëtan Dorémus : Merci pour le compliment ! Tant mieux si on croit que c’est sur le vif. Parce que tout le temps, comme beaucoup de dessinatrices et dessinateurs, je m’interroge : « comment retrouver cette vie qui émane d’un croquis ? »
Et ça demande du labeur pour s’en approcher — sans jamais l’atteindre. Donc il y a pas mal de croquis en amont. Puis des dessins en noir et blanc. Et une réinterprétation pour arriver des images en couleur. C’est long, du marathon, pour arriver à des livres lus en 5 minutes. J’admire Sempé ou Shel Silverstein, et d’autres, où en trois traits c’est plié — dans le dessin il y a de l’esprit et de la vie — emballé — c’est pesé.
Gaëtan Dorémus : Dans tes livres reviennent l’hiver, la nuit et un lac, gelés, et le printemps. Peux-tu parler de ces présences récurrentes ? Réminiscences personnelles, rapport esthétique, ou narratif à ces lieux ?
Gaya Wisniewski : L’hiver est une saison que j’adore pour peu qu’il y ait de la neige, le temps qui s’arrête, se chauffer à côté d’un feu en dégustant une tasse de thé fait parti de mes rituels… Je pense profondément que l’humain est aussi fait pour hiberner. Depuis que j’ai quitté la ville, la nature m’inspire énormément, j’aime vivre les saisons, marcher sous la pluie, observer les étoiles la nuit… retour aux sources. J ’avais sans doute besoin de ce changement de lieu de vie pour créer des livres.
Gaëtan Dorémus : On sent tes livres nourris d’influences picturales et littéraires, est-ce réel ou inconscient ? Peux-tu les évoquer ?
Gaya Wisniewski : L’autre jour, un ami m’a définie comme « Chasseuse d’images » j’aime bien cette comparaison, effectivement je collectionne beaucoup de photographies, peintures, dessins… qui ressortent ici et là dans mes livres.
Il y a des photographies noir et blanc anonymes, des illustrateurs : Scarry, Tove Jansson, Inga Moore (j’adore ses illustrations du Vent dans les saules) et puis il y a les autres : les couleurs de Peter Doig, les photographies de Saul Leiter, les nus de Bonnard, les motifs de Vuillard…
Je fais des petits dossiers pour m’y plonger avant de commencer un livre. Je crée une atmosphère que j’aimerai que le lecteur ressente lors de la lecture… même chose pour la sélection musicale lorsque je dessine… Je suis une vraie éponge. Pour Chnourka la première image du livre où ils sont tous dans une luge au milieu d’une tempête de neige est influencée par Le bal des vampires de Polanski et pour la maison de glace de Chnourka c’est le Docteur Jivago de David Lean. Là je travaille sur un nouveau projet où le roman La conjuration des imbéciles (John Kennedy Toole) m’inspire juste pour les émotions que cela suscite en moi…
Gaëtan Dorémus : Tes histoires ne sont pas situées dans une époque, ou plutôt dans le temps de l’Enfance. Celui des amitiés imaginaires entre animaux et gamins, des goûters, de l’amitié simple et des boules de neige. Peux-tu imaginer dans tes histoires des smartphones, des twingos, des centrales nucléaires et des sacs plastiques dans les arbres ?
Gaya Wisniewski : Très bonne question… j’imaginerai bien des histoires de sacs plastiques dans les arbres… parce que je vois bien cette image.
Quand je dessine, je vais rechercher des émotions enfuies en moi, cette époque où je ne connaissais pas les centrales nucléaires, les smartphones n’existaient pas encore… Pour l’instant j’écris et dessine dans ma zone de confort, mais, pourquoi pas un jour illustrer quelque chose de complètement différent.
J’attends que l’on me propose, que l’on me bouscule 🙂
Bibliographie sélective de Gaëtan Dorémus :
- Fuis Tigre !, illustration d’un texte de Gauthier David, Seuil Jeunesse (2018).
- Les Goûters méga chouettes de Machinette, texte et illustrations, Albin Michel Jeunesse (2018).
- Tout doux, texte et illustrations, Rouergue (2018), que nous avons chroniqué ici.
- ICI, texte et illustrations, La Ville Brûle (2017).
- Dans les dents !, illustration d’un texte de Denis Baronnet, Actes Sud Junior (2017).
- Minute papillon !, texte et illustrations, Rouergue (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Série Till, illustrations de texte de Philippe Lechermeier, Les fourmis rouges (2015-2016).
- Les Oreilles, texte et illustrations, Albin michel jeunesse (2016).
- La Maman de la maman de mon papa, texte et illustrations, Les fourmis rouges (2016).
- Mon bébé croco, texte et illustrations, Albin Michel Jeunesse (2015).
- Le miel des trois compères, illustration d’un texte de Richard Marnier, Le rouergue (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Vacarme, texte et illustrations, Notari (2014).
- Mon ami, texte et illustrations, Rouergue (2012).
- Tonio, texte et illustrations, Rouergue (2012).
- Ping Pong, texte et illustrations, Seuil jeunesse (2010).
Son site : https://gaetandoremus.com
Bibliographie de Gaya Wisniewski :
- Chnourka, texte et illustrations, MeMo (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Mon bison, texte et illustrations, MeMo (2018), que nous avons chroniqué ici.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
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