Cet été encore, on vous propose à nouveau la rubrique du berger à la bergère tous les mercredis. Cette rubrique vous avait tellement plu les trois derniers étés, nous nous devions de la reprendre (il faut dire qu’à nous aussi elle plaît beaucoup) ! Donc tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trice·s et des illustrateur·trice·s qui posent trois questions à un·e auteur·trice ou un·e illustrateur·trice de leur choix. Puis c’est à l’interviewé·e d’en poser trois à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. On commence ces mercredis de l’été avec Fanny Joly qui a choisi de poser des questions à Catharina Valckx !
Fanny Joly : Catharina Valckx, je vous admire infiniment, autant comme auteur que comme illustratrice. Préférez-vous écrire ou dessiner ?
Catharina Valckx : Merci ! Venant de vous, ça me touche beaucoup.
Écrire ou dessiner… j’aime vraiment les deux. Aussi bien dans l’écriture que dans l’illustration il y a ce moment jubilatoire, quand on a le sentiment de créer véritablement quelque chose qui n’existait pas avant.
Le plaisir de l’illustration est d’ordre esthétique : une composition inattendue, une palette de couleurs juste parfaite, un personnage bien venu…
Le plaisir est aussi dans la transgression des codes, la liberté. Par exemple je prends parfois plaisir à dessiner des traits à la règle. Pour dessiner une chaise, par exemple, alors que le trait à la règle est considéré comme un trait mort. C’est une sorte de tabou qu’il est amusant de transgresser. Comme aussi dessiner des personnages un peu plan-plan, exprès.
De toute façon je ne fais jamais rien pour en mettre plein la vue au lecteur, je veux au contraire que tout ait l’air facile à faire, aussi bien ce que je dessine que ce que j’écris.
Le plaisir de l’écriture est plus cérébral. Je recherche l’absurde, un léger décalage par rapport à la réalité. Comme vous Fanny, je veux raconter une histoire, mais aussi — peut-être surtout — faire rire. Et si le rire est accompagné d’un peu de poésie et d’un petit fond de tristesse, alors je touche au but. Cela n’arrive pas tous les jours, évidemment, et beaucoup d’essais sont lamentablement foireux. Mais sans ces essais, je ne trouverais jamais de perles.
J’aime chercher et trouver le mot juste. J’aime le minimalisme vocabulaire qu’impose l’écriture pour les enfants. Réussir à être très précis sans se servir de mots sophistiqués (comme celui-ci) est un défi qui me plaît.
Pour mes albums j’écris et je dessine, et les deux disciplines se mêlent. Quand j’écris je vois les images dans ma tête. Inversement, si j’ai très envie de dessiner quelque chose, une moule sur un rocher par exemple, je peux écrire une scène en fonction de cette image.
Fanny Joly : Qu’est-ce qui vous déclenche : plutôt des images ou plutôt des mots ?
Catharina Valckx : Cette question est un prolongement de la précédente.
Ce qui me déclenche… c’est drôle comme façon de dire, comme un robinet qu’on ouvre. Mais c’est vrai que ça marche un peu comme ça. Il faut quelque chose, un point de départ excitant pour mettre en route une histoire. Quelque chose qui ait un bon potentiel comique et poétique. J’insiste sur le poétique, même si c’est moins flagrant dans mes livres que l’humour. Pour qu’il m’intéresse le comique doit avoir une certaine douceur et une grande simplicité.
Alors est-ce que ce sont des images ou des mots ?
Parfois ce sont plutôt des situations, des scènes. Par exemple pour l’album Totoche (le 1er) j’avais pensé à un personnage qui fait le porte-manteau (littéralement) et qui est renvoyé parce qu’il est trop bavard — pour un porte-manteau. Après j’ai brodé l’histoire autour de cette scène. Le porte-manteau est une idée, mais c’est aussi très « dessinable », un mot et une image.
Pour Haut les pattes ! ça m’amusait de reprendre une expression, Haut les mains en l’occurrence, et de l’adapter au monde animal. Donc là, oui, ces ont des mots qui ont déclenché la suite.
Pour La fête de Billy j’avais cette image de Jean-Claude, le ver de terre, déguisé en rivière pour un bal costumé. Tout peint en bleu, avec un petit bateau ficelé sur le dos. Une image, donc, cette fois.
Les deux sont possibles, en fait ! L’important c’est que j’aie une idée originale, un peu absurde, comme une porte ouverte qui donne envie d’aller explorer cet endroit.
Fanny Joly : Êtes-vous parfois découragée ?
Catharina Valckx : C’est drôle que vous me posiez cette question, parce que je ne connais personne qui ait écrit autant de livres que vous. Près de 300 ! Il semble bien que vous soyez indécourageable !
Être découragé c’est avoir perdu la flamme, l’enthousiasme. C’est sûr qu’il en faut pour faire un livre. En tout cas si l’on veut travailler avec plaisir, ce qui me paraît la seule façon envisageable.
Ce qui pourrait vraiment être décourageant c’est l’incroyable quantité de livres publiés chaque année. Mais bizarrement je crois que j’ai été vaccinée la première fois que je suis allée à Bologne, au salon international de littérature jeunesse. Je n’avais encore jamais publié, j’y allais avec deux manuscrits, espérant trouver un éditeur. Quand j’ai découvert l’envergure de ce salon, ces halls immenses emplis de milliers de livres pour les enfants, j’ai eu un malaise. Mes petits manuscrits n’avaient soudain plus aucun sens, aucune raison d’être. Je suis sortie et me suis effondrée au pied d’un arbre compréhensif. Depuis j’ai appris à accepter cette surproduction comme une donnée regrettable, mais pas rédhibitoire. Et puis d’ailleurs, des auteurs qui me sont vraiment chers, il n’y en a jamais trop.
Les enfants me demandent parfois si mon métier est difficile. Je leur réponds que oui, écrire une bonne histoire est difficile, illustrer est difficile, mais je leur dis aussi que si c’était facile ça ne me plairait plus depuis longtemps.
C’est justement parce que faire un livre est un exercice de haute voltige que cela continue de me passionner. Je connais des découragements, évidemment, mais pas profonds. Ce sont plutôt des moments où ça cale. Quand pendant un temps je n’ai pas de bonne idée, par exemple. Ou quand je recommence un dessin pour la nième fois. Je ne sais pas pourquoi, je garde toujours une sorte de confiance que je vais finir par y arriver.
Et puis je ne recherche pas la perfection. J’aime trop l’expérience, prendre quelques risques. Si mon but était la perfection, je serais sans doute découragée depuis longtemps.
Catharina Valckx : Fanny, vous écrivez beaucoup à la première personne, pour différents âges. Vous dites que quand vous écrivez pour 5 ans vous avez 5 ans, pour 10 vous avez 10, pour 15 vous avez 15. C’est d’ailleurs incroyable comme vous savez faire ça. Qu’est-ce qui fait que vous aimiez tellement retourner dans votre tête d’enfant, ou d’ado ?
Fanny Joly : Je me suis souvent posé la question et, au fil des années, bricolé quelques explications psy à ma façon.
Primo : benjamine d’une fratrie de 8, j’ai pu observer mes aînés à tous les âges.
Deuxio : ayant eu peu accès au micro parmi 9 fortes personnalités à grandes bouches (je compte nos parents) j’ai choisi le papier pour avoir une chance de placer quelques mots.
Tertio : ma mère adorait les enfants. Avant d’épouser mon père, elle l’a prévenu qu’elle en voulait HUIT. Il a pensé : « au 2e, elle se calmera ! » (Il était l’aîné de ONZE. Orphelin de père à 18 ans, il s’est retrouvé chargé de famille aux côtés de sa mère épuisée). Mais non. Maman n’a pas flanché. Dans son portefeuille, après sa mort en 2013, nous avons trouvé des citations recopiées de sa main, dont celle-ci, de Picasso : « il faut beaucoup de temps pour devenir jeune ». En tant que « petite-dernière » officielle et proclamée, j’ai senti sur moi le regard maternel chargé d’une sorte de… nostalgie anticipative. Je pense que ça m’a incitée à rester dans le monde « émerveilleur » de l’enfance.
Enfin, une dernière raison : j’adore les images et leur mélange avec les mots. Sur ce point, écrire pour la jeunesse me comble !
Catharina Valckx : Nous avons quelque chose en commun, ce besoin et cette envie de faire rire. Est-ce que vous arrivez à écrire quand vous êtes triste ?
Fanny Joly : En commun ? Merci pour le compliment. Je vous admire énormément. Vos textes sont aussi drôles que vos dessins.
Triste, je l’ai été souvent et fort. J’ai perdu plein de gens que j’aime et traversé des tunnels de chagrin si sombres que je pensais ne plus jamais écrire. Et puis… j’ai dû m’y remettre. Entre autres pour ma sœur Sylvie. Les rires du public étaient sa raison de vivre. J’ai alors découvert que c’est un métier. Peut-être le seul que je sache faire. Alors go ! Pour moi dans écrire il y a forcément rire. Si ce n’est pas pour rire, je n’écris pas. La vie est assez triste comme ça…
Catharina Valckx : Vous avez écrit tellement de livres ! Presque 300 je crois ! Il marche à quel carburant, ce puissant moteur ? Est-ce qu’il y a une attitude, une philosophie, que vous tenez consciemment à faire passer ?
Fanny Joly : Le moteur ? Le moteur est mon stylo-vélo et le rire ma dynamo. Je pédale à fond à la poursuite d’une idée rigolote. La plupart de mes idées ne sont PAS drôles. En plus, je ne ris pas facilement. Surtout à mes blagues. Traquer les idées rigolotes, les mettre en forme, les juger sévèrement, jeter le gras, serrer les boulons : tout ça me prend des tas d’heures, feuilles de brouillon, stylos à bille, sacs poubelle…
Mon carburant ? Clairement, ce sont les lecteurs qui aiment mes livres, les achètent, demandent des suites.
Je n’ai ni message ni philosophie. Ou plutôt si : humour et plaisir de lire :) !
Bibliographie sélective de Catharina Valckx :
- Manu et Nono – Le dernier gâteau, roman, texte et illustration (2019).
- Billy cherche un trésor, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2018).
- Série Bruno, albums illustrés par Nicolas Hubesch, l’école des loisirs (2015-2017), que nous avons chroniqué ici.
- Jo le très vilain petit canard, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2017).
- Billy et le gros dur, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2015).
- Les chaussures sont parties pour le week-end, roman, texte et illustrations, l’école des loisirs (2015).
- La fête de Billy, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2014).
- Bonjour tout le monde !, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2013).
- Cheval Fou, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2012).
- Le bison, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2011).
- Hauts les pattes, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2011).
- Ma collection, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2008).
- Totoche, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2005).
- Coco Panache, album, texte et illustrations, l’école des loisirs (2004).
Retrouvez Catharina Valckx sur son site : http://www.catharinavalckx.com.
Bibliographie sélective de Fanny Joly :
- Série Gudule, romans illustrés par Roser Capdevila, Hachette puis Fanny Joly Numerik (2000-2019).
- Série Les mots rigolos de Pipelette et Momo, romans illustrés par Gaëlle Duhazé, Playbac (2019).
- Série Cucu la praline, romans illustré par Ronan Badel, Gallimard Jeunesse (2013-2019), que nous avons chroniqué ici, ici, ici, ici, ici et ici.
- Série La fée baguette, illustrée par Marianne Barcilon, Lito (2006-2019).
- Mina et les Magicrayons —Le roi des z’embêteurs, album illustré par Christine Davenier, Casterman (2019)
- Vingt cœurs, album illustré par Christine Davenier, Les éditions Clochette (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les frisettes de Mademoiselle Henriette, roman illustré par Ariane Delrieu, Hachette Jeunesse (2017).
- Fleur la terreur, roman, Pocket Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Superminouche, livre-CD illustré par Caroline Hüe, Gallimard Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Rendez-moi mes totottes, album illustré par Fred Benaglia, Gallimard Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Tous en scène, 12 sketchs pour apprentis comédiens, Le livre de Poche (2015).
- Embrouille en Bretagne, album illustré par Laurent Audouin, Sarbacane (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Qué calor à Barcelone !, album illustré par Laurent Audouin, Sarbacane (2010).
- Drôles de contrôles, roman illustré par Roser Capdevila, Bayard Poche (2003).
Son site : http://fannyjoly.com.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
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