À La mare aux mots, on aime les « petites » maisons d’édition, on aime les mettre en avant surtout quand elles font un beau travail. Aujourd’hui, c’est L’étagère du bas qu’on vous propose de découvrir… si vous ne la connaissez pas déjà ! Ensuite, c’est une autrice très talentueuse, Sophie Adriansen, qui nous livre ses coups de cœur et coups de gueule. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Delphine Monteil
Parlez-nous de votre parcours avant de créer L’étagère du bas.
Après un bac littéraire, j’ai fait des études de lettres modernes (Master 1) et beaucoup de stages chez des éditeurs de littérature générale où j’ai énormément appris. Au moment de se spécialiser, j’ai choisi le domaine de la correction en suivant une formation au Centre d’écriture et de communication puis j’ai été correctrice pendant cinq ans.
En 2016, vous avez créé votre maison d’édition, racontez-nous comment la maison est née.
Même si la correction est un métier passionnant, j’ai commencé à avoir vraiment envie d’aller vers autre chose et il y a un faisceau d’éléments concomitants. J’ai eu deux enfants et je me suis littéralement jetée dans la littérature jeunesse avec eux ! Petit à petit, les livres jeunesse ont pris de plus en plus place (au sens propre comme au sens figuré) et l’idée de créer un blog a fait son chemin… Mon blog (L’Étagère du bas) m’a permis de réaliser à quel point la littérature jeunesse était le milieu dans lequel je me sentais le mieux et que j’avais aussi envie d’en faire mon métier.
Avec mon mari Fredrik, nous avons décidé de nous lancer et de monter notre maison d’édition de livres pour enfants. Lui aussi est passionné de littérature jeunesse et, à l’origine, la maison a été créée pour donner vie à un personnage culte suédois qui s’appelle Plupp.
Pourquoi ce personnage en particulier ?
Fredrik (d’origine suédoise) a été très marqué par Plupp dans son enfance, il me l’a présenté et le courant est passé ! Avec une trentaine d’albums depuis les années 50, Inga Borg (auteure et illustratrice) a su imposer ce petit troll aux cheveux bleus (et tout son univers) qui est devenu l’une des figures incontournables de la littérature jeunesse suédoise.
Nous avons souhaité faire connaître Plupp aux petits Français car c’est un personnage très positif, bienveillant et qui les emmène dans de belles aventures au milieu d’une nature préservée. Nous avons publié deux albums : Plupp construit sa maison et Plupp fait un grand voyage. En 2020, le troisième verra le jour !
D’où est venu ce nom « L’étagère du bas » ?
Lorsqu’il a fallu trouver un nom pour la maison d’édition, cela a été compliqué car j’avais déjà beaucoup cherché pour trouver celui du blog et j’avais du mal à me détacher du nom de L’Étagère du bas. Premièrement, parce que je l’aimais beaucoup et que j’avais eu beaucoup de bons retours sur son côté « original » et évident à la fois : nous faisons des livres pour les enfants, plutôt les petits (3-7 ans) donc on espère que nos livres sont quelque part dans les maisons, les librairies, les médiathèques, accessibles aux enfants donc en bas…
Deuxièmement, c’est avec ce nom que les gens du milieu de l’édition jeunesse ainsi que mes lecteurs de blog ont commencé à me connaître, j’ai donc voulu profiter de cette visibilité naissante.
Quelle est la ligne éditoriale ?
À cette question, j’aime répondre qu’il n’y a pas de ligne éditoriale vraiment définie. Peut-être se définira-t-elle avec le temps mais, pour l’instant, je choisis les projets à l’instinct. Mais, ce n’est pas non plus complètement juste de dire qu’il n’y a absolument pas de ligne éditoriale… car il y a tout de même des caractéristiques communes à nos ouvrages : uniquement des albums, autant d’importance accordée au texte qu’à l’illustration, une fabrication soignée et des histoires qui – je pense – prennent en considération les enfants en leur apportant quelque chose. Nous faisons confiance à leur intelligence ! Notre ambition est de publier des livres accessibles et à hauteur d’enfants…
Vous parliez tout à l’heure de la Suède, c’est un pays qui tient une place importante dans la maison
Effectivement ! Pour les raisons que j’ai mentionnées plus haut et désormais, je peux dire aujourd’hui que c’est le pays que je connais le mieux après la France. La littérature jeunesse tient une place importante en Suède et il y a une grande qualité des ouvrages. Au-delà des livres de Plupp, nous avons aussi à cœur de publier des albums récents comme nous l’avons fait avec Les Voisins sauvages d’Ulrika Kestere. Nous avons eu un réel coup de foudre pour le travail d’Ulrika et nous avons hâte de vous présenter son deuxième album qui sortira à l’automne prochain : Un pull pour Otto. Dans les années à venir, nous allons publier plusieurs traductions d’albums suédois : des classiques des années 70 mais aussi d’autres albums de la relève de la littérature jeunesse suédoise ! Je me tiens très informée de la production des albums suédois et, avec Fredrik, nous avons vraiment à cœur de faire connaître nos préférés en France.
Qui compose l’équipe et quel est le rôle de chacun·e ?
Même si ce n’est pas très poli, je suis obligée de commencer par moi car je suis la seule qui travaille à 100 % pour la maison d’édition. Je m’occupe de l’éditorial, de l’administratif, de la presse, de la communication, des manuscrits, des relations avec l’imprimeur, etc.
Fredrik est mon associé, je le consulte donc énormément et nous prenons les décisions ensemble. Mais, il a un autre métier qui lui prend beaucoup de temps et, malheureusement, il ne travaille pas à mes côtés tout le temps. Dès qu’il le peut, il se rend disponible pour animer des ateliers, participer aux salons du livre et il gère aussi les relations avec l’étranger. Et il a traduit tous nos ouvrages qui viennent de Suède !
Marie Gosset rédige les fiches pédagogiques et est une formidable assistante multi-tâches ! Céline Robert est notre maquettiste, mais elle s’occupe aussi du site Internet et de la communication visuelle de documents, d’invitations, etc. Elle a un œil formidable… Sans oublier Laura Baudot qui nous donne de sacrés coups de main !
Quel est l’album qui a le plus marqué la maison ?
C’est trop difficile comme question, impossible de répondre ! Ce serait comme me demander si je préfère l’un de mes deux enfants… Chaque livre symbolise quelque chose et s’inscrit dans une étape de création du catalogue de la maison d’édition. En cette fin d’année, ce que je retiens, c’est que nous terminons 2018 avec dix albums. Ce n’est pas rien de passer à deux chiffres !
En plus d’être éditrice, vous êtes blogueuse, vous avez un regard particulier sur la création actuelle. Qu’est-ce qu’un bon livre jeunesse pour vous ?
À mon grand désespoir, j’ai de moins en moins de temps à consacrer à mon blog mais j’essaie tout de même… il y a tellement de bons livres qui voient le jour ! Selon moi, un bon livre jeunesse est un livre qui plaira autant à un adulte qu’à un enfant : un bon livre n’a pas d’âge. Un bon livre jeunesse est un livre qui interpelle d’une façon ou d’une autre que ce soit par l’émotion, la réflexion, l’humour, etc. Les lectures nous construisent et c’est d’autant plus vrai pour les enfants. Les éditeurs ont donc une grande responsabilité ! Je déborde un peu de la question, mais j’ai du mal avec les beaux livres très esthétiques qui font semblant de s’adresser aux enfants, les albums trop « médicaments » véhiculant un gros message bien lourd et, les pires, ceux qui prennent les enfants pour des abrutis… Pour finir sur une touche plus positive, nous avons une très belle production en France et, au retour du Salon de Montreuil, on constate qu’il y a un large public pour la littérature jeunesse. Qui a dit que les enfants n’aimaient pas lire ?
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Comme beaucoup de gens travaillant dans l’édition, je lisais beaucoup étant plus jeune. J’ai eu la chance d’être élevée dans une famille où il y avait des livres et, avec mes frères et ma sœur, on ne nous refusait jamais un livre ! Le Géant de Zéralda de Tomi Ungerer est ma première grosse trouille (enfin, celle dont je me rappelle). Je trouvais la couverture vraiment terrifiante ! Lorsque j’ai été capable de lire seule, je me souviens clairement d’avoir eu la sensation qu’un nouveau monde s’ouvrait à moi. Je me rappelle avec émotion (et je l’ai toujours) de La Maison qui s’envole de Claude Roy. Je lisais vraiment de tout : des albums, des romans, J’aime lire, des BD (un gros faible pour Tom-tom et Nana), la collection des Castor poche, Les Belles Histoires, la collection Rouge & or. Claudine de Lyon de Marie-Christine Helgerson m’a beaucoup marquée, j’aimais bien les histoires tristes, dures. J’avais aussi une petite obsession pour les histoires où il y avait des petites filles jumelles, ça me fascinait ! Le genre épistolaire me plaisait aussi énormément : je lisais beaucoup de livres avec des histoires d’amitié mettant en scène des échanges de lettres. En parallèle, on s’écrivait beaucoup avec mes ami·e·s et, adolescente, j’ai continué. À l’adolescence, je me suis tournée vers les classiques comme Hugo, Zola, Maupassant, etc. avec beaucoup de plaisir et pas seulement par obligation. Bref, j’ai continué à lire !
Quelques mots sur les prochains ouvrages que vous publierez ?
Ce sera donc l’année prochaine et 2019 promet de très beaux albums ! Il y en aura 9 en tout : 7 créations françaises et 2 traductions suédoises. La Vie rêvée de M. Maniac d’Adèle Tariel et Jérôme Peyrat (février), Moi mon ombre de Sébastien Joanniez et Evelyne Mary (mars), Minimichel de Pauline de Tarragon (avril, deuxième collaboration après Le Cri de Zabou), Marions-les ! de Éric Sanvoisin et Delphine Jacquot (mai), J’aimerais de Stéphanie Demasse-Pottier et Gérard DuBois (août), Capricieuse de Béatrice Fontanel et Lucile Placin (septembre), Un pull pour Otto d’Ulrika Kestere (octobre, deuxième collaboration après Les Voisins sauvages), Gustave Mouche d’Éva Chatelain (octobre) et La Chanson qui venait de l’autre côté de la mer de Emma Virke et Fumi Koike (novembre). Des albums avec des styles littéraires et des genres graphiques très différents ! Nous voulons continuer de proposer des histoires qui éveilleront l’imaginaire des petits lecteurs.
Bibliographie :
- Riquet, d’Elsa Oriol (d’après Charles Perrault) (2018).
- La Danse du Cygne, texte de Laurel Snyder, illustré par Julie Morstad (2018).
- Les Voisins sauvages, d’Ulrika Kestere (2018), que nous avons chroniqué ici.
- La Disparition de Chou, texte de Stéphanie Demasse-Pottier, illustré par Élodie Perrotin (2018).
- Comme son ombre, de Laurent Cirelli et Prune Cirelli (2018).
- Quand j’étais petite…, texte de Sara O’Leary, illustré par Julie Morstad (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Louise, texte de Stéphanie Demasse-Pottier, illustré par Magali Dulain (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Plupp fait un grand voyage, d’Inga Borg (2017).
- Le Cri de Zabou, de Pauline de Tarragon (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Plupp construit sa maison, d’Inga Borg (2016).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Sophie Adriansen
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Sophie Adriansen qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
De retour du salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, je livre à chaud un coup de cœur et un coup de gueule liés à la manifestation, et dans cet ordre conformément au titre de cette rubrique.
Coup de cœur
J’aime le partage. J’ai toujours pensé que ce qu’on partageait bénéficiait autant à celui qui donnait qu’à celui qui recevait. Que tout le monde s’en trouvait gagnant.
Mercredi soir, lors de l’inauguration du salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, a été lancé « émergences », recueil de douze nouvelles de littérature jeunesse issu du projet du même nom organisé par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse. Ce projet est le pendant romanesque du désormais célèbre « voyage à Bologne » : un accompagnement de débutants dans le métier par des professionnels plus aguerris. En tant que marraine (parmi d’autres), j’ai pu conseiller plus particulièrement une autrice et un auteur avant de partager mon expérience avec l’ensemble des « émergents » le temps d’une après-midi d’octobre. Outre la publication du recueil, distribué gratuitement pendant toute la durée du salon et disponible également en langue anglaise, les douze lauréats ont rencontré des éditeurs dans le cadre de « speed-dating » littéraires organisés pendant le salon. J’ai eu des échos des deux côtés de la table : il semble que cela soit plein de promesses, de part et d’autre.
C’est inscrit dans l’ADN de la Charte, qui rassemble des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse depuis plus de quarante ans : la transmission ; l’union ; la réflexion commune ; la valorisation des singularités ; l’entraide ; le partage.
Et moi, j’aime le partage.
Coup de gueule
Traditionnellement, le ministre de la Culture se rend au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil. Cette année, le nouveau nommé n’a pas daigné honorer le salon de sa présence, alors même que le monde de l’édition est chahuté par les rachats et autres regroupements, et que, du côté des auteurs et des autrices, on guette avec énormément d’inquiétudes les mesures gouvernementales qui promettent de tuer une profession que l’on refuse de considérer comme telle – avec le risque, en guise de dommage collatéral, de tuer le livre, déjà symboliquement enterré en juin dernier. Qu’il s’agisse d’un mépris ordinaire ou de l’ignorance de la nécessité de la lecture pour se construire, cette absence en dit long sur le rapport du gouvernement à la culture.
Bibliographie jeunesse :
- Papa est en bas, roman, Nathan (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Lise et les hirondelles, roman, Nathan (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Hors piste, roman, Slalom (2017).
- Série Lucien et Hermine apprentis chevaliers, romans, Gulf Stream Éditeur (2017-2018).
- Où est le renne au nez rouge ?, album illustré par Marta Orzel, Gulf Stream Éditeur (2017), que nous avons chroniqué ici.
- série Quart de frère quart de sœur, romans, Slalom (2017).
- La vache de la brique de lait, album illustré par Mayana Itoïz, Frimousse (2017).
- Les grandes jambes, roman, Slalom (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Max et les poissons, roman, Nathan (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Musiques diaboliques, roman, Nathan (2015).
- La menace des fantômes, roman, Nathan (2015).
- L’attaque des monstres animaux, roman, Nathan (2015).
- Drôles d’époques !, roman, Nathan (2015).
- Drôles de familles !, roman, Nathan (2014).
- Le souffle de l’ange, roman, Nathan (2013).
- J’ai passé l’âge de la colo !, roman, Éditions Volpilière (2012), que nous avons chroniqué ici.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Tout à fait d’accord avec le coup de gueule de cette semaine ! Quel mépris…