Pour ce dernier mercredi de l’année, je vous propose une interview d’Armelle Modéré qui vient de sortir Le gros pull aux éditions Flammarion, puis nous avons rendez-vous avec Dia Kebe, fondatrice et présidente de l’association Diveka afin qu’elle nous livre un coup de gueule.
L’interview du mercredi : Armelle Modéré
Parlez-nous de votre parcours.
Il est assez basique. Je suis sortie de six années de Beaux-arts avec un sentiment très mitigé sur une future carrière de peintre. L’aléatoire professionnel me faisait peur tout en m’attirant pour le côté créatif dont je ne pouvais me passer. J’ai décidé de passer mon CAPES d’arts plastiques, pour avoir un métier sûr et pouvoir griffonner à côté. J’ai raté mon CAPES et mon agrégation et me suis retrouvée dans le monde du travail intérimaire, je suis aussi devenue maman cette année-là. J’ai décidé de devenir illustratrice de livres pour enfants, tellement j’ai été émerveillée par les propositions visuelles et narratives. Je me suis souvenue que j’avais toujours fabriqué des petits livres, écrit des romans et des BD quand j’étais enfant et adolescente. Je ne pouvais pas faire un autre métier, c’était évident et je me suis promis d’y arriver (Ah ! Ah !) J’ai pris mes cartons sous le bras, parcouru les salons, sonné aux portes des éditeurs, envoyé des projets sans relâche, j’ai écrit et dessiné jusqu’à ce qu’on me dise « oui ». Je crois que j’ai cassé les pieds à pas mal d’éditeurs. Et puis l’École des loisirs m’a donné ma chance et depuis 21 ans, je peux exercer ce fabuleux métier !
J’aimerais que vous nous parliez de l’album Le gros pull sorti il y a peu chez Père Castor.
C’est mon premier texte ! Avec La Bassine sorti en juin chez Mango ! En fait, j’étais submergée par le travail de BD depuis quelques années, je n’avais plus le temps de faire des albums et ça me manquait terriblement, je n’avais pas envie de faire uniquement de la BD. Alors j’ai ressorti des vieux textes, je les ai retravaillés et, sachant que je ne pourrais pas les illustrer moi-même, je les ai envoyés en tant qu’autrice ! J’ai vraiment hésité, parce que j’ai toujours l’impression que je ne sais pas écrire, vu que je n’ai pas eu de formation. Je doute beaucoup, je dois énormément travailler, mais ces deux albums se sont arrachés, pour la première fois de ma vie, j’ai dû choisir un éditeur…
Et pour Le gros pull lui-même, j’aime beaucoup les histoires classiques à tiroirs.
Je repense à mes lectures d’enfant.
Pouvez-vous nous dire aussi quelques mots sur votre série Lili Pirouli éditée par Des ronds dans l’O ?
C’est justement mon premier éditeur BD, je n’avais pas de réseaux à l’époque et Nancy Guilbert non plus. On était ravies que notre Lili Pirouli plaise. C’est Nancy qui m’a proposé ce projet et j’adorais sa petite héroïne mais je lui ai dit « Je ne sais pas faire de la BD… Par contre, j’en lis beaucoup et j’ai toujours aimé ça. Elle m’a convaincue d’essayer et comme c’était un projet, graphiquement parlant qui pouvait être proche de l’album, je me suis lancée.
L’aventure a commencé il y a 7 ans, nous sommes au tome 6. J’espère qu’on en fera d’autres. Et cette série a été un tremplin vers la réalisation d’autres BD chez Des ronds dans l’O ou d’autres éditeurs.
Vous êtes autrice de certains projets et illustratrice d’autres. Pouvez-vous nous raconter comment se passent les choses, comment vous décidez ce que vous allez faire sur un projet ?
J’ai toujours inventé des projets histoire + illustrations, mais comme je l’ai dit au départ, j’avais une formation graphique uniquement. Donc, soit je me débrouillais pour faire écrire mes histoires (ma première à L’École des loisirs) soit j’illustrais les textes des autres. Mais ça ne me gênait pas, je trouvais leurs histoires très chouettes. Puis à l’École des loisirs, ils m’ont demandé de faire des efforts côté écriture alors j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis mise à faire mes propres textes, que j’illustrais systématiquement. Puis, par manque de temps pour dessiner après m’être retrouvée noyée par le travail de bande dessinée, j’ai commencé à envoyer mes textes seuls, l’année dernière seulement. Donc je décide ce que je vais faire sur un projet en fonction du temps dont je dispose…
En tant qu’autrice, intervenez-vous sur le travail de l’illustrateur·rice ?
Absolument pas. Même si j’ai souvent crayonné mes textes en amont (ça m’aide à écrire !). Et surtout je ne compare pas leur travail au mien. Je leur fais totalement confiance et me laisse émerveiller par leur propre vision des choses qui peut être parfois assez surprenante. Mais j’ai suffisamment dessiné sous contrainte pour savoir qu’avoir de la latitude, voire de la liberté, c’est appréciable !
En tant qu’illustratrice, quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Tout ce qui me tombe sous la main et qui peut servir mon sujet. Pour des petits, plutôt du collage (Capitaine Lupo, Frimousse, Le cadeau de Mémé Loup, Atelier du poisson soluble) ; ça peut être du feutre + crayon de couleur (Jules B, Des Ronds dans l’O ou L’école de Zéline, Sarbacane), de l’aquarelle (tous mes albums EDL, Willa et la passion des animaux, Jungle) ou bien en numérique comme Lili Pirouli ou Petit-Panda dans le magazine Abricot. Je n’ai ni style ni technique en particulier, ce qui rend un peu floue la lecture de l’ensemble de mon travail mais c’est comme ça que j’ai toujours fonctionné et personne ne m’a jamais rien dit…
Comment naissent vos histoires ?
Elles naissent partout, tout le temps dans mon cerveau encombré toujours à l’affût d’une idée…
Je n’aurai jamais assez d’une seule vie pour reprendre toutes mes petites fiches à histoires que je consigne précieusement dans un classeur-à-futures-histoires, en espérant avoir du temps pour y revenir !
Qui sont vos premier·ères lecteur·rices ?
Quand ils étaient petits, c’était mes enfants, les pauvres, ils le faisaient pour me faire plaisir, sinon mon mari, mais j’ai vite compris que ce n’était pas spécialement leur genre. Maintenant je les consulte uniquement sur la compréhension, le déroulé, éventuellement. Je n’ai pas de collègues près de moi, alors je fais confiance à mon travail et surtout, je lis mes histoires à haute voix en les ayant « oubliées » pendant plusieurs semaines dans un tiroir et en les lisant comme si je ne les avais jamais entendues avant. Je sais aussi que le temps est mon allié pour mieux reprendre/corriger mes histoires, comme les gâteaux qui ne se démoulent pas chauds !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Houlà ! Ma mère tenait à ce que nous lisions chaque jour — j’ai eu une éducation assez stricte.
Par chance, j’aimais ça, contrairement à certains de mes frères. Par contre je ne pouvais pas choisir mes lectures. Mais on peut dire que j’ai réussi à apprécier toutes les Comtesse de Ségur et les Jules Verne, tandis que chez mes grands-parents, je m’enfilais les Fantômette, Le Club des cinq ou Les Six compagnons puis les Alice (l’époque de La Bibliothèque verte !) ! Je dévorais aussi les BD, comme les Tintin ou les Schtroumpfs ! Bref, je lisais tout et j’adorais mes livres scolaires avec leurs magnifiques illustrations ! Ça me faisait rêver, comme l’odeur des tampons sur la marge des cahiers que nous pouvions colorier ou les images récoltées grâce aux bons points !
Quelques mots sur les prochaines histoires que vous nous proposerez ?
Je suis un peu en suspens en BD, car mes éditeurs ne savent pas s’ils vont continuer mes séries ou pas. Du coup, ça me donne du temps pour créer et pour, je l’espère illustrer un prochain album pour les petits. J’ai aussi un album qui sort chez Mango au printemps, intitulé Hop au lit ! qui sera illustré par la talentueuse Amélie Vidélo. Il y aura quelques histoires chez Bayard, des retouches sur des Apolline… Bref pas le temps de s’ennuyer !
Bibliographie sélective :
- Le gros pull, album illustré par Djohr, Flammarion jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Série Lili Pirouli, BD, scénarios de Nancy Guilbert, Des ronds dans l’O (2014-2021), que nous avons chroniqué ici et là.
- Série Apolline, BD, scénarios de Didier Dufresne, Mango (2001-2021).
- La bassine, texte et illustrations, Mango (2021).
- Série Willa et la passion des animaux, BD, scénario et illustrations (2019-2021).
- Zébuline, vive l’amitié, album, illustration d’un texte de Nancy Guilbert, Des ronds dans l’O (2019).
- Série L’école de Zéline, BD, scénarion et dessins, Sarbacane (2017).
- Le tout petit bébé de la rivière, album, texte et illustrations, Albin Michel (2017).
- La grosse faim de Captain Lupo, album, illustration d’un texte de Christelle Vallat, Frimousse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- L’anniversaire de Zozo, texte et illustrations, Hatier Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Plouf !, texte et illustrations, Hatier Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
- Coucou !, texte et illustrations, Hatier Jeunesse (2012), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Armelle Modéré sur son blog et sur Instagram.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Dia Kebe
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Dia Kebe qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule… Enfin surtout un coup de gueule !
Cela fait maintenant presque six ans que Diveka — Diversité & Kids, association pour la promotion de la diversité dans les cultures jeunesse — existe. J’en suis la présidente et fondatrice. Dès le départ, il nous a paru urgent de nous attaquer à la problématique du manque de diversités et de représentations dans la littérature jeunesse mainstream. De celle que l’on trouve le plus facilement dans les librairies, les grandes surfaces, etc.
La conversation a beaucoup évolué depuis les débuts de l’association et j’ai toujours pris très au sérieux mes interventions dans le débat public et plus encore j’ai à cœur de mettre en avant les initiatives qui nous ont précédés mais aussi les nouvelles. Dans le numéro 229 de la revue NVL, un article de Mme Claudine C. Stupar tente de « nuancer » mes déclarations et propos en s’appuyant sur une sélection de livres.
Gabriel m’a demandé, il y a de ça plusieurs mois déjà, si je voulais participer à sa rubrique coup de cœur/coup de gueule. Je n’avais pas vraiment d’idées de thématique à lui proposer mais à la lecture du texte paru dans NVL, je me permets de faire une réponse publique. Réponse d’autant plus importante que cette année Diveka a eu l’opportunité de travailler avec une maison d’édition d’un grand groupe et que nous publions notre premier livre entièrement financé par un crowdfunding entre autres projets importants à venir pour 2022. Le succès de ces deux projets me pousse à écrire cette lettre ouverte.
Chère Mme Claudine C. Stupar,
C’est la première fois que j’écris ce type de réponse. Je n’ai rien contre vous, je ne vous connais pas et on ne se rencontrera probablement jamais. J’ai lu avec attention votre réflexion autour d’une sélection de livres ainsi que le petit mot qui accompagnait le magazine NVL que j’ai reçu et je ne vous cache pas que pendant quelques secondes j’ai été en colère… mais comme d’habitude la colère est vite retombée.
Mais voilà le mal est fait et votre magazine et votre article sont publiés avec mes nom et prénom et celui de Diveka, visibles presqu’une dizaine de fois (j’ai compté).
Je ne clame pas être une spécialiste de la littérature jeunesse, loin de là. Je suis une jeune femme née en France de parents immigrés qui ne lisent pas le français. Je suis mère. Et enfin je suis une femme noire. La somme de ces identités fait que mon parcours, ma vie, ma précarité, mes choix, mon expérience face au racisme et au sexisme sont loin des vôtres. Je ne suis pas pédagogue, j’ai un caractère disons difficile sur les réseaux sociaux mais dans les faits je suis une crème ^^
Je déteste le fait de devoir justifier mon humanité. Ce que je suis en train de faire par cette lettre ouverte. J’aurais pu vous écrire directement et me plaindre mais je pense que cette lettre peut servir à tous et toutes.
En pensant à ce que j’allais vous écrire je me suis dit qu’il fallait absolument que je vous parle du point de vue situé, d’intersectionnalité, de bell hooks, d’Audre Lorde, de Paulette Nardal et autres féministes noires mais aussi de sociologues et d’autres études récentes sur les questions de diversités et les représentations. Ah oui j’oubliai dans ma présentation de dire que je suis aussi féministe (une mauvaise féministe en plus de ça !).
J’étais partie sur plusieurs contre-arguments, plusieurs paragraphes explicatifs largement commentés, des contre-exemples, de la littérature sociologique et puis je me suis souvenue de ma promesse faite à moi-même il y a quelques années. Celle où je me suis promis de ne plus entrer dans des débats stériles.
Je déplore le fait que votre article soit autant à charge contre ma personne (c’est ainsi que je l’ai ressenti) et mon association et ses combats. Rien de ce que je pourrais dire ou montrer ne vous fera changer d’avis. Si tel avait été le cas vous nous auriez contactés.
Je n’essaierai donc pas.
Je vais juste exposer ici mes grandes espérances :
- J’espère que votre revue prend à cœur depuis toujours et ce tous les mois d’avoir des sélections diversifiées,
- j’espère que votre équipe est aussi diversifiée que votre sélection,
- j’espère que ce n’est pas la première fois que vous mentionnez certains livres de votre sélection
- j’espère que vous avez lu avec attention l’article d’Élodie Malanda dans lequel elle écrit que « (..) les personnages noirs et, en moindre mesure, ceux d’origine asiatique ou maghrébine font lentement leur entrée dans la littérature de jeunesse en France » — « LENTEMENT écrit-elle… »,
- j’espère que vous aviez noté la date à laquelle l’article de Terrafemina a été publié et que vous prenez en compte le fait que le débat sur le manque de diversité évolue et est bien plus complexe que ça,
- j’espère que vous avez lu d’autres interviews plus récentes de ma personne.
Cela fait quelques années maintenant que je fais ce que je fais. Je suis toujours étonnée par le fait que des personnes qui n’ont pas la moindre idée de ce que vivent les populations marginalisées puissent dire : « Oui, MAIS » à chaque analyse, chaque article, chaque papier, soumis par des personnes qui ont des analyses complexes sur leur existence et le monde dans lequel elles évoluent.
Ce « mais » était extrêmement décourageant pour moi il y a quelques années, mais aujourd’hui il est révélateur. Je ne ferai plus aucun effort, aucun compromis pour ménager les égos. Mettre en avant des livres où les personnages vont jusqu’à se décolorer pour devenir blancs, c’est avoir une méconnaissance totale des communautés noires gangrénées par la dépigmentation, c’est dangereux et pour reprendre l’un de vos termes : c’est violent.
Paradoxalement, en dehors de votre article et dans la même veine celui sur Alma par l’auteur pour qui « il faut qu’un homme blanc puisse d’endosser le rôle d’une petite fille noire » : la qualité des autres analyses de ce numéro est au rendez-vous.
Pour conclure, je vous remercie de me donner l’opportunité de m’exprimer de cette façon inédite pour moi et de démontrer une nouvelle fois, l’importance d’avoir de nouvelles voix, de nouvelles histoires dans la littérature jeunesse pour contrer un récit qui voudrait que nous nous contentions de peu en plus d’avoir à remercier pour des représentations plus que douteuses et hasardeuses de nos existences, de notre folklore, de nos patrimoines.
Parler du manque de diversités, de représentations, etc., ce n’est pas un appel pour avoir des explications ou des justifications bancales sur un état de fait dont tout le monde est au courant. C’est avant tout trouver des solutions, s’entraider et développer des actions pour corriger le déséquilibre et ce à plusieurs niveaux : du recrutement dans les maisons d’édition, en passant par la formation acteurs·trices culturel·les, jusqu’à l’accès à la publication pour des personnes marginalisées.
Rien de plus.
Bien cordialement,
Dia
Dia Kebe est la présidente et la fondatrice de l’association Diveka – Diversité & Kids, association pour la promotion de la diversité dans les cultures jeunesse. Elle vient de sortir un ouvrage intitulé Les puissantes, portraits illustrés de 20 femmes noires d’hier, d’aujourd’hui et de demain édité par l’association. Vous pouvez retrouver cette association ainsi que les informations sur le livre sur leur site mais aussi sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !