Aujourd’hui on reçoit l’illustratrice et l’autrice d’un très bel album qui vient de sortir aux éditions L’étagère du bas, Le jour où j’ai grandi. La première, Lucille Michieli, a accepté de répondre à mes questions. La seconde, Madeline Roth, nous livre ses coup de cœur et coup de gueule.
L’interview du mercredi : Lucille Michieli
Pouvez-vous nous parler de Le jour où j’ai grandi, le texte de Madeline Roth que vous avez illustré pour les éditions L’étagère du bas ?
J’ai eu un énorme coup de cœur pour ce texte particulier qui traite du passage de l’enfance à l’adolescence, de l’hyper sensibilité aussi. C’est un texte introspectif très poétique.
Et puis comme je suis née un 30 décembre, une jeune fille qui fait le point sur sa vie en fin d’année, ça m’a parlé.
Comment ce projet est arrivé entre vos mains et comment avez-vous travaillé dessus ?
C’est l’éditrice qui me l’a envoyé un jour, elle connaissait mon travail et pensait que mon univers pourrait coller. J’étais dans un train et je n’avais pas prévu de me lancer dans l’illustration d’un album, mais quand je l’ai lu j’ai tout de suite eu envie de dire oui !
Nous avons travaillé le découpage du texte, puis j’ai fait un premier chemin de fer pour imaginer le déroulé. Ensuite j’ai beaucoup beaucoup cherché la couleur, le traité.
J’imaginais une forêt luxuriante car pour moi elle représente les pensées de l’héroïne, en même temps le texte se passe en hiver, il fallait trouver un compromis.
Au fur et à mesure, Louve se défait de ses vêtements, elle se sent plus libre. J’avais envie d’ajouter ce genre de petite narration dans l’image afin que ce ne soit pas un simple copié collé du texte.
Comment s’est passée la collaboration avec Madeline Roth ?
Cela peut paraître étonnant mais nous n’avons pas échangé pendant le travail d’illustration. L’éditrice faisait le lien entre nous. Madeline semblait aimer ce que je proposais et ne m’a pas fait de retour particulier. De mon côté je ne me sentais pas seule dans l’aventure car je me suis énormément appuyée sur le texte, il était toujours sur un coin de mon bureau, tout annoté de partout.
Nous nous sommes rencontrées une fois le livre sorti, je suis allée dédicacer dans sa librairie.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
En général je travaille beaucoup avec Procreate sur mon iPad ce qui me permets d’avoir une grande flexibilité. Mais j’adore le travail à la main, pour cet album cela me semblait évident que tout devait être en traditionnel pour retranscrire la sensibilité du texte.
J’ai utilisé de la gouache très diluée (un peu comme de l’aquarelle) et des crayons de couleur.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
C’est difficile à dire. Je m’inspire de mon quotidien, les couleurs, les objets qui m’entourent. J’ai une grande bibliothèque et j’ai gardé mes jeux et livres d’enfance.
Comment choisissez-vous vos projets ?
Au coup de cœur ! Je dois ressentir un fourmillement et avoir envie d’ouvrir directement mon carnet pour noter des idées.
Bien sûr j’ai aussi des projets plus alimentaires, mais de manière générale j’ai la chance de travailler sur des sujets que j’adore.
Parlez-nous de votre parcours.
J’ai étudié à l’École Estienne puis j’ai travaillé quelques années en agence de communication avant de me mettre à mon compte. J’ai fait de la déco, du graphisme et à la naissance de ma première fille j’ai eu envie de me recentrer sur le dessin. Depuis je suis illustratrice, ça a mis du temps avant qu’il n’y ait que cela d’écrit sur ma carte de visite.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Il y avait beaucoup de livres chez nous. Petite j’étais abonnée à plusieurs revues, je lisais les J’aime lire, les Belles Histoires, le Journal de Mickey. Dans mes albums d’enfants préférés il y a La famille souris de Kazuo Iwamura, les livres de Philipe Corentin, tous les romans de Roald Dahl que j’ai dévorés à la suite.
Évidemment à l’adolescence, j’ai été comme beaucoup emportée par l’univers d’Harry Potter, j’ai aussi eu un gros coup de cœur pour la trilogie À la croisée des mondes de Philip Pullman.
Il y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ?
Bien sûr, j’ai beaucoup d’admiration pour les auteurs et autrices qui abordent de vrais sujets avec les enfants, je pense à Kitty Crowther ou Tove Jansson mais il y en a bien d’autres. J’aime les artistes qui réussissent à plonger leur lecteur dans leur monde.
Quelques mots sur les prochaines histoires que vous nous proposerez ?
Nous avons un nouvel album avec L’étagère du Bas à paraître en 2024, ce sera encore un texte très sensible dans un registre différent.
En attendant je continue mes projets autour du jouet pour Moulin Roty et Djeco avec qui j’ai la chance de collaborer depuis plusieurs années.
Bibliographie :
- Le jour où j’ai grandi, illustration d’un texte de Madeline Roth, L’étagère du bas (2022).
- Boucle d’Or et les trois ours, illustration d’un texte de Charlotte Grossetête, Fleurus (2022).
- La féérie des opéras, album, illustration d’un texte d’Élodie Fondacci, Auzou (2019).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Madeline Roth
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Madeline Roth qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule…
Je n’ai pas beaucoup réfléchi quand Gabriel m’a proposé un coup de gueule ou un coup de cœur. Des coups de gueule, je ne sais pas faire, j’en ai jamais. Je hais les conflits. J’ai bien pensé au prochain roman de Valérie Dayre qu’elle publie chez l’Harmattan faute d’avoir trouvé un autre éditeur mais ça faisait pas un vrai coup de gueule, quand on écrit on sait qu’on ne sera pas forcément publié. Rien n’est jamais acquis, même après, comme elle, plus de vingt livres.
Alors j’ai pensé à la librairie où je travaille. J’ai déjà tellement écrit sur elle mais je reste persuadée de ne pas avoir tout dit. Parce que c’est une longue histoire d’amour, et comme toutes les histoires d’amour, elle a quelque chose à raconter chaque jour. Je travaille à L’Eau Vive depuis plus de vingt ans maintenant. Le jour de mon entretien, j’ai regardé longuement la vitrine, les vitrines d’Yvette étaient toujours splendides, et je me souviens qu’il y avait Le livre des gnômes dedans. Je suis entrée, en avance, et j’ai regardé les livres sur les tables et les étagères. J’y ai cherché mes idoles, Thierry Lenain, Susie Morgenstern, et j’étais rassurée de les savoir là. L’entretien est passé comme un éclair. Sylvie m’a dit, à la fin : mais vous aimez les livres, quand même ? Et Jean-François lui a souri et il a dit, mais bien sûr. Bien sûr. Quelle autre condition fallait-il pour travailler en librairie ? Je n’avais aucune expérience et je me suis retrouvée un matin d’octobre à la caisse de la librairie. Chaque soir, je ramenais chez moi des dizaines d’albums. Je voulais tout lire. J’avais eu une enfance baignée de lectures mais je ne connaissais pas tout. Je voulais tout connaître.
Il est un peu avant dix heures, la librairie est encore fermée. Je fume une cigarette devant la porte. Puis j’entre, je pose mes affaires et je me fais un café. Le livreur dépose sa palette de colis. Dedans, des commandes et puis le Graal, des nouveautés. Je me souviens très bien qu’un jour Mélanie avait écrit c’est chaque jour Noël et c’est un peu vrai. J’aime tout dans mon métier. Conseiller des gens, ranger des livres, déballer des cartons, accueillir les représentants, lire des histoires aux enfants. Si on me demandait, peut-être que je changerai une chose, je ne mettrai pas mon bureau à côté des présentoirs de livres sonores que les gens testent parfois sans vergogne. C’est tout. La librairie, c’est ma deuxième maison. L’endroit où je suis parfaitement à ma place. J’ignore bien sûr de quoi demain sera fait, si je ne quitterai pas cet endroit jusqu’à ma retraite, mais ces vingt ans sont là et bien là. C’est ça de gagné. Publier des livres est l’une de mes plus grandes fiertés. C’est un rêve d’enfant qui un jour a vu le jour. L’écriture a pris une place quasi essentielle dans ma vie. Mais je sais que ce rêve est possible parce que, dans ma vie, tout va. J’ai la place pour écrire. J’ai un môme, un amour, un toit, un métier. Je n’écrirais sans doute pas si je n’avais pas autant lu. Et j’ai trouvé, le rêve, le métier qui me permet de lire encore plus que quiconque. Aux prochaines vacances, je me suis promis d’acheter des étagères pour chez moi. Parce que depuis des mois, les piles s’élèvent dans mon salon. Lire, et puis lire encore, et puis écrire. Je me suis bâtie une vie de couvertures.
Madeline Roth est autrice. Son dernier album, Le jour où j’ai grandi, vient de paraître aux éditions L’étagère du bas (voir interview ci-dessus). Elle est également libraire à L’Eau vive à Avignon et collabore régulièrement aux revues Citrouille et Page des Libraires.
Bibliographie jeunesse de Madeline Roth :
- Le jour où j’ai grandi, album illustré par Lucille Michieli, L’étagère du bas (2022).
- Mon père des montagnes, roman, Le Rouergue (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Tant que mon cœur bat, roman, Thierry Magnier (2016).
- À ma source gardée, roman, Thierry Magnier (2015), que nous avons chroniqué ici.
- L’été de Léa, roman, Sarbacane (2015).

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !