Aujourd’hui, nous recevons Sophie Grenaud, autrice du roman Diego aime Julie paru au Rouergue. Puis c’est l’autrice Béatrice Fontanel qui se prête à la rubrique Coup de cœur/coup de gueule. Son dernier album, La petite espionne des Nymphéas, illustré par Alexandra Huard vient de paraître dans une coédition entre Seuil Jeunesse et le musée de l’Orangerie.
L’interview du mercredi : Sophie Grenaud
Pouvez-vous nous résumer votre roman Diego aime Julie ?
Un jour qui aurait pu être comme les autres, Diego avoue à Julie qu’il l’aime, et ça change tout. Julie panique. Mille questions se faufilent en elle. C’est quoi l’amour ? Qu’est-ce qui rend amoureux ? Comment savoir si on est amoureux ? Le pire, c’est que Diego attend une réponse, et le pire du pire, c’est que tout le collège veut connaître cette réponse. Julie aussi aimerait savoir ce qu’elle va répondre à Diego…
Qu’est-ce qui a inspiré son écriture ?
Souvent les histoires commencent à se fabriquer sans que je le décide vraiment. C’est ce qu’il s’est passé pour Diego aime Julie. Ça débute par une anecdote que l’on me raconte ou un événement qui arrive autour de moi. Un écho intérieur se crée et des souvenirs surgissent. C’est la phase où questions et idées s’empilent. Ensuite, le quotidien m’envoie des clins d’œil pour me ramener sans cesse au sujet. Un jour, je découvre que des personnages se sont installés dans ma tête et discutent entre eux. Il devient alors urgent d’écrire…
Le sujet est socialement très fort et vous avez réussi à l’adresser à un public jeune : c’était votre objectif dès le départ ?
Oui. J’avais très envie de plonger dans cette période de fin de primaire, début de collège, où chaque événement est chargé d’une intensité émotionnelle énorme. L’enfance se teinte d’adolescence, l’impact du groupe s’intensifie, on veut avoir l’air grand, être grand, sans toujours savoir qui l’on est, qui l’on aimerait devenir, ni comment faire pour y parvenir.
Comment avez-vous choisi le titre : Diego aime Julie ?
J’ai d’abord pensé que Diego aime Julie serait un titre provisoire, un simple intitulé de document de travail, mais plus l’écriture avançait, plus ce titre me paraissait juste. J’aime sa simplicité. J’aime qu’il annonce le sujet comme une évidence, un fait clair et établi alors que, justement, Julie se débat avec des cohortes de questions.
Vous êtes poétesse par ailleurs, est-ce que la poésie influence votre manière d’écrire des romans ?
C’est ce que disent souvent celles et ceux qui me lisent. Ce n’est pas mon intention première, mais j’y vois une certaine logique car dans le geste d’écrire, j’ai un vrai plaisir à jouer avec le rythme et la musicalité des phrases, tout comme j’aime voir surgir des images inattendues, organiques. Je suis attentive à cet espace où la langue se forme au plus près de la pensée, dépouillée de l’artifice de la construction académique.
Comment êtes-vous entrée dans l’écriture ?
J’ai écrit toute ma vie, mais seulement dans ma tête. Pour passer à l’acte et vaincre le blanc de la page, il m’a fallu un stage d’improvisation en théâtre, couplé à un atelier d’écriture. L’écriture fragmentaire s’est imposée en premier, puis la poésie, suivie de formes plus longues, jusqu’au roman. Aujourd’hui, les mots ont pris possession de tout l’espace-temps disponible.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Mon parcours de lectrice est d’un grand classicisme…
Après avoir consciencieusement dévoré la Bibliothèque rose, j’ai enchainé avec la Verte. Puis Le Lion, de Kessel, et Sans Famille d’Hector Malot m’ont bouleversée. J’ai souvenir d’avoir dû m’arrêter car je n’arrivais plus à lire entre mes larmes.
Au début du collège, Jules Verne est entré dans ma vie, accompagné de Tolkien, Vian et Agatha Christie. Un joyeux mélange !
Vous êtes adhérente de la Charte des auteur·rices et illustrateur·rices, pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit et pourquoi cette association est importante pour vous ?
Écrire implique passion et liberté, alors certains tentent de minimiser la dimension professionnelle de cette activité et de ses prolongements (négociation de contrats, rencontres, animation d’ateliers…). Il est donc utile que les auteurs et autrices, souvent solitaires, se groupent pour défendre leurs intérêts communs. C’est le rôle de la Charte. Cette association agit pour améliorer les conditions de travail et de rémunération de notre métier et aider aux démarches juridiques et administratives.
Avez-vous un nouveau projet d’écriture en cours ?
Deux albums jeunesse pour les petits et tout-petits sont en préparation, probablement pour une édition en 2025. Côté roman, je suis en phase de re-réécriture d’un texte qui s’adresse aux enfants en fin de primaire. Il prendra la forme d’une enquête où il sera question d’amour, mais pas seulement.
Bibliographie jeunesse :
- Diego aime Julie, Rouergue, (2023).
Retrouvez Sophie Grenaud sur son compte Instagram.
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Béatrice Fontanel
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Béatrice Fontanel qui nous livre ses coup de cœur et coup de gueule…
Un coup de cœur, des coups de cœur, des coups au cœur, pas comme des coups de canon, mais des adorations littéraires pour se protéger de tout. Exemple : quand ça va mal, je m’emmitoufle dans les livres de Constantin Paoustovski, auteur courageux, conteur, poète, d’origine ukrainienne et polonaise qui écrit en russe, géant méconnu, talisman absolu, ami d’Isaac Babel et de Boulgakov avec qui il faisait les 400 coups au lycée à Kiev. Il fut publié chez Gallimard par Aragon dans la collection Littératures soviétiques, traduit de manière éblouissante par Paule Martin et Lydia Delectorskaya, muse, modèle et secrétaire de Matisse, belle femme au caractère bien trempé qui, paraît-il, en a fait drôlement baver à Jacqueline Duhême, qui a fini par quitter l’atelier de Matisse à cause de ce beau dragon… Mais je m’égare. Où en étions-nous ? Paoustovski, donc, a raconté sa vie en six volumes, hypnotiques de beauté, de tendresse et de burlesque, à une époque terrible. Une mine d’histoires à ciel ouvert, de la Première Guerre mondiale, en passant par la révolution russe et la guerre civile. Si j’allais sur une île déserte, à coup sûr, je les emporterais pour les relire jusqu’à ma mort, avec La Mer Noire du même auteur, recueil de nouvelles qui font écho à ce qui se passe aujourd’hui, (lire par exemple le pandémoniaque épisode de La Guerre souterraine qui se déroule sous la ville de Kertch).
« Ce qui octroie à l’Histoire d’une vie le rang d’un très grand livre, écrivait Piotr Rawicz dans Le Monde du 26 mars 1966, c’est l’amour que l’auteur porte à la Russie, à ses paysages, à son peuple jusque dans ses égarements, un amour qui à aucun moment ne frise le chauvinisme… C’est aussi le don de ressusciter les événements les plus gigantesques à partir de détails infimes “pris sous la loupe” ; c’est sa fraternité et sa pitié universelles – un génie du cœur qui sait déceler et respecter la parcelle de souffrance la mieux dissimulée, qui condamne parfois des actes mais rarement les hommes ; c’est sa compréhension de toutes les formes de l’art, même quand les esthétiques diffèrent de la sienne : les pages qu’il consacre à la personnalité et aux méthodes de travail d’Isaac Babel sont dignes d’une anthologie. La langue de Paoustovski, qui coule comme un fleuve puissant, parfaitement maîtrisé, lui confère le don d’accomplir des miracles… » Le musée Constantin Paoustovski, lui, qui se trouve au 6 rue de la Mer Noire à Odessa, est peut-être bombardé à l’heure où j’écris. Sur Wikipédia on trouve un article consacré au poète en ukrainien.
À vrai dire, tout est à lire dans cette collection des littératures soviétiques dirigée par Aragon qui en connaissait un rayon en la matière, d’autant qu’il devait être conseillé par sa compagne Elsa Triolet, pour aller repêcher tous les géants littéraires reclus de l’autre côté du rideau de fer. On peut lire tous les volumes au hasard (ceux qui ne sont pas épuisés), ils vous emportent toujours en vous secouant pour de grands voyages sans même quitter votre chambre, telle les Trois minutes de silence de Gueorgui Vladimov, auteur ukrainien qui prit en 1977 la tête de la section moscovite d’Amnesty International, alors interdite en URSS. L’auteur dut finalement s’exiler comme beaucoup d’autres… Extraordinairement traduit là encore par Lily Denis, dont j’aimerais beaucoup connaître la vie, le roman assez autobiographique de Vladimov raconte le quotidien de pêcheurs en mer de Barents, en février, avec ses naufrages homériques et ses sauvetages de bébés baleineaux… Conrad en serait resté pantois. La langue russe… la langue ukrainienne… Quelle est la moelle des langues ? J’ai été consternée d’apprendre dans Le Monde encore, le 3 mars 2024 (article de Florence Aubenas), que les bibliothèques en Ukraine allaient retirer de leurs rayons Dostoïevski, Tolstoï, Pouchkine… Les bibliothécaires semblent déchiré·es ou pour le moins, mal à l’aise… On les comprend. À Nikipol, sous les bombardements, la bibliothèque ouvre malgré tout chaque jour avec une remarquable ponctualité. Guillaume Herbaut, photographe de VU, signait, lui, une extraordinaire image d’une salle de classe installée dans une station de métro de Kharkiv, quotidiennement bombardée.
La semaine dernière, je suis allée à la bibliothèque avec ma petite-fille de trois ans qui a choisi les livres qu’elle aime, l’excellent C’est ma mare de Claire Garalon, et les DVD d’un film d’animation tchèque conseillés par une amie très chère, La Petite taupe (Taupek, Krtek ou Krtecek dans le texte), irrésistible personnage créé par le peintre et illustrateur Zdeněk Miler, en 1957. Tout est dit avec une fantaisie folle des avantages et des inconvénients de la modernité, mais le message qui domine, c’est un amour infini de la nature, tout comme chez Paoustovski.
Pour ce qui est du coup de gueule, je m’en prendrai à cette idée sinistre du port de l’uniforme à l’école, souvent gris ou bleu marine, avec écussons… Mettre les enfants en uniforme… Bon sang, quelle drôle d’idée ! Quel bourdon ! Et quel manque d’imagination, de créativité. D’autant qu’une étude britannique (de l’université de Cambridge), menée sur 1,1 million d’enfants âgés de 5 à 17 ans, dans 135 pays, démontre que le port de l’uniforme à l’école peut restreindre l’activité physique des élèves pendant la journée scolaire et même au-delà, et tout particulièrement celle des filles, le port de la jupe les détournant de la pratique de la roue. AH, MAIS NON ALORS !!!
Béatrice Fontanel est autrice pour les enfants mais pas que. Son dernier album, La petite espionne des Nymphéas est paru dans une coédition entre Seuil Jeunesse et le musée de l’Orangerie. Il est illustré par Alexandra Huard et lu dans une version audio par Arianne Dionyssopoulos. Il s’inscrit dans le prolongement du podcast Promenades imaginaires créé en 2019 avec le musée d’Orsay.
Bibliographie jeunesse sélective :
- La petite espionne des Nymphéas, illustré par Alexandra Huard, Seuil jeunesse (2024) que nous avons chroniqué ici.
- Frédégonde, la perce-siècle, illustré par Lucile Placin, Didier jeunesse (2022) que nous avons chroniqué ici.
- Comment chasser les zombis de mon lit, illustré par Loïc Froissart, Seuil jeunesse (2021).
- La Dame à la licorne, illustré par Vanessa Hié, Seuil Jeunesse (2020) que nous avons chroniqué ici.
- Capricieuse, illustré par Lucie Placin, L’Étagère du bas (2019) que nous avons chroniqué ici.
- Massamba, le marchand de tours Eiffel, illustré par Alexandra Huard, Gallimard jeunesse (2018) que nous avons chroniqué ici.
- Je suis la Méduse, Les Fourmis rouges, illustré par Alexandra Huard (2016) que nous avons chroniqué ici.
- Mon bébé aspirateur, illustré par Anne-Lise Boutin, Sarbacane (2016) que nous avons chroniqué ici.
- Escargot rêve, illustré par Céline Caneparo, Sarbacane (2013).
- Bogueugueu, les copains, l’école et moi, illustré par Marc Boutavant, Gallimard jeunesse (2006), série dont nous avions chroniqué un tome ici.
Quelques livres pour adultes :
- Le Train d’Alger, Stock (2016).
- Tentacules et manivelles, La Table ronde (2011).
- La Ménagère cannibale, illustré par Pierre Lescault, Seuil (2003).
Aime tellement parler des livres qu’elle en a fait son métier et son hobby ! Libraire généraliste la semaine, Manon écrit pour plusieurs médias le week-end et monte sur des volcans endormis en Auvergne dès qu’il lui reste cinq minutes.