Aujourd’hui, on rencontre Laurence Nobécourt, la créatrice de la maison d’édition À pas de loups. Elle nous parle de son parcours, de son amour de la littérature jeunesse, de ses ouvrages phares et des nouveautés (on s’en lèche les babines d’impatience!). Et puis on revient avec Nayel Zeaiter et Marie Bluteau sur le formidable Histoires de France en 100 fiches : un ouvrage engagé, foisonnant, encyclopédique et stimulant ! Bon mercredi !
L’interview du mercredi : Laurence Nobécourt
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’étais une professeure des écoles passionnée de littérature jeunesse. Durant mes années d’enseignement, j’ai eu la chance de pouvoir inviter de nombreux artistes dans mes classes, comme Mario Ramos, par exemple. J’ai aussi eu l’opportunité de participer avec mes élèves à l’écriture du livre Un bateau dans le ciel, paru aux éditions Rue du monde, une belle aventure menée par l’illustrateur britannique Quentin Blake avec mille huit cents enfants de tous les pays. Ces expériences et rencontres ont été décisives : j’avais envie de me lancer dans l’aventure en créant ma propre maison d’édition.
Quelles étaient vos lectures d’enfance ?
J’ai peu de souvenirs d’albums illustrés en dehors de Babar, de Caroline et ses amis et de quelques titres du Père Castor, j’étais abonnée aux magazines Pomme d’Api, Okapi et c’était une grande joie de les découvrir dans la boîte aux lettres ! J’ai grandi à la grande époque de la Bibliothèque rose et verte et dévoré les séries Fantômette, Le clan des 7, Alice, Les sœurs Parker…
Comment est née votre maison d’édition ?
Cécile Gambini est venue dans ma classe pour une rencontre. Ça a été un déclic : j’adorais son album Bagbada, mais il était épuisé. Je me suis dit : « Si j’étais éditrice, je ressortirais ce livre ! » Quelques temps plus tard, j’ai découvert les premiers livres de Françoise Rogier, Sophie Daxhelet et Dominique Descamps, trois illustratrices belges. C’était le début d’une belle collaboration. Puis j’ai rencontré Albertine au festival des illustrateurs de Moulins. Elle m’a montré une série de croquis non publiés sur le thème du cirque, qui deviendraient plus tard le leporello Circus. Quel cadeau !
En 2013, je me suis lancée : j’étais professeure des écoles le jour et « apprentie éditrice » le soir. J’ai multiplié les rencontres avec les créateurs, les graphistes, les imprimeurs, les libraires, tous les acteurs de la chaîne du livre. En mai 2014, mes cinq premiers livres sont sortis.
D’où est venue l’idée du nom ?
C’est un clin d’œil à cette bête tantôt attachante, tantôt effrayante qui rôde dans les contes, figure incontournable de la littérature jeunesse. Je voulais arriver à pas de velours dans le monde de l’édition tout en étant bien présente pour stimuler l’imagination des petits loups. L’idée de cheffe de meute prête à défendre ses petits me plait bien !
Comment choisissez-vous les projets que vous éditez ?
Je reçois plus de mille projets par an ! Parmi eux, quelques pépites… La majorité des projets naissent de rencontres, certaines à mon initiative. Il m’arrive également de solliciter des artistes pour illustrer certains manuscrits, de faire des “mariages” entre auteur et illustrateur. Quand ça fonctionne, c’est très réjouissant. Dans tous les cas, ça commence toujours par un coup de cœur !
Pouvez-vous nous présenter les personnes qui travaillent au sein d’À pas de loups ?
Nous sommes une petite structure en pleine croissance ! En tant qu’éditrice j’en suis la première collaboratrice, investie à 200% sur tous les fronts. C’est passionnant !
Pierre-Jean, mon mari, m’accompagne et me soutient depuis le début de cette belle aventure. Il s’occupe principalement du suivi administratif et financier d’À pas de loups et participe également aux décisions éditoriales.
Aylin Manço a rejoint l’équipe cette année après un stage de 6 mois, elle m’assiste dans le travail éditorial.
Annaig Schmiedeberg, graphiste indépendante, travaille avec nous depuis la création des premiers livres.
Et depuis peu, Daniela Bonerba, agente littéraire, défend notre catalogue auprès des éditeurs étrangers.
Pouvez-vous nous citer quelques ouvrages « phares » d’À pas de loups ?
Les premiers ouvrages qui me viennent à l’esprit sont nos livres collectifs d’illustrateurs : À pas de loups, où 42 illustrateurs se sont exprimés sur le thème du loup, avec un texte de Germano Zullo et S’aimer de Cécile Roumiguière qui nous offre un dialogue, celui, duo, de l’amour, inspirée par 39 artistes. Un troisième livre collectif sortira en juin 2019 : Je t’emmène en voyage de Carl Norac. Mais je suis fière des 50 livres qui composent aujourd’hui notre catalogue ! Ce sont des livres originaux ouvrant de belles portes sur le monde à nos lecteurs.
Qu’est-ce qu’un bon livre jeunesse selon vous ?
C’est un livre qu’on aura plaisir à relire encore et encore pour les émotions qu’il procure ou parce qu’il se démarque par son originalité graphique ou par son style. En bref : un livre qui ne laisse pas indifférent.
Pouvez-vous nous parler des « nouveautés 2019 » ?
Pas tomber d’Annie Agopian et Audrey Calleja (mai 2019) : Cet album est une ode surréaliste à la puissance des jeux d’enfants. Le terrain de jeu contient tout à la fois : les fantasmes et les peurs, le passé et le futur, des marelles et des malles au trésor, voire même des crocodiles !
La fille qui cherchait ses yeux d’Alex Cousseau et Csil (mai 2019) : Fine n’a pas d’yeux. Elle peut donc imaginer le monde comme elle l’entend : le visage bleu de son frère, une forêt au plafond de sa chambre… Mais tout de même, elle aimerait bien voir pour de vrai. Accompagnée des mésanges qui nichent dans ses cheveux, elle part en ville, à la recherche de ses yeux…
Trois Koutchoulous sans histoire de Mandana Sadat (juin 2019) : Il était une fois trois Koutchoulous sans histoire. Ça leur pose problème, parce qu’ils sentent que des petits yeux les observent. Ce sont les yeux des lecteurs, et les lecteurs attendent sûrement une histoire… Comment en trouver une ? Les trois Koutchoulous vont partir à l’aventure.
Je t’emmène en voyage de Carl Norac (juin 2019) : C’est le dernier né de la collection d’ouvrage collectif d’À pas de loups ! “On ne fait pas un voyage, c’est le voyage qui nous fait.” Inspiré par cette citation de Nicolas Bouvier, nous avons invité quarante illustrateurs à s’exprimer librement sur le thème du voyage. Les illustrations ont ensuite été ordonnées et liées entre elles par un texte de Carl Norac.
Kini, le monde à bras le corps d’Ingrid Thobois et Géraldine Alibeu (sept 2019) : Cet album nous emmène sur la trace de l’écrivaine et aventurière Ella Maillart, depuis
les rives du Lac Léman jusqu’au périlleux Turkestan chinois, en passant par l’URSS et l’Afghanistan.
Calamity Jane, l’indomptable (septembre 2019) : Toute sa vie, Calamity Jane a écrit des lettres à sa fille sans jamais les envoyer. A partir de ces missives, cet album raconte l’histoire de cette éternelle rebelle. Et en filigrane apparaît une lettre d’amour au Far West et à la liberté.
Le petit chaperon rouge de Julia Chausson (octobre 2019) : L’illustratrice Julia Chausson s’approprie une version orale nivernaise du Petit Chaperon Rouge. Ses magnifiques gravures noires et rouges plongent le lecteur dans une atmosphère féroce et inquiétante. Entrez donc dans la forêt : vous n’avez jamais vu le Petit Chaperon comme ça !
Bibliographie (sélective) :
- Paraquoi, texte d’Alex Cousseau, illustré par Éva Offrédo (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Jean-Kévin, texte de Cécile Roumiguière, illustré par Géraldine Alibeu (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Bienvenue, texte de Raphaële Frier, illustré par Laurent Corvaisier (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Mon chien, papa et moi, texte de Raphaële Frier, illustré par Marc Daniau (2018), que nous avons chroniqués ici.
- Le kiwi du kiwi et Le dodo du dodo, d‘Éva Offrédo (2018), que nous avons chroniqués ici.
- Dans l’atelier de Jean Dubuffet, de Sophie Daxhelet (2018), que nous avons chroniqué ici.
- La forêt d’Alexandre, de Rascal (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Kado, texte de Thomas Scotto, illustré par Éric Battut (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les mots qui manquent, texte d’Anne Loyer, illustré par Bobi+Bobi (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le Mur, texte d’Anne Loyer, illustré par Nathalie Paulhiac (2016), que nous avons chroniqué ici.
- S’aimer, texte de Cécile Roumiguière, illustré par un collectif (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Petite, texte d’Anne Cortey, illustré par Audrey Calleja (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Circus, d’Albertine (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Sur un toit, un chat, texte de Cécile Roumiguière, illustré par Carole Chaix (2014), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez les éditions À pas de loups sur : https://apasdeloups.com.
Parlez-moi de… Histoires de France en 100 fiches illustrées
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellés. Cette fois-ci, c’est sur Histoires de France en 100 fiches illustrées que nous revenons avec Nayel Zeaiter (auteur et illustrateur) et Marie Bluteau (éditrice).
Nayel Zeaiter (auteur et illustrateur) :
Ce livre est le développement d’un travail fait en 2014, dans le cadre de mon diplôme de fin d’étude aux Art Décoratifs de Paris. J’avais alors réalisé une série de 7 affiches couvrant l’intégralité de l’histoire de France. Leur forme, dessin et texte fléchés dans de longues compositions verticales, était inspirée à la fois des tableaux d’élocution d’école primaire et des images didactiques d’internet, les infothread, sortes de manuels à dérouler pour faire tout et n’importe quoi. Sur un plan historique, je traitais d’événements peu communs dans les manuels d’histoire actuels, et parfois très anecdotiques. Les éditions de la Martinière Jeunesse ont vu ce travail et l’ont beaucoup aimé. Ils m’ont proposé de développer ma série d’affiche en livre. Un livre de 160 pages, en grand format, avec une centaine de planches. C’est à partir de leur proposition que j’ai commencé à écrire et dessiner Histoires de France en 100 planches illustrées. Ma démarche historique a été celle d’un artiste. J’ai essayé de dessiner des scènes de l’histoire de France qui sont peu représentée, ou pas du tout. Je m’intéresse aux événements annexes, aux personnages secondaires que je mets au même plan que les grandes figures traditionnelles. Je parle beaucoup dans ce livre de conflits mineurs, d’attentats, de coups d’état ratés. Dans le même temps j’omets des grandes périodes, ou les résume en une courte phrase. C’est ce que je peux me permettre en tant qu’artiste : prendre une posture d’historien naïf. »
Marie Bluteau (éditrice) :
Lorsque j’ai rencontré Nayel Zeaiter pour la première fois, lors d’un rendez-vous organisé par notre directeur artistique, lui même sorti des Arts Décoratifs de Paris, je suis restée bouche-bée face à son travail. Il nous présentait des affiches réalisées pour son diplôme de fin d’étude et immédiatement, j’ai su que j’allais lui proposer d’en faire un livre. Son travail m’est apparu fort et innovant et je trouvais que cette mise en scène unique était un véritable tour de force graphique pour redécouvrir l’histoire de France. Bien sûr, il s’agissait d’un vrai pari d’éditeur car je savais que cet ouvrage allait (d)étonner par son traitement, mais nous étions convaincus que cet énorme travail de documentation et le foisonnement graphique en ferait un livre percutant. Par ailleurs, c’était un vrai challenge que nous demandions à Nayel : réaliser 100 planches, 1000 dessins, cartes et autre galerie de portraits avec parallèlement la rédaction d’un contenu solide et la recherche d’un ton « d’auteur ». Mais il s’est prêté au jeu avec détermination et nous a offert un ouvrage magistral dont il peut être aussi fier que nous le sommes. »
Histoires de France en 100 fiches illustrées de Nayel Zeaiter sorti chez De la Martinière Jeunesse (2018), chroniqué ici. |
Née au début des années 90s, tour à tour professeure, amoureuse de la vie, de la littérature, de la musique, des paysages (bourguignons de son enfance, mais pas que…), des films d’Agnès Varda, des vers de Cécile Coulon et des bulles de Brétecher. Elle a fait siens ces mots de Victor Hugo “Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent”.