Cette semaine, je vous propose de faire connaissance avec l’autrice-illustratrice du très beau Hiro – Hiver et Marshmallows, Marine Schneider. Ensuite, j’ai posé une question bête, « Est-ce que dessiner ça s’apprend », à Samuel Ribeyron et Gaëlle Duhazé qui ont accepté de me répondre. Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Marine Schneider
Je voudrais commencer cette interview par vous dire tout simplement que j’ai vraiment beaucoup aimé Hiro – Hiver et Marshmallows, tant au niveau du texte que des illustrations. Comment est née cette histoire ?
J’avais depuis longtemps l’idée et l’envie de faire un album avec un ours. Je ne me souviens plus exactement comment l’histoire est née, je sais qu’elle m’est venue assez naturellement : il y aurait un ours, et un Émile, et ce serait l’hiver, tout simplement car j’adore dessiner des paysages enneigés. L’idée de l’ours qui ne veut pas hiberner est assez courante en littérature jeunesse, mais j’avais envie d’y ajouter cette dimension de curiosité qui pousse Hiro à sortir de son terrier, même si elle n’est pas du genre à enfreindre les règles. La soif de découvrir ce qui se passe lorsque les ours hibernent, et le doux plaisir de se faire un petit peu peur… Je pense avoir aussi été inspirée par mes propres expériences, notamment lorsque je vivais au Colorado, un État truffé d’ours. Il n’était pas rare d’en croiser, ce que je trouvais génial et terrifiant à la fois.
Je dois vous avouer qu’en voyant l’album il était évident pour moi que vous n’étiez pas francophone, je vous imaginais scandinave. Pas à cause de la neige, mais de votre style graphique. Quelles sont vos influences graphiques, si vous en avez ?
Dans mon cœur, je viens du Nord. Je suis née en Belgique mais les pays nordiques m’ont toujours attiré. J’aime les vastes paysages scandinaves, les ciels d’été, pouvoir marcher des heures sans ne croiser personne. J’aimerais habiter dans une petite cabane au sommet d’une montagne, entourée de beaux sapins bleu-vert. Puisque j’habite pour le moment dans un appartement à Bruxelles, j’imagine cette cabane dans mes dessins. Lorsque j’ai fait mon Erasmus à Bergen, en Norvège, j’ai découvert énormément d’artistes scandinaves que je me suis immédiatement mise à adorer : Jockum Nordström, Mamma Andersson, Tove Jansson (la maman des Moomins), Joanna Hellgren, Mari Kanstad Johnsen,… Il y en a tellement ! Je suis très inspirée par l’art inuit, qui est tout simplement sublime. À part ça, je suis influencée par la nature des pays du Nord et par la culture des pays lointains comme le Japon ou la Corée (qui regorgent aussi d’artistes incroyables !).
Qu’est-ce qui est né en premier, le texte ou les illustrations ?
Les deux sont nés simultanément. Le texte a influencé les dessins, et inversement. C’est la première fois que je travaille comme ça et je trouve que ça donne une très grande liberté. Jusqu’à la toute fin, tout peut encore changer !
Sur la couverture on imagine que le titre est « Hiro » et le sous-titre « hivers et marshmallows »… ce qui nous laisse espérer d’autres aventures d’Hiro !
Oh mais c’est une idée géniale ! J’avoue n’y avoir même pas pensé…
Parlez-nous de votre parcours
J’ai toujours voulu faire des livres pour enfants, et cette ambition s’est confirmée lors de mes études d’illustration à LUCA, à Gand. Lors de mes études, j’ai fait un Erasmus en Norvège, où j’y ai rencontré Svein Størksen, l’éditeur de Magikon, une excellente maison d’édition. Il m’a proposé d’illustrer un livre d’une autrice norvégienne, Elisabeth Helland Larsen, et c’est comme ça que tout a commencé !
J’ai vu qu’en 2019 vous alliez illustrer des albums, cette fois vous ne serez pas autrice, pouvez-vous nous parler de ces projets ?
Versant Sud va publier, en avril, trois albums que j’ai illustrés et qui sont écrits par la Norvégienne Elisabeth Helland Larsen, à l’origine parus chez Magikon Forlag. Je suis également en train de travailler sur un album écrit par Victoire de Changy, qui devrait sortir à la rentrée, et dont le personnage principal est… un ours ! Je vais aussi illustrer un livre CD à paraître au Label dans la forêt pour les fêtes de fin d’année, et puis j’ai plusieurs projets de livre tout-carton, inspirés par mon fils de six mois !
Bibliographie :
- Hiro – Hiver et marshmallows, texte et illustrations, Versant Sud (2018), que nous avons chroniqué ici.
Ma question est peut-être bête, mais…
Régulièrement, on osera poser une question qui peut sembler un peu bête (mais l’est-elle vraiment ?) à des auteur·trice·s, illustrateur·trice·s, éditeur·trice·s… Histoire de répondre à des questions que tout le monde se pose ou de tordre le cou à des idées reçues. Cette fois-ci, j’ai demandé à Samuel Ribeyron et Gaëlle Duhazé « Est-ce que dessiner ça s’apprend ». Je vous propose de lire leurs réponses. Si vous avez des questions bêtes, n’hésitez pas à nous les proposer !
Samuel Ribeyron (auteur-illustrateur) :
« Dessiner ça s’apprend ? »
Pour moi qui ai étudié en école d’art, j’aurais tendance à dire oui, dessiner ça s’apprend. La pratique quotidienne du dessin, fait que l’on s’améliore, on apprend au contact de professionnels des techniques, des astuces, des notions comme la perspective, la couleur, les volumes, l’anatomie. Ensuite, l’apprentissage du dessin est surtout un travail de l’œil, du regard, de la curiosité des formes. Aiguiser son regard est le premier outil du dessinateur. Voir une forme, et ne pas déceler uniquement son contour qui pourrait la définir, mais voir le plein qu’elle représente, les ombres, les lumières, son histoire, son volume et le vide qu’il y a entre cette forme et ce qui l’entoure. Tout dessinateur a un appareil photo interne avec lequel il va se composer des banques d’images. Voir un camion sur l’autoroute et le passer au scanner du dessinateur pour en assimiler sa forme, sa couleur, le nombre de roues, le logo sur le container, le nom du conducteur… pour ensuite mieux le dessiner.
J’ai appris le dessin, d’une manière très académique, à « l’italienne ». J’ai fait des plâtres de Jésus, du modèle vivant, j’ai appris où se trouvait le sterno-cléido-mastoïdien en cours d’anatomie, j’ai dessiné des escaliers en colimaçon avec plein de points de fuite… j’ai souffert !!
Et depuis je ne cesse d’essayer de désapprendre ce que j’ai appris. En dessinant une maison, j’essaye d’oublier la position de la ligne d’horizon et des deux points de fuite pour la rendre plus vivante, et trouver un dessin plus spontané. Aujourd’hui j’apprends encore quotidiennement en prenant des risques. En me confrontant à une technique que je ne maitrîse pas, ou en m’imposant une gamme colorée restreinte. Le résultat, parfois un peu bancal, me stimule en me donnant toujours l’envie d’apprendre à dessiner.
Gaëlle Duhazé (autrice-illustratrice) :
Est-ce que dessiner, ça s’apprend ?
Oui, dessiner, ça s’apprend.
Tu me poses la question parce que je suis autodidacte : je n’ai en effet pas fait d’école d’art, mais attention, je ne suis pas devenue illustratrice par hasard ! J’ai beaucoup travaillé et j’avais au préalable des bases qui m’ont permis ensuite d’être en mesure de progresser et d’apprendre par moi-même.
On dit souvent que bien dessiner, c’est un don : et non, c’est surtout beaucoup de travail de répétition et d’entraînement… C’est comme jouer d’un instrument de musique. On ne penserait pas qu’il soit possible de bien jouer de la guitare ou du trombone dès la première fois : le dessin, c’est pareil. Il faut faire ses gammes et apprivoiser ses outils. Savoir tracer des formes, les organiser dans l’espace de la feuille, avoir un beau trait, ce n’est pas inné. Tous les petits enfants dessinent : quand on est enfant, on a du temps, on ne se dit pas systématiquement que tout ce qu’on fait est moche, on découvre, on a du plaisir à faire. Et puis la majorité d’enfants arrête de dessiner en grandissant, parce qu’ils n’ont plus de temps pour ça, parce qu’ils trouvent que ce qu’ils font est moche… Beaucoup de dessinateurs pro racontent qu’ils n’ont justement jamais arrêté de dessiner. Ça fait que quand ils commencent à voir leurs dessins publiés, ils ont des années et des années de pratique derrière eux ! Tout ça pour dire qu’il faut beaucoup de temps pour faire un dessinateur…
Je reviens à mon propre cas : moi, comme la majorité des gens, j’ai arrêté de dessiner vers 11 ans, pour recommencer un peu plus tard, vers 16 ans, parce que j’aimais toujours ça. J’ai fréquenté pendant mes années de lycée un cours de dessin très classique : je faisais des études documentaires de légumes, de bustes en plâtre, de drapés. On passait des heures et des heures à copier des natures mortes. Comment on fait pour reproduite une forme, en cherchant des repères dans l’espace, pour les proportions, en cherchant les pentes avec son crayon, en étudiant les ombres et les lumières, en cherchant à reproduire le plus fidèlement la couleur des poireaux… Je ne faisais que ça, comme dessin, rien de personnel. Ça peut sembler aride et pas très intéressant, mais c’est vraiment ce qui m’a appris à regarder. Et savoir regarder, c’est le préalable indispensable à un dessin vivant, intéressant, car c’est comme ça qu’on peut puiser de la matière dans tout ce qui nous entoure, comprendre les formes, saisir ce qui fait leur beauté, leur puissance, leur singularité. Le travail de l’œil est similaire au travail de l’oreille en musique. C’est donc ce travail de croquis et de copie de nature morte qui m’a permis d’aiguiser mon œil. Plus tard, lorsque j’étais à la fac, j’ai fait beaucoup de modèle vivant : c’est l’étude du corps humain, d’après modèle. On dessinait essentiellement des poses très rapides, qui nous forçaient à comprendre le mouvement du corps et la forme dans sa globalité, et à bien relier l’œil et la main.
C’est grâce à ça que j’ai pu, plus tard, vers 24-25 ans, acquérir le savoir-faire que j’utilise dans mes albums (en travaillant beaucoup, j’insiste !). Sans tout ce préalable, je pense que je n’aurais pas été en mesure d’acquérir un niveau pro, parce qu’il m’aurait manqué la base. Et je le répète, combien de dessins juste sans intérêt avant d’arriver à quelque chose de satisfaisant !
Bref, le dessin ça s’apprend, et c’est long, il faut aimer ça pour avoir la pugnacité nécessaire.
Et puis, il y a aussi la question de la sensibilité, de ce qu’on met de soi dans le dessin : on peut être très bon techniquement, être très habile à force d’entraînement, et ne pas réussir à faire passer d’émotion, alors que certains dessins d’enfants, sans technique ni savoir-faire, sont incroyables de justesse. Mais ça, c’est une autre histoire !
Bibliographie sélective de Samuel Ribeyron :
- Dix ans tout juste, collectif, HongFei Cultures (2017).
- La bête de mon jardin, illustration d’un texte de Gauthier David, Seuil Jeunesse (2017), que nous avons chroniqué ici.
- La papote, illustration d’un texte de Yannick Jaulin, Didier Jeunesse (2015), que nous avons chroniqué ici.
- La moufle, illustration d’un texte de Christine Palluy, Milan (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Ce n’est pas très compliqué, texte et illustrations, HongFei Cultures (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Super Beige, le retour, illustration d’un texte de Pierre-Luc Granjon, Le vengeur Masqué (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Le grand papa et sa toute petite fille, illustration d’un texte de Cathy Hors, Milan (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Super Beige, texte et illustrations, Le vengeur Masqué (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Beau voyage, livre-DVD, texte, illustrations et réalisation, éditions-coRRidor (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Salade de fruits, texte et illustrations, HongFei Cultures (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Pi, Po, Pierrot, illustration d’un texte de Chun Liang Yeh, HongFei Cultures (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Yllavu, illustration d’un texte de Gambhiro Bhikkhu, HongFei Cultures (2008, puis 2015), que nous avons chroniqué ici et là.
- 38 perroquets, illustration d’un texte de Grigori Oster, Points de suspension (2006), que nous avons chroniqué ici.
- Comptines anglaises et américaines, Didier jeunesse (2005), que nous avons chroniqué ici.
- Les deux maisons, illustration d’un texte de Didier Kowarsky, Didier jeunesse (2004), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Samuel Ribeyron sur son site : http://www.samuelribeyron.com.
Bibliographie sélective de Gaëlle Duhazé :
- Le grand voyage de Rickie Raccoon, texte et illustrations, HongFei Cultures (à sortir le 21 février).
- Série Les petits mots rigolos de Pipelette & Momo, illustration de textes de Fanny Joly, Playbac (2019).
- Mes comptines d’Afrique, illustration d’un texte de Souleymane Mbodj, Milan (2018).
- Série Amélie Maléfice, illustrations de textes d’Arnaud Alméras, Nathan (2018).
- Cité Babel, illustration de textes de Pascale Hédelin, Les éditions des éléphants (2016).
- Chaton pâle et les insupportables petits messieurs, texte et illustrations, HongFei Cultures (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Drôle d’école !, illustration d’un texte d’Anne Rivière, Nathan (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Mes poupées à décorer, loisir créatif, Le vengeur masqué (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Série Fériel, illustrations de textes d’Eric Sanvoisin, Nathan (2011-2013).
- Mûres mûres, illustration d’un texte de Chun-Liang Yeh, HongFei Cultures (2008).
Retrouvez Gaëlle Duhazé sur son site : http://perditacorleone.ultra-book.com.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !