Aujourd’hui on rencontre LA spécialiste des bolosses en France, j’ai nommé Dominique Souton, autrice formidable qui vient de publier Mon chien parle bolosse qui nous parle de son parcours, des Hauts de Hurlevent, de Judd Apatow et de son processus créatif. Et puis dans un second temps on revient avec Elsa Valentin et Fabienne Cinquin sur le formidable Zette et Zotte à l’usine, une histoire engagée et féministe… Bon mercredi !
L’interview du mercredi : Dominique Souton
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai écrit un premier roman, Jean-Marc Roberts, éditeur enthousiaste et séduisant, voulait le publier au Seuil, mais le président-directeur de l’époque a mis son véto, décrétant que ce n’était pas un roman. J’ai alors écrit un texte jeunesse que Jean-Marc Roberts m’a conseillé d’envoyer à Geneviève Brisac qui l’a publié à l’École des loisirs. Tout le monde ne peut pas être clochard. Un peu plus tard, mon premier roman « adulte » a été publié par Olivier Cohen aux éditions de L’Olivier. J’ai continué à publier par la suite chez ces deux éditeurs, avec des joies et des frustrations. J’écris depuis quelques années exclusivement des romans jeunesse, toujours à l’École des loisirs, avec Véronique Haïtse.
Parlez-nous de votre processus d’écriture : comment naissent vos histoires ?
Mes débuts d’auteur, en jeunesse comme en adulte, relèvent en quelque sorte de la méthode sociologique de l’observation participante (je plaisante, mais pas tant que ça). J’ai toujours pris des notes, une tonne de notes : mes enfants, leurs jeux, leur conversation, le square, l’école… Un thème finissait par se dégager, et je commençais à écrire. Des romans dans lesquels on retrouvait mes filles, ou deux filles qui leur ressemblaient beaucoup : Hélène et Azalaïs, mais aussi des amis, des mamans, une maîtresse, un docteur, tous impliqués dans les aventures du quotidien. Façon Petit Nicolas, si je cherche une référence.
Aujourd’hui, je me suis américanisée (je plaisante, mais pas tant que ça). Je travaille depuis quelques années à des scénarios, je suis du coup dans mes romans plus attentive à l’histoire et à ses rebondissements, à la trame dramatique. Je suis une grande fan de la comédie américaine indépendante, qu’il s’agisse des frères Farelly (L’Amour extra-large), de Judd Apatow (Freaks and Geeks, En cloque mode d’emploi), de David Gordon Green (Délire Express), de Paul Feig (Mes meilleures amies), ou de Greg Mottola (Supergrave). J’aime profondément la comédie, genre noble entre tous (sacrifier le beau pour le sens demande du courage !). Et je suis très sensible à l’humour, symptôme d’une faillite de soi ou du monde, suivi d’un rétablissement spectaculaire ou seulement salutaire. Les séries Ma meilleure amie et celle du Bolosse s’inspirent directement de cette comédie américaine là, de son réalisme, son sens de l’action, de la transgression, son humour un peu trash et sa célébration de l’amitié. Elles s’inscrivent même dans le sous-genre de la bromance ou brother romance (romance entre frères ou amis). Mes héros se déplacent toujours en bande, ils ont le sens du collectif et de l’amitié. Sartre disait avoir trouvé dans la littérature jeunesse un réservoir d’optimisme pour toute une vie. Je me sens en tant qu’auteur jeunesse une sorte de devoir à remplir ce réservoir.
Pouvez-vous nous parler de votre « série » les « Bolosses » ?
Ma vie de bolosse m’est venu après vision de Freaks and Geeks, qui tourne autour de l’éternelle opposition populaires/bolosses (qu’on appelle aussi les invisibles, sans-amis, les ringards, les boulets, quoi). Au collège, mais déjà à l’école primaire, il y a toujours quelqu’un ou quelques-uns pour en martyriser un autre ou des autres. Le collège est en cela un apprentissage d’une société de classes ou de castes, on y fait très tôt l’expérience des rapports dominants/dominés. Heureusement, le sens de l’amitié s’épanouit volontiers chez les opprimés. Et surtout on y développe un certain sens de l’humour. Ça sauve ! D’ailleurs il suffit d’une conjoncture favorable, une fête où débarque la police municipale, par exemple, pour pouvoir changer de statut.
Dans le second volume, Mon chien parle le bolosse, mon héros qui veut un chien hérite d’un chien-robot. C’est moche ! Sauf que le machin parle, il est doué de langage. Génial ! Sauf que lorsqu’il se met à parler, il dit des horreurs, et va jusqu’à traiter son maître de bolosse. Pour un ex-bolosse, c’est dur. On le comprend, le robot est programmé pour répéter ce qu’il entend autour de lui, il copie sur les collégiens. Une façon de traiter de la contagion du langage, sur internet et ailleurs, de cette propagation de la communautarisation, de l’injure, du rejet sur les réseaux sociaux, bref de la banalisation des haters. Le hater est celui par qui souffrent les bolosses d’aujourd’hui.
Quelles étaient vos lectures d’enfant et d’adolescente ? Qui étaient vos héros et vos héroïnes enfant ?
Enfants, mes héros étaient Anglo-saxons et orphelins : Fifi Brindacier (je portais moi-même des nattes et des taches de rousseur), Tom Sawyer et Huck Finn, les deux derniers merveilleusement réédités par les éditions Tristram. Adolescente, j’habitais la campagne et l’été je gardais les moutons de mon père, j’ai beaucoup beaucoup lu. Plus d’une dizaine de fois Les hauts de Hurlevent, pour ses héros Cathy et Heathcliff, sombres et rebelles, ou pour un décor proche du mien (il existe une très belle version de Jacques Rivette, tournée dans le paysage ardéchois). La chanson de Kate Bush est toujours dans ma playlist. Jane Eyre, aussi, gothique. Ah ! tout Voltaire et tout Corneille, lors de deux séjours linguistiques en Angleterre, parce que c’étaient les plus gros livres de la librairie et qu’ils devaient couvrir tout le séjour. Un accident. D’ailleurs la lecture à ces âges-là est souvent accidentelle. Ma mère, prof d’anglais, avait plein de romans américains : Richard Brautigan, John Fante, Henry Miller, je lis aujourd’hui encore essentiellement la littérature américaine. Je suis en revanche beaucoup moins gothique. Ou alors quand il est drôle et distancié, dans Edward aux mains d’argent ou Beetlejuice, de Tim Burton, par exemple.
Aura-t-on le plaisir de retrouver les « bolosses » pour un prochain tome ?
Je ne sais pas. S’ils veulent revenir, il faudra qu’ils aient quelque chose à faire.
Bibliographie (jeunesse) sélective :
- Mon chien parle le bolosse, L’école des loisirs (2018) que nous avons chroniqué ici.
- Ma vie de bolosse, L’école des loisirs (2017) que nous avons chroniqué ici.
- J’aime mon meilleur ami qui aime ma meilleure amie, L’école des loisirs (2016).
- Dieu roule pour moi, L’école des loisirs (2015).
- Ma meilleure amie a une meilleure amie, L’école des loisirs (2014) que nous avons chroniqué ici.
- La voix, illustré par Aurore Petit, Actes Sud Junior (2013).
- La patte du tigre, L’école des loisirs (2006).
- Zélia change de look, L’école des loisirs (1998).
- Je hais le théâtre, L’école des loisirs (1998).
Parlez-moi de… Zette et Zotte à l’Usine
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et/ou son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellés. Cette fois-ci, c’est sur Zette et Zotte à l’usine – un formidable conte qui nous parle de résistance, de lutte des classes et de féminisme – que nous revenons avec son autrice Elsa Valentin, son illustratrice Fabienne Cinquin et son éditeur, Olivier Benhomme.
Elsa Valentin (autrice) :
Voilà comment est né Zette et Zotte à l’uzine. Je voulais depuis longtemps écrire un album à propos des inégalités sociales et des conflits de classes, mais des mots comme « patron » « ouvrier » « grève » et « révolution » me semblaient inaudibles car vidés de leurs sens à force d’avoir été rebattus, et porteurs d’une connotation trop militante. Bien sûr on ne peut pas dire qu’on les ait beaucoup lus dans la littérature jeunesse, mais ils m’ont toujours paru inutilisables tels quels. C’est le film Merci Patron ! de François Ruffin qui m’a donné l’envie irrésistible d’écrire ce texte. Fidèle à ses combats et à ses convictions, il a complètement renouvelé le genre du film documentaire engagé, avec un humour et une efficacité jubilatoire : il a organisé pour et avec les époux Klur – chômeurs, surendettés et menacés d’expulsion par la faute de Bernard Arnault, responsable de la délocalisation de leur usine en Pologne – un traquenard de haut vol qui a permis de les sauver mais aussi de ré-enchanter la lutte des classes. L’humour était donc un moyen de rendre audible un propos politique qui risquait fort de se discréditer s’il était tenu avec sérieux. Il me fallait trouver à mon tour un décalage, et comme une évidence il m’est apparu que ce décalage pouvait commencer par la transformation même des mots éculés devenus inutilisables. C’est ainsi que j’ai commencé à écrire une histoire de trapron et de zouvrilleuses, d’ascenseur-saucisse, de manifle et de révoluture… Une fois que l’idée était là, le texte est venu vite, avec plaisir et jubilation !
Fabienne Cinquin (autrice) :
Lorsque L’Atelier du Poisson Soluble m’a proposé d’illustrer le texte d’Elsa Valentin, j’ai dit oui tout de suite, avec une rare excitation. J’ai aimé son humour, ses inventions de langage, son propos plein de malice et de révolte face aux injustices de notre époque. J’ai aimé également cette fin qu’on pourrait juger d’utopique mais nous avons besoin de rêver un autre monde possible, de miser sur notre bonne intelligence et de ne pas désespérer ! Pour bien me mettre dans « l’ambiance » du livre, j’ai revu le documentaire de Françoise Davisse Comme des lions sur le combat des ouvriers de PSA, le très beau film de Mariana Otero Entre nos mains sur les ouvrières d’une petite PME de lingerie qui décident de sauver leur usine et enfin Petites mains de Thomas Rousillon sur les ouvrières de Lejaby qui parle de délocalisation, de fermeture d’usine et de combats de femmes. Les illustrations sont réalisées à partir de techniques mixtes (encre, crayons de couleurs mais aussi beaucoup de collages d’imprimés que j’ai glanés dans des magazines de mode (nous sommes dans une usine de textiles…). J’ai semé au fil des pages des références d’univers hétéroclites. Par exemple, le troupeau de moutons au tout début du livre est celui du générique du film de Chaplin Les Temps Modernes ( vive le mouton noir ! ) On peut retrouver sur la couverture l’irrévérence d’une Zazie de Queneau, une Liberté guidant le peuple, des relents de mai 68, le monde du travail vu par Tati dans Play Time, un « requin” dans une piscine de David Hockney… et même une Cendrillon qui attend son heure de fortune… ou d’infortune ! Merci à Elsa de proposer des histoires qui donnent à réfléchir aux enfants comme aux adultes qui les accompagnent. Ces livres-là sont une nécessité et je suis très fière d’avoir fait ce travail qui m’a beaucoup apporté. Je ne parle pas d’argent, mais de bien autre chose !
Olivier Belhomme (éditeur) :
Lorsqu’Elsa Valentin, l’auteure du truculent Bou et les 3 zours nous a proposé le texte de Zette et Zotte à l’uzine, celui-ci s’est imposé à nous car son propos correspondait précisément aux préoccupations que nous souhaitions proposer aux enfants pour leur permettre de comprendre le monde que nous leur laissons. Et surtout, le ton qu’elle employait, qu’elle inventait à l’aide de ses jeux sur le langage, était suffisamment décalé pour ne pas paraître trop péremptoire. Aborder des sujets complexes sans en avoir l’air, tel est bien notre volonté.
Zette et Zotte à l’Usine, texte d’Elsa Valentin, illustré par Fabienne Cinquin, sorti chez L’atelier du poisson soluble (2018), chroniqué ici. |
Née au début des années 90s, tour à tour professeure, amoureuse de la vie, de la littérature, de la musique, des paysages (bourguignons de son enfance, mais pas que…), des films d’Agnès Varda, des vers de Cécile Coulon et des bulles de Brétecher. Elle a fait siens ces mots de Victor Hugo “Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent”.