Aujourd’hui, je vous propose une interview de l’autrice Sophie Noël, qui vient de sortir une suite tant attendue à son roman Les Pointes noires, puis on part en vacances avec un illustrateur qu’on adore, Éric Veillé. Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Sophie Noël
Parlez-nous de votre parcours
Dans une précédente vie, j’ai été maîtresse d’école. J’ai adoré mon métier, et trouvais toujours des idées nouvelles de lectures et d’écriture à faire faire à mes CM2. Mon grand plaisir était de participer avec eux aux Prix des Incorruptibles, en rêvant moi-même devant tous ces romans jeunesse que j’aurais aimé écrire… Mais faute de temps, manque de confiance, j’étais incapable de mener au bout toutes les histoires que j’écrivais depuis l’âge de 8 ans. J’avais trouvé un juste milieu, j’écrivais des contes. Des dizaines de contes. Et je les lisais à mes élèves, toujours ravis, même en CM2, qu’on leur lise des histoires. Surtout si c’était leur maîtresse qui les avaient inventées !
Et puis un jour d’hiver, alors que je contais l’une d’elles devant l’auditoire plus vaste d’une abbaye nichée au cœur de la forêt près de chez moi, autour d’une cheminée où nous aurions pu faire tenir un cheval, une dame s’est étonnée que je ne sois pas éditée.
Ça a fait son chemin dans ma tête, et j’ai récrit le conte que j’avais lu ce jour-là pour en faire un roman : quelques mois plus tard, il était publié.
Comment est née l’histoire des Pointes Noires ?
Ma deuxième fille est passionnée par la danse et a longtemps fait de la danse classique. Je me suis donc intéressée à cet art qui m’était totalement inconnu. J’avais fait moi-même de la danse contemporaine, et ai toujours pensé que la danse est un moyen d’expression sublime du corps. Mais la danse classique, avec sa rigueur et ses codes, ne me semblait pas l’être autant. Et puis j’ai vu ma fille sur scène, lors des galas, et j’ai été submergée par l’émotion. À partir de ce moment, je n’ai plus du tout porté le même regard sur le classique.
Ma fille a la peau noire, et en regardant des ballets avec elle, je me suis fait la réflexion qu’il n’existait aucune danseuse étoile noire en France. J’ai approfondi mes recherches, lu les tentatives échouées de Benjamin Millepied de diversifier les origines des danseurs ; découvert les Américaines Misty Copeland et Michaela DePrince, seules danseuses étoiles noires au monde ; compris que la couleur des pointes de danse était rose en rapport avec la couleur de la chair (et quand notre chair est noire ? Pas de pointes adaptées !)…
Une terrible colère s’est emparée de moi : ma fille ne pourrait jamais être danseuse étoile, comme aucune des petites filles noires qui auraient la passion de la danse classique. Ce rêve leur est interdit.
Ma colère est devenue l’histoire des Pointes noires.
Au mois de mars, la suite est sortie, vous avez eu envie de faire vivre Ève un peu plus longtemps ?
Oui. Je voulais faire évoluer Ève à l’Opéra. Ça me paraissait juste de lui faire ce cadeau ;-).
Et puis surtout, de nombreuses lectrices et lecteurs me l’ont demandé. Ils voulaient savoir si Ève réussirait à entrer à l’Opéra. Mais la demande la plus fréquente a été de savoir si elle allait retrouver Hawa.
Parlez-nous de l’accueil du public sur cette série, j’ai l’impression qu’il est assez fort, non ?
Le livre a eu un excellent accueil des lectrices et lecteurs. Je pense pour plusieurs raisons : d’abord le sujet. La danse est un sujet récurrent dans les rayons de livres jeunesse. Mais l’avantage de celui-ci est son originalité : personne n’avait jamais parlé de danse sous cet angle. J’y évoque la danse classique, mais aussi le racisme et la différence. Je pointe du doigt un problème que beaucoup n’avaient jamais remarqué : le manque de diversité chez les danseurs.
Du coup, en plus des danseuses, beaucoup de jeunes de toutes origines, filles et garçons, ont fait un accueil incroyable à mon roman. Beaucoup se sont identifiés à Ève, qui doute, hésite, mais assume sa différence et va au bout de sa passion.
Avez-vous fait des recherches pour ces livres ?
Comme je le disais, je ne connaissais pas du tout la danse classique. J’ai donc assisté à des cours de classique, visionné des dizaines et des dizaines de ballets, de documentaires, de films… Lu de nombreux romans jeunesse sur le sujet, les biographies de Misty Copeland et Michaela DePrince, vu des interviews de danseuses, etc.
Je me souviens avoir pleuré devant Billy Elliott, regardé en boucle La Bayadère et sa danse des négrillons (qui est très importante dans Les pointes noires à l’Opéra), et surtout la série de documentaires Graines d’étoiles qui m’a permis de connaître le quotidien des jeunes danseuses et danseurs à l’école de l’Opéra de Paris.
Je crois avoir passé plus de temps à me documenter qu’à écrire à proprement parler !
Je ne le regrette pas, j’ai découvert un univers rigoureux, impitoyable mais fascinant. Mon souhait serait que maintenant, il s’ouvre à plus de diversité.
Vous parlez dans ce roman d’adoption, tout comme dans votre roman L’enfant du séisme ou encore dans votre album Ma petite sœur du séisme, un thème qui vous est cher ?
Bien sûr. J’ai adopté mes deux filles en Haïti, et elles sont une source constante d’inspiration et d’ouverture. À travers elles, je découvre les choses autrement. Je suis sensibilisée sur des sujets auxquels je n’aurais pas pensé, ou différemment. Le racisme, par exemple, on en a tous une idée. Mais quand on le vit de l’intérieur, ça change tout.
Parlez-nous de votre processus d’écriture
Il paraît que l’humain a 1000 pensées par heure, et qu’en se mettant à écrire, c’est environ 2500 par heure et demie ! Je ne sais pas si c’est vrai, mais j’ai constaté que mon cerveau est toujours en ébullition, et que les idées fusent de plus en plus. Plus ou moins bonnes, mais dans le lot, j’arrive à trouver des sujets qui me passionnent.
Donc je dois commencer par ça : un sujet qui me passionne.
Souvent, je dessine une carte mentale, et écris en vrac, sans organisation précise, tout ce qui me vient à l’esprit. J’habite mon idée en créant mes personnages, pour lesquels je fais des fiches en leur posant des dizaines de questions pour la plupart intimes voire dérangeantes…
Je fais ensuite le tri dans ma carte mentale et organise mon schéma narratif (que je suis rarement à la lettre), et commence à réfléchir à la structure de mon récit. J’aime écrire en boucle, avec des retours en arrière, des rêves, des chants ou des poèmes qui s’incrustent dans mon récit, des fins qui ramènent la pensée au début de l’histoire, des débuts qui laissent entrevoir la fin.
J’écris en continu, sans me soucier de relecture, puis à la fin de chaque chapitre, je me relis à voix haute.
Je n’hésite jamais à supprimer des passages entiers, à bousculer ma structure…
Je fais de nombreuses pauses, j’écris deux histoires parallèlement pour ne pas m’ennuyer et laisser mon esprit prendre du recul.
Quand j’ai terminé, je prends une longue récréation de plusieurs jours puis replonge dans mon récit avec un œil (presque) neuf. Là, j’élague à nouveau, je récris, je questionne mes personnages, traque les répétitions, les verbes de perception, les adverbes, la voix passive et les « et » (mon plus gros défaut)… Je travaille mes dialogues (j’ai aussi ce défaut de ne pas mettre assez de naturel dans mes dialogues, et j’y suis maintenant très attentive)… bref, je fais un important travail sur la forme. Au service du fond.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Enfant, je lisais un peu de tout, du journal de Mickey à Oui-Oui (j’étais fascinée par Potiron qui vivait dans un champignon !), en passant par Le club des cinq et Fantômette (qu’est-ce que je me suis identifiée !). À la maison, il y avait beaucoup d’albums et de livres, et j’ai souvenir de les avoir tous aimés.
Quand j’étais adolescente, il n’y avait pas autant de choix de lecture que maintenant, et nous devions passer rapidement à la littérature adulte, ce que j’ai fait. Je me suis plongée très jeune dans les Rougon-Macquart, et suis devenue une passionnée de Zola, puis dans tous les classiques. C’est seulement depuis que je suis autrice jeunesse que je découvre toute la merveilleuse et si variée littérature pour adolescents ;-).
Parlez-nous de vos projets et surtout… Reverrons-nous Ève ?
Dans quelques jours (décalés à cause du confinement), sortira le tome 1 d’un roman fantastique médiéval, Mahaut et les maudits de Chêne-au-Loup (éditions Gulf Stream) et le premier tome d’une série premiers pas aux éditions Auzou : Bienvenue au poney club, où je développe, par le biais des poneys, des préoccupations enfantines telles que le respect de la différence, l’accueil d’un nouveau, les relations intergénérationnelles, le handicap…
J’écris en ce moment une dystopie pour grands ados, à quatre mains avec une amie autrice, ainsi qu’un roman écologiste.
Et puis j’ai mille autres projets en tête…
Quant à Ève, j’ai déjà une idée de ce qui va lui arriver après Les pointes noires à l’Opéra, mais je me laisse d’abord le temps de savourer les échanges avec mes lectrices et lecteurs, et d’entendre leur avis sur la question. 😉
Bibliographie sélective
- Série Mahaut et les maudits de Chêne-au-Loup, romans, Gulf Stream Éditeur (2020).
- Série Bienvenue au poney club, romans, Auzou (2020).
- Les pointes noires à l’Opéra, roman, Magnard Jeunesse (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Les pointes noires, roman, Magnard Jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Série Jeanne de Mortepaille, romans, Gulf Stream Éditeur (2018).
- La Saveur des bananes frites, roman, Magnard (2016).
- L’enfant du séisme, roman, Oskar (2015).
- Série Mahaut du Fargis, romans, Les 2 encres (2013-2015).
- Ma petite sœur du séisme, album illustré par Louise Collet (2015), que nous avons chroniqué ici.
Le site de Sophie Noël : http://www.sophienoël.fr.
En vacances avec… Éric Veillé
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte ce qu’elle·il veut me faire découvrir. On ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’il·elle veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Éric Veillé que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse :
- Bernard et le monstre de David McKee
- Hulul de Arnold Lobel
- La princesse arrive à quatre heures de Wolfdietrich Schnurre et Rotraut Susanne Berner
- Sylvestre et le caillou magique de William Steig
- Le têtard mystérieux de Steven Kellog
5 romans :
- Trente ans et des poussières de Jay McInerney
- Portrait d’une femme de Henry James
- Portnoy et son complexe de Philip Roth
- Et devant moi, le monde Joyce Maynard
- Vie de Gérard Fulmar, de Jean Echenoz
5 DVD :
- Les fraises sauvages de Ingmar Bergman
- Un étrange voyage de Alain Cavalier
- Dersou Ouzala de Akira Kurosawa
- リング, Ringu de Hideo Nakata
- Evil dead 2 de Sam Raimi
5 Morceaux :
- Générique Les Mondes Engloutis de Vladimir Cosma
- Sangoten de Jul
- Good Bye je reviendrai de Christophe
- Dernier domicile connu BOF de François de Roubaix
- Solitude des Latitudes de Gérard Manset
5 artistes :
- Alain Cavalier
- Jean Prouvé
- Ricky Gervais
- Delphine Seyrig
- Ariane Mnouchkine
5 lieux :
- Dunedin au sud de la Nouvelle-Zélande et sa lumière
- Le Phnom Bokor, petite montagne au sud du Cambodge et son casino fantôme
- Mamoudzou, Mayotte et son accueil
- Prats-de-Mollo-la-Preste, et son nom
- La zone industrielle de Saint-Nazaire et son parking pour faire demi-tour
Éric Veillé est auteur et illustrateur.
Bibliographie :
- Série Les petites histoires Filliozat, en partenariat avec Virginie Limousin et Isabelle Filliozat, Nathan (2020).
- Série Cahiers Filliozat, en partenariat avec Virginie Limousin et Isabelle Filliozat, Nathan (2018-2019).
- Tourne la roue et dessine ! Le monde des contes, illustration d’un texte de Sophie Nanteuil, Larousse (2019).
- L’encyclopédie des mamies, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Série Lionel, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2017-2019), que nous avons chroniqué ici.
- Maman à l’école, texte illustré par Pauline Martin, Actes Sud Junior (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Un monstre à chaussettes !, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Mon imagier après la tempête, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Les secrets de l’école, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Ma vie en pyjama, texte illustré par Pauline Martin, l’école des loisirs (2014).
- Tout sur le grand méchant loup, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Le bureau des papas perdus, texte illustré par Pauline Martin, Actes Sud Junior (2013).
- Pirates à tartiner, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Sorcières à chatouiller, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Le sens de la vie et ses frères, texte et illustrations, Cornélius (2008).
- Jojo le récidiviste, illustration d’un texte de Joseph Danan, Actes Sud Papier (2007).
- La poésie allemande, collectif, Mango (2003).
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !