Pour la septième année, cet été encore, on vous propose une rubrique que vous aimez beaucoup (et nous aussi !), Du berger à la bergère. Tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trices et des illustrateur·trices qui posent trois questions à une personne de leur choix. Puis c’est à l’interviewé·e de poser trois questions à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Myren Duval et Marie-Aude Murail, Caroline Solé et Vincent Villeminot, Catherine Pineur et Geneviève Casterman, Églantine Ceulemans et Isabelle Maroger, Myriam Dahman et Paul Echegoyen, cette semaine c’est Gabrielle Berger qui a choisi Violaine Leroy !
Gabrielle Berger : Chère Violaine, j’adore ton travail, tes compositions, tes motifs, tes personnages que tu rends si expressifs avec trois traits… Mais ce qui me fascine le plus c’est la façon dont tu utilises le blanc, c’est une couleur à part entière dans ton univers. D’où est-ce que cela te vient ?
Violaine Leroy : Tout d’abord, merci pour ces bonnes questions !
Je crois que j’ai en général une préférence pour les images qui respirent, les marges spacieuses dans la composition d’une page. J’aime qu’on voie bien la dynamique d’un trait ou d’un coup de pinceau.
J’aime bien aussi que mes images ne disent pas tout, qu’on se pose une question en les regardant, qu’on soit obligé de s’y attarder un peu pour se les approprier… Le blanc, sans doute, représente cet inconnu à explorer.
Bon, c’est carrément pas vendeur, à l’heure de la diffusion fast and furious des images sur les réseaux sociaux…
Gabrielle Berger : Je pense que je pourrais reconnaître un de tes dessins entre mille. As-tu cherché à cultiver ta singularité ?
Violaine Leroy : Et bien, au début, quand j’ai eu fini mes études, je n’étais pas du tout « reconnaissable ». J’ai d’ailleurs fait beaucoup de commandes en faisant plus ou moins ce que l’on me demandait, et ce n’était pas toujours très heureux, il faut bien le dire… Je n’osais pas trop montrer et explorer des choses plus personnelles, j’avais l’impression que j’allais être toute nue devant les autres. Au bout d’un temps, j’étais lassée des commandes nulles, des collaborateur·rices désagréables et d’avoir la sensation de participer à la création de livres inutiles… J’ai refusé toutes les commandes pendant six mois et j’ai dessiné pour moi, rien que pour moi. Ça m’a fait un bien fou, et j’ai trouvé ce qui m’allait, j’ai assumé ce que je voulais raconter. Mais je continue tout le temps d’explorer des endroits différents, des histoires différentes, des commandes pour des publics très variés, des pinceaux différents et je trouve que mon style est finalement à mon image, pas très stable et très mouvant !
Je trouve ça très libérateur de se dire qu’on a le droit de changer, de se renouveler, de rater aussi.
Gabrielle Berger : On m’a soufflé à l’oreille que lorsqu’on t’a demandé d’illustrer la couverture de Grim, fils du marais de Gaël Aymon, tu as eu un tel coup de cœur pour ce roman que tu as proposé d’y ajouter des illustrations intérieures. Ça t’arrive souvent de vouloir aller au-delà du projet de départ ? Tu as déjà eu le sentiment de devoir te restreindre ?
Violaine Leroy : Je vois que tu es bien renseignée ! Pour certaines commandes en édition, oui, il y a des vraies frustrations souvent liées au temps, au nombre de pages ou à des budgets très limités (et comme chacun·e sait, on ne vit toujours pas d’amour et d’eau fraîche, n’est-ce pas ?)
Mais c’est parfois très bien, car cela m’oblige à composer avec les contraintes et créer des choses plus intéressantes : je pense, par exemple, à la Belle et la Bête chez Gallimard. J’avais un temps tellement limité que j’ai proposé de faire le livre en trois couleurs pantone. Au final, ça donne à l’album une identité très forte.
Parfois, comme pour Grim, fils du marais, j’ai eu la chance d’avoir une oreille attentive qui a accepté de faire plus d’images.
Parfois, l’absence totale de contraintes, comme lorsque j’ai écrit et dessiné Uani, peut être aussi très angoissante et on finit par se noyer un peu dedans, puisque tout est possible !
Souvent ces contraintes me servent plutôt à me poser des questions, à explorer quelque chose que je n’aurais pas fait, à les tordre un peu et jouer avec. Mais j’ai de la chance, car apanage de la vieillesse (ou de l’expérience, va savoir…), en général, les personnes avec qui je travaille me font confiance et sont à l’écoute de mes propositions.
Violaine Leroy : Tu travailles seule ou dans un atelier et tu écoutes quoi comme musique en travaillant ?
Gabrielle Berger : Je travaille dans un atelier partagé à Bagnolet, pas loin de chez moi, où il fait froid l’hiver, mais délicieusement frais l’été. On est huit, jamais tous ensemble, et on fait tous des métiers différents (peintre, designer textile, tricoteuse, philosophe, clown, photographe…). J’écoute un peu de tout, ça dépend de mon humeur, Carpenter Brut, Queen, l’Impératrice, David Numwami… FIP par flemme. J’aime aussi mettre des musiques de film épiques, ça me motive à travailler, et parfois des podcasts, Les pieds sur terre, c’est mon péché mignon.
Violaine Leroy : Ton travail navigue entre les histoires légendaires, fantastiques et le documentaire, qu’est-ce que cela a apporté (ou enlevé) à ton travail d’illustrer des histoires plus ancrées dans le réel ?
Gabrielle Berger : Dans les projets documentaires il y a tout un travail de recherche minutieux qui me plaît beaucoup et m’offre de belles découvertes, par exemple alors que j’ai toujours voué une haine aux faïences poussiéreuses des musées, je suis maintenant fascinée par l’incroyable richesse des motifs et je pourrais passer des heures à dessiner des porcelaines.
Chercher quels éléments de décoration, quels vêtements, quelles teintes vont restituer une époque et y faire entrer le lecteur, arriver aussi à y faire entrer mon style et mes envies graphiques… Cela enrichit finalement mes projets imaginaires, c’est aussi parfois le point de départ d’une idée. J’ai toujours aimé travailler sur les « ambiances », créer un univers qui pourrait s’étendre au-delà du livre. Je comprends de mieux en mieux les mécanismes pour atteindre une vraie cohérence.
Par contre, il est vrai parfois que je perds en spontanéité. Et dans le documentaire ou la légende, je me sens aussi contrainte par le portrait ou la description des personnages. J’ai encore du mal à faire un pas de côté… J’attends avec impatience le jour où j’atteindrai l’équilibre entre rigueur et créativité !
Violaine Leroy : Ton univers, dû à ta formation en animation, semble influencé par les films d’animation et les jeux vidéo : quels sont tes préférés et/ou ceux que tu aimerais nous faire découvrir ?
Gabrielle Berger : Mon film d’animation préféré entre tous c’est Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki. Mais dans les plus récents et peut-être un peu moins connus, je recommande Tout en haut du monde, de Rémi Chayé, il est à voir au moins pour le travail de la couleur qui est absolument splendide. Il m’a vraiment beaucoup influencée !
Et Ma vie de courgette de Claude Barras, c’est un film en stop-motion (pâte à modeler) d’à peine une heure et c’est un bijou d’émotion.
Sinon je viens de finir le jeu Hollow Knight, je ne suis pas une très bonne joueuse et il est assez difficile, pourtant impossible de le lâcher. Ce petit univers d’insectes bizarres m’a passionnée.
Bibliographie sélective de Gabrielle Berger :
- 7 histoires du soir, illustration d’un texte d’Emmanuelle Lepetit, Fleurus (2022).
- Nelly Bly, illustration d’un texte de Jean-Michel Billioud, Gallimard Jeunesse (2021).
- Les princes poètes, illustration d’un texte de Constance Félix, Faton Jeunesse (2021).
- Mozart, illustration d’un texte de Béatrice Fontanel, Gallimard Jeunesse (2020).
- Rostam, illustration d’un texte de Léopold Roy, Aleph (2019).
- Le roi des singes, illustration d’un texte d’Emmanuelle Lê, Aleph (2018), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Gabrielle Berger sur Instagram.
Bibliographie sélective de Violaine Leroy :
Côté jeunesse :
- Un lien, texte et illustrations, autoédition (2022).
- Grim, fils du marais, illustration d’un texte de Gaël Aymon, Nathan (2022).
- Uani, texte et illustrations, La Pastèque (2020).
- Le tsarévitch aux pieds rapides, illustration d’un texte de Victor Pouchet, L’école des Loisirs (2018).
- La Belle & la Bête, illustration d’un texte de Carole Martinez, Gallimard Jeunesse (2017).
- Où es-tu ?, illustration d’un texte de Benoît Broyart, Seuil Jeunesse (2016).
- Contes de Luda, illustration d’un texte de Luda Schnitzer, Gallimard Jeunesse (2015).
- À table, illustration d’un texte de Martine Gasparov, Gallimard Jeunesse (2013).
Côté BD :
- Francette, scénario et dessin, collectif, Une Autre Image (2018).
- Dérangés, scénario et dessin, La Pastèque (2015).
Retrouvez Violaine Leroy sur son site et sur Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !