Pour la septième année, cet été encore, on vous propose une rubrique que vous aimez beaucoup (et nous aussi !), Du berger à la bergère. Tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trices et des illustrateur·trices qui posent trois questions à une personne de leur choix. Puis c’est à l’interviewé·e de poser trois questions à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Myren Duval et Marie-Aude Murail, Caroline Solé et Vincent Villeminot, Catherine Pineur et Geneviève Casterman, Églantine Ceulemans et Isabelle Maroger, cette semaine c’est Myriam Dahman qui a choisi Paul Echegoyen !
Myriam Dahman : C’était quoi (ou c’était qui) la petite étincelle qui a fait que tu es devenu illustrateur ?
Paul Echegoyen : L’histoire est un peu longue, mais je vais faire court ! Comme beaucoup de créatifs je dessine depuis toujours et je n’ai jamais arrêté. Pour ma part, il n’y a pas eu de petite étincelle mais plutôt deux grandes étoiles qui m’ont sorti des ténèbres de la dépression dans laquelle je m’engluais à l’époque, j’avais alors un peu plus de 20 ans, et qui m’ont montré la voie du métier que j’exerce. Il s’agit de Sophie Remy et Jean-Marc Verdier, fondateurs et enseignants de l’Académie de dessin de Tarbes. Ils sont mes parents professionnels. Je leur dois vraiment beaucoup. La vie, quelque part.
Myriam Dahman : Tu navigues entre deux mondes : celui de l’album jeunesse et celui de la bande dessinée. Qu’est-ce qui change dans ton travail quand tu passes de l’un à l’autre ? Est-ce que pour toi ce sont deux univers séparés ou est-ce qu’ils se nourrissent l’un de l’autre ?
Paul Echegoyen : J’en suis encore à mes débuts dans la bande dessinée, mais si j’ai bien appris quelque chose avec Les voyages de Gulliver, c’est que l’illustration peut s’inviter dans la bande dessinée, à condition qu’elle reste au service de la narration (qui n’est pas du tout la même de l’un à l’autre !). Il y a évidemment des passerelles, et c’est intéressant de les emprunter, mais il ne faut pas oublier de prendre souvent du recul. En tant qu’illustrateur, on peut facilement se laisser aller aux détails, qui sont parfois pour un dessinateur de bande dessinée complètement inutiles. Je trouve que la double casquette est passionnante, elle permet un travail de chercheur de l’image, un peu comme un botaniste mélangeant une espèce à une autre pour en créer une nouvelle !
Myriam Dahman : Je pense qu’on met tous et toutes des parties de nous dans nos livres, que ce soit nos souvenirs, nos engagements, notre sensibilité. C’est quoi la partie de toi que tu n’as pas encore mise dans tes dessins mais que tu aimerais explorer un peu plus dans le futur ?
Paul Echegoyen : Il y a bien des choses que je garde pour moi et que je ne mets pas dans mes dessins ! J’en imagine bien certaines dans des projets éditoriaux, d’autres dans des projets plus artistiques, et encore d’autres qui resteront dans un jardin secret. Ce qui est sûr, c’est que si je viens à travailler sur un projet plus personnel, plus intime, je voudrais pouvoir le mener seul de A à Z. Souvent dans l’édition on doit se plier aux contraintes, aux attentes, aux conditions de travail. J’essaie d’insuffler de la poésie et de l’onirisme dans mes illustrations, car je trouve que le monde en a cruellement besoin, surtout en ce moment. Mais il y a aussi des parts plus sombres, inexplorées, de mon esprit que j’aimerais bien arriver à sortir en images. Pour ce genre de travail, je pense que je ferais vraiment une distinction, peut-être prendre un pseudonyme, au risque de devenir un peu schizophrène !
Paul Echegoyen : Avant de te lancer dans l’écriture d’un nouveau projet, as-tu un rituel ou quelque chose qui t’aide à trouver l’inspiration ?
Myriam Dahman : Je ne pense pas avoir vraiment de rituel. Pas de stylo porte-bonheur, pas de playlist fétiche. Mes journées d’écriture commencent assez simplement : je me fais un café et je m’installe devant mon ordinateur.
J’écris surtout chez moi, où je navigue entre la table du salon et mon petit bureau, cette « chambre à soi » dont parlait Virginia Woolf. C’est une petite pièce colorée, éclairée par le soleil du matin et dont les murs sont tapissés des dessins de mes ami·e·s illustrateurs et illustratrices. Et quand malgré tous mes efforts, les mots ne viennent pas, la motivation manque, je prends mon ordinateur sous le bras et je vais écrire dans le café près de chez moi, où je retrouve souvent une copine autrice (coucou Manon :))…
Je travaille sur plusieurs projets en même temps, ce qui fait que je papillonne un peu et que j’ai souvent l’impression de me disperser, mais je crois que ça m’aide aussi à garder le moral : quand je me sens coincée je passe à un autre projet, et puis je peux en finir un, l’envoyer et me plonger tout de suite dans un autre pour ne pas me laisser ronger par l’angoisse de l’attente. Je suis assez impatiente et je doute vite de moi, donc attendre le retour d’un éditeur a quelque chose de paralysant et je sais que je peux vite m’enliser si je n’y prends pas garde.
Mais j’ai l’impression qu’une grande partie de mon travail ne se fait pas face à mon ordinateur. Elle est plus souterraine, plus secrète. Pour trouver l’inspiration, il me faut surtout du temps. Pour rêver, pour assembler dans mon esprit les pièces du puzzle, pour me demander « et si ? ». Souvent, j’ai une graine d’idée qui m’accompagne en arrière-plan dans un coin de ma tête pendant des semaines, voire des mois, avant que je me décide à la mettre enfin sur papier.
Paul Echegoyen : La nature et l’écologie sont des thèmes importants dans tes œuvres. Pourrais-tu nous dire ce qui a éveillé en toi ce besoin de sensibiliser les autres, et notamment les plus jeunes, à ces sujets ?
Myriam Dahman : Très tôt, ma mère m’a transmis son amour des plantes et des animaux, et notre maison était une sorte d’arche de Noé miniature. Donc j’ai l’impression que j’ai toujours été sensible à la nature et à l’écologie, et aussi que j’ai toujours été vaguement consciente qu’il « y avait un problème ». Pourtant, c’est seulement il y a quelques années que j’en ai pris la pleine mesure et que j’ai commencé à agir. Ça a été le résultat d’une série de déclics.
En 2018, je change de poste (puisque j’ai un travail salarié en plus de mon métier d’autrice) pour intégrer l’équipe « climat » dans l’institution où je travaille et je plonge la tête la première dans les rapports du GIEC et tous les cris d’alarme de la communauté scientifique. Trois semaines plus tard, c’est la démission de Nicolas Hulot, les premières marches climat, mes premiers contacts aussi avec des associations qui luttent pour infléchir le système. Chez moi, je lis La sixième extinction d’Elizabeth Kolbert, This is not a drill d’Extinction Rebelion, Perdre la Terre de Nathaniel Rich, Petit manuel de résistance contemporaine de Cyril Dion et bien d’autres. Via mon travail, j’anime des formations, je participe à des conférences, mais ça reste encore séparé de mon écriture. Pourtant, l’envie de réunir les deux grandit.
Alors je commence à en parler, à Maurèen Poignonec, qui partage mon engagement, à Aude Sarrazin [éditrice chez Glénat Jeunesse, LDLR], qui m’encourage à lui envoyer quelque chose, à Charlotte-Fleur Cristofari, ma collègue climat, à qui je propose de se joindre à moi dans l’aventure. Et c’est comme ça qu’est né 10 idées reçues sur le climat — et comment les mettre KO pour agir maintenant, mon premier livre de vulgarisation sur le changement climatique.
Il est adressé principalement à la jeunesse parce que je me considère d’abord comme une autrice jeunesse et que j’avais l’impression que cela m’offrait une plus grande liberté de ton pour aborder ce sujet complexe. Mais s’adresser à la jeunesse, ce n’est pas non plus tout lui mettre sur le dos (en vrac, l’angoisse d’un monde qui s’écroule, la responsabilité d’agir, l’espoir et la culpabilité…). C’était vraiment un point important — et une des raisons notamment pour lesquelles on voulait avoir des personnages de tous âges. J’espère avoir réussi à éviter cet écueil.
Paul Echegoyen Ma dernière question, as-tu un projet particulièrement cher à ton cœur, publié ou pas encore, dont tu voudrais nous parler en quelques mots (sans trop en dire si c’est encore secret !) ?
Myriam Dahman : Aïe aïe aïe… C’est tellement compliqué de choisir !
Du coup, pour ne pas faire de jaloux, je vais parler de ma prochaine publication qui sortira cet automne chez Gallimard Jeunesse et qui s’appelle : Leina et le Seigneur des Amanites, co-écrit avec Nicolas Digard et illustré par Julia Sarda. Mais je ne botte pas complètement en touche parce que ça reste un livre très cher à mon cœur, pour plusieurs raisons :
D’une, parce que c’est toujours un immense bonheur de travailler avec Julia et que nous avons créé cette histoire spécifiquement pour elle, avec ses dessins et son univers en tête. Il y a quelques années, nous avions organisé une discussion Skype tous les trois (car Julia habite à Barcelone) dans l’idée de parler de nos envies de projets, de nos sources d’inspiration, et c’est comme ça que Leina est né. Pour ce livre, Julia a créé un monde fascinant, de rivière et de boue, où les poissons se cachent dans l’ombre des nénuphars et où les champignons pullulent dans les recoins souterrains.
De deux, parce que comme son grand frère, Le talisman du loup paru en 2020, c’est un livre au destin étrange, qui navigue entre la France et l’Angleterre. Nicolas, Julia et moi avions envoyé le dossier du talisman du loup à la plupart des éditeurs en France, sans succès — un seul éditeur nous avait fait miroiter une publication pour finalement nous planter sans donner de nouvelles — et en désespoir de cause, on avait décidé de tenter notre chance en Angleterre. On a donc réécrit l’histoire en anglais et le projet a trouvé preneur là-bas, où il est paru sous le titre « The Wolf’s Secret ». Notre éditeur anglais nous a encouragés à continuer notre collaboration et à explorer encore cet univers dans d’autres contes, ce que nous avons fait avec Leina.
Et enfin de trois, parce que travailler sur ce livre me plonge dans le travail de traduction (ou enfin, d’auto-traduction) qui est absolument passionnant. Avec Nicolas, on s’est posé énormément de questions en réécrivant le texte en français. Par exemple, notre personnage de crapaud-sorcier s’appelle « Mr Spadefoot » en anglais, du nom d’une espèce de crapaud américain. On voulait que son nom corresponde à un vrai nom d’amphibien, mais on aimait aussi le côté ridicule de Spadefoot qui se traduit par « pied de bêche ». Pour la version française, on voulait retrouver cette ambivalence. On a fini par trouver le Spea Bombifrons, une autre espèce de crapaud américain, dont la sonorité du nom fait penser à « Front bombé » et Mister Spadefoot est donc devenu Messire Bombifrons.
Bibliographie de Myriam Dahman :
- Leina et le Seigneur des Amanites, co-écrit avec Nicolas Digard, illustré par Júlia Sardà, Gallimard Jeunesse (à paraître le 6 octobre 2022).
- La magicienne, album illustré par Clément Lefèvre, Glénat Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- 10 idées reçues sur le climat, documentaire co-écrit avec Charlotte-Fleur Cristofari et illustré par Maurèen Poignonec, Glénat Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Le talisman du loup, album co-écrit avec Nicolas Digard et illustré par Julia Sarda, Gallimard Jeunesse (2020).
- Contes philosophiques racontés par mon chat, album co-écrit avec Aurélie Palach et illustré par Marion Piffaretti, Fleurus (2020).
- Tout pour devenir une sorcière, roman illustré par Maurèen Poignonec, Talents Hauts (2019).
- Le barbare en collants jaunes, album illustré par Maurèen Poignonec, Gautier Languereau (2018).
- Ma maison a le hoquet, album illustré par Églantine Ceulemans, Magnard (2016).
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Bibliographie de Paul Echogoyen :
- Le chat dans un ogre, illustration d’un texte de Bertrand Galic, Didier Jeunesse (à paraître en août 2022).
- Les voyages de Gulliver : De Laputa au Japon, BD, dessins sur un scénario de Bertrand Galic, Soleil (2020).
- 1902, album, illustration d’un texte de Pog, Les Minots (2018).
- 1900, album, illustration d’un texte de Pog, Les Minots (2016).
- Les dimanches de Romulus, album, illustration d’un texte d’Amélie Videlo, Marmaille et compagnie (2016).
- La légende de Momotaro, album, illustration d’un texte de Margot Remy-Verdier, Marmaille et compagnie (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Léonard et Salaï, tome 1, BD, dessins sur un scénario de Benjamin Lacombe, Soleil (2014).
- Baba Yaga, album, illustration d’un texte de Claude Clément, Seuil Jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Le bal des échassiers, album, illustration d’un texte de Sébastien Pérez, Seuil Jeunesse (2011).
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Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !