Pour la septième année, cet été encore, on vous propose une rubrique que vous aimez beaucoup (et nous aussi !), Du berger à la bergère. Tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trices et des illustrateur·trices qui posent trois questions à une personne de leur choix. Puis c’est à l’interviewé·e de poser trois questions à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Myren Duval et Marie-Aude Murail, Caroline Solé et Vincent Villeminot, Catherine Pineur et Geneviève Casterman, cette semaine c’est Églantine Ceulemans qui a choisi Isabelle Maroger !
Églantine Ceulemans : Dans la quasi-totalité de tes dessins, tes personnages sont pleins de vie. Ça ne te fatigue pas, parfois, d’être la metteuse en scène de ce petit monde merveilleusement joyeux, mais certainement épuisant ? Où trouves-tu toute cette énergie ? (vitamines, Guronsan, café)
Isabelle Maroger : J’aime sentir que la vie est plus intense dans les livres et le dessin, il faut arriver à tout faire passer en seulement quelques traits, du coup, oui, je surjoue beaucoup pour ressentir tout plus fort. J’ai besoin de me réfugier dans des univers joyeux, le monde est déjà assez gris comme ça. Après je suis, plutôt calme et introvertie, mes personnages sont énergiques pour moi.
Églantine Ceulemans : Ton petit garçon est maintenant suffisamment grand pour lire tous tes livres et te donner son avis ! Qu’est-ce que ça a changé dans ta façon d’appréhender ton métier ?
Isabelle Maroger : Avoir un enfant a complètement changé mon regard sur les livres, dans un premier temps, par rapport à ceux que je lis. Lire à haute voix m’a fait redécouvrir tous mes livres, on met vite de côté les livres dans lesquels on s’ennuie, car on a besoin aussi de s’amuser en les lisant. Du coup, j’essaie d’appliquer ça aux livres que je fais, car j’ai une meilleure conscience du lecteur. Sinon, oui, mon fils me donne son avis sur mes dessins, mes personnages sont peut-être moins lisses depuis lui. J’ai moins peur de caricaturer, car je sais que ce sont ces personnages-là qui marquent et qu’on retient !
Églantine Ceulemans : Quand j’étais étudiante, je lisais déjà ton blog avec assiduité, aujourd’hui je lis tes posts Instagram avec autant de passion. Tu arrives à rester au top depuis un bon moment maintenant, est-ce que tu as une recette magique pour ça ?
Isabelle Maroger : Il y a peu de temps j’ai réalisé que j’arrivais à 19 ans de carrière cette année (j’ai commencé en septembre 2003 en illustrant des strips de BD). C’est complètement fou, car je me sens encore bizarrement très débutante, comme pas encore au niveau, donc j’ai encore cette envie d’apprendre, de nourrir mes yeux au quotidien et d’aller plus loin. Après, au-delà du dessin, j’aime pouvoir faire passer des idées et des messages, et ce moteur-là est au final devenu plus important. Avoir envie, croire fort à son projet, y mettre du cœur, c’est la recette pour tout… C’est vraiment la base, car c’est loin d’être un métier facile. Je l’aime fort, mais le déteste aussi par moments ! (Ces temps-ci, par exemple, j’ai besoin de beaucoup refuser pour retrouver cet enthousiasme et savoir où je veux vraiment aller.)
Isabelle Maroger : J’ai l’impression que nos univers ont pas mal de points communs, tu aimes aussi beaucoup dessiner des images refuges. Avec cette enfance qui est centrale. Dessiner l’enfance ce serait pas un peu la revivre quelque part, la réinventer ?
Églantine Ceulemans : Oui probablement, revivre éternellement son enfance, ne serait-ce pas le rêve de tout adulte ? Échapper aux responsabilités, aux prises de conscience, etc. Je fais justement ces images pour fuir tout ça, créer une petite bulle et espérer que les lecteurs s’y sentent aussi bien que moi. Histoire de reprendre des forces avant de retrouver le cours de sa vie.
Je ne crois pas réinventer l’enfance, je dessine ce que je pense être vrai, mais je choisis juste les « meilleurs » moments de l’enfance : ce n’est peut-être pas toujours réaliste de faire une sélection comme ça !
J’ai l’impression que beaucoup d’illustrateurs proposent des images « refuges », ce que j’aime aussi avec ces illustrations, c’est qu’en fixant l’instant par le dessin, on montre un moment probablement pas assez savouré lorsqu’on l’a vécu, on peut alors prendre son temps pour le revivre à son rythme.
Isabelle Maroger : Tu es aussi autrice de romans avec Maverick. Tu avais besoin d’un texte sur mesure à ton univers que toi seule pouvais écrire ? Écrire et dessiner sont comme liés ? Tes envies d’images sont venues avant ou après le texte dans ce cas de figure ?
Églantine Ceulemans : Depuis toujours, avant de me coucher, je me raconte des histoires pour m’endormir, donc le texte vient en premier pour moi. Et comme je ne parviens pas à me représenter d’images mentales (apparemment, ça s’appelle l’aphantasie, j’ai appris ça il y a peu !), je n’ai pas trop le choix… Petite, je récupérais les univers des livres/films/séries que j’adorais et je faisais mon scénario dans ma tête, mais petit à petit, je me suis mise à créer mon petit monde sur mesure qui allait avec mon humeur du moment. Travailler en collaboration avec un auteur, c’est génial, on découvre de nouveaux univers, on est galvanisé par son énergie et on sort de ses sentiers battus. Mais parfois je ressentais l’envie de faire ma propre tambouille, et peut-être que j’arriverais à donner envie aux lecteurs de s’endormir avec mon monde ?
Les illustrations viennent longtemps après. Je pense que l’approche est différente pour un album et un roman. Il ne faut pas répéter ce qui est dit dans l’écrit, mais il y a peu d’illustrations donc le texte me semble primordial dans ce cas précis.
Isabelle Maroger : Tu travailles en atelier à Paris, c’est un univers collectif qui t’aide pour créer ? Tu as besoin aussi de solitude pour écrire et dessiner ?
Églantine Ceulemans : Oui, je suis dans un super atelier, il n’y a pas que des illustratrices, mais on est toutes des créatives. Je trouve intéressant de partager avec elles, car on s’aide toutes à s’ouvrir au monde et à voir les choses selon différents angles. C’est très enrichissant. Je suis néanmoins de nature assez solitaire et il m’arrive de rester seule chez moi pendant plusieurs semaines pour écrire, faire des activités manuelles en tout genre. Ça me permet de me sentir vraiment moi et pas un caméléon qui s’imprègne et s’adapte aux différents univers qui s’offrent à moi.
Bibliographie sélective d’Églantine Ceulemans :
- Série L’espionne, deux tomes actuellement, dessin sur un scénario de Marie-Aude Murail, BD Kids (2022).
- Série Les Couzz, trois tomes actuellement, illustration de textes de Fanny Joly, Little Urban (2020-2021), que nous avons chroniqué ici et là.
- Wilman la vampire, illustration d’un texte de Chrysostome Gourio, Sarbacane (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Série Maverick, deux tomes actuellement, texte et illustrations, Little Urban (2020).
- Coiffeur pour monstres, illustration d’un texte d’Alexandre Lacroix, Père Castor (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Série Lasco de la grotte, six tomes actuellement, illustration de textes de Sandrine Beau, Magnard (2017-2019).
- Kidnapping à la confiture, illustration d’un texte de Marie Lenne-Fouquet, Sarbacane (2019).
- Comment devenir une vraie sorcière ?, illustration d’un texte d’Anne-Marie Desplat-Duc, Scrinéo (2018).
- Ma maison a le hoquet, illustration d’un texte de Myriam Dahman, Magnard (2016).
- Monsieur Tilali, illustration d’un texte de Sabine du Faÿ, L’Élan vert (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Le loup et les sept chevreaux, illustration d’un texte de Magdalena, Castor Poche (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Le petit et les arbres poussaient, illustration d’un texte de Loïc Clément, Les p’tits bérets (2014), que nous avons chroniqué ici.
- L’univers, ce qu’on ne sait pas encore, illustration d’un texte d’Anna Alter et Hubert Reeves, Le Pommier (2013), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Églantine Ceulemans sur son site et sur son compte Instagram.
Bibliographie sélective d’Isabelle Maroger :
- Mon corps m’appartient !, illustration de textes d’Isabelle Filliozat et Margot Fried-Filliozat, Nathan (2022).
- Série Grâce, dessins sur des scénarios de Marc Dubuisson, BD Kids (2021).
- Série Ma mère et moi, dessins sur des scénarios de Marc Cantin, Clair de Lune (2011-2020).
- Ce que je fais avec Papa / Ce que je fais avec Maman, illustration d’un texte d’Amélie Antoine, Gründ (2020).
- Il y a un monstre dans ma chambre, illustration d’un texte de Sandra Nelson, Père Castor (2020).
- Coquillettes et crustacés, dessin sur un scénario de Louise Mey, Monsieur Pop Corn (2019).
- D’où je viens ? Le petit livre pour parler de toutes les familles, illustration de textes de Stéphanie Vidal, Bayard Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Les filles peuvent le faire aussi / Les garçons peuvent le faire aussi, illustration de textes de Sophie Gourion, Gründ (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Vite vite, illustration d’un texte de Magdalena, Père Castor (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Le bébé s’appelle Repars, illustration d’un texte d’Émilie Chazerand, Gautier-Languereau (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Nicolette et Alphonse, illustration d’un texte de Pétronille, Fleur de Ville (2015), que nous avons chroniqué ici.
- En avant les filles !, illustration d’un texte de Sandrine Mirza, Nathan (2012), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Isabelle Maroger sur son compte Instagram.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !