Aujourd’hui, je vous propose un bien beau mercredi pour fêter la réouverture prochaine des librairies. Tout d’abbord je vous on a rendez-vous avec l’autrice-illustratrice Herbera, puis on va partir en vacances avec Sandrine Revel ! Et dès samedi, allez acheter les deux derniers albums de ces autrices-illustratrices ! Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Ghislaine Herbera
En 2011, lorsque vous avez sorti Monsieur Cent têtes, vous avez reçu le prix du premier album au Salon de la presse et de la littérature de jeunesse de Montreuil et le prix Prima Opera de la foire internationale du livre de jeunesse de Bologne. Comment vit-on une reconnaissance immédiate et un succès direct comme ça ?
Ces deux prix m’ont évidemment fait extrêmement plaisir d’autant plus que je sortais, avec cette première publication, d’une période professionnelle difficile.
Au chômage depuis quelques mois (j’avais décidé de cesser de travailler pour le théâtre) et bricolant mon livre dans mon coin, dans l’idée d’en imprimer une copie pour mes deux enfants, je n’imaginais pas être publiée. Encore moins obtenir deux prix prestigieux !
Mais le plus drôle dans cette histoire est que j’avais une telle méconnaissance du milieu de l’édition jeunesse et des évènements afférents (salons, prix, etc.) que j’ignorais l’existence de ces prix et de la Foire de Bologne elle-même. Apprenant chaque fois la nouvelle chez moi par téléphone, j’ai mis un peu de temps à réaliser. Je n’ai donc pas explosé de joie sur le moment, mais elle s’est distillée en moi progressivement sous la forme d’un élan de confiance suffisant pour continuer dans cette voie.
Toujours à propos de ce premier album, votre éditrice, Christine Morault, raconte qu’à peine a-t-elle reçu deux doubles pages du projet qu’elle a voulu l’éditer, depuis vous avez sorti de nombreux livres chez MeMo, pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec cette belle maison ?
C’est vrai. Christine m’a téléphoné immédiatement après avoir ouvert mon mail, ce qui fait que je n’ai pas attendu longtemps entre le moment où je l’ai envoyé et le moment où j’ai entendu au téléphone « Il est pour nous on le prend ! » je me souviens lui avoir dit, incrédule, « mais vous n’avez vu que les 2 premières et les deux dernières pages, il y en plus de quarante au milieu », elle n’a pas tiqué, « on le prend, je suis sûre de ça ».
Encore une fois, complètement ignare, et avec mon éternel train de retard (le comble pour une fille de cheminot) j’ai téléphoné juste après à l’amie qui m’avait envoyé la liste des éditeurs à qui adresser mon projet, pour lui demander « c’est bien MeMo ? » elle a répondu « tu veux rire, tout le monde rêve de faire un livre chez Memo ! ».
Bon, voilà pour l’entrée en matière. Par la suite, Christine Morault m’a confié très rapidement, après la parution de Monsieur cent têtes, un texte à illustrer, Le chat âme de Guia Risari, un nouveau défi pour moi.
Je ne faisais pas vraiment de crayonnés, en tous cas je ne soumettais pas mes petits gribouillis préparatoires (je ne savais pas que cela se faisait et Christine me laissait procéder à ma manière) j’envoyais donc mes 5 ou 6 premières images terminées, elles étaient bien accueillies et je continuais.
Christine m’a très rarement demandé de modifier une illustration, et lorsqu’elle l’a fait c’était toujours pour des raisons pertinentes, cela ne m’a donc jamais posé de problème. La seule chose que j’ai dû défendre est le texte de Monsieur cent têtes, auquel elle n’adhérait pas au tout début et qui a fini par la convaincre.
C’est ainsi que ce sont enchainés les albums, dans une grande liberté pour moi, et un rapport de confiance sur le terrain artistique extrêmement précieux.
Dans l’album Dans la forêt, que vous venez de sortir, on retrouve Nin et sa famille, des personnages que l’on a déjà croisés dans plusieurs de vos albums. Pouvez-vous nous dire comment est née cette famille nombreuse ?
En feuilletant un catalogue des œuvres de Karl Blossfeldt, je suis tombée sur des photographies de plantes (aesculus parviflora) qui rappellent de manière frappante les totems sculptés par les Premières Nations d’Amérique du Nord.
J’ai alors imaginé une famille de lutins, au corps très stylisé, peuple des hautes herbes, dont ces « totems naturels » orneraient l’entrée de la maison, comme chez les Amérindiens.
Je me suis appliquée à les faire ressembler aux sympathiques visages clownesques qui apparaissent sur cette plante.
Puis, m’inspirant d’un conte populaire brésilien (La poupée maïs) j’ai raconté l’histoire de La poupée cacahuète (la cacahuète étant plus proche et à l’échelle du physique de mes personnages)
Je me suis attachée à cette famille et j’ai inventé d’autres histoires au fil desquelles les caractères des personnages se sont précisés.
Nomi, le petit dernier, est devenu le personnage principal de L’heure bleue et de La grenouille qui grimace. Mais Nin, qui revient au centre du dernier album, Dans la forêt, demeure le personnage clé de chacune des aventures.
Le mystère reste que, pour finir, ces fameux « totems naturels », qui ont donné naissance aux personnages, n’apparaissent dans aucun des quatre albums.
Dans ce dernier album, vous revisitez Le petit Poucet, comment est né ce projet ?
J’avais envie de représenter des enfants se débrouiller seuls dans la nature. Entre le jeu et la survie : construire une cabane, tisser des paniers, ramasser et cueillir de la nourriture, se fabriquer des costumes et des armes. « la vie sauvage » est un fantasme de tout temps et tous âge, je crois. En tous cas ça l’a toujours été pour moi, et enfant, bien que moins douée que mes personnages j’ai beaucoup joué de cette manière.
C’est en cherchant un prétexte pour représenter ces scènes que m’est venue l’idée de revisiter Le petit poucet. Mais dans ma version, ce sont les parents qui se perdent…
Comment naissent vos histoires, où trouvez-vous l’inspiration ?
Mes histoires naissent souvent d’une idée plastique, et/ou inspirée par des œuvres d’art.
Je viens de raconter comment l’envie de dessiner des personnages en train de se fabriquer un camp de survie avec ce qu’offre la nature m’avait poussée à inventer l’histoire Dans la forêt. C’est plus particulièrement la partie sur les costumes le point de départ, thème très proche du masque, inspiré des photos de Charles Fréger qui poursuit un magnifique travail photographique depuis plus de 20 ans sur les figures masquées traditionnelles de diverses régions du monde.
Pour Monsieur cent têtes, j’avais juste l’envie de représenter des masques du monde, j’ai trouvé le titre (clin d’œil à La femme 100 têtes de Max Ernst) et l’ai pris au pied de la lettre. Tout le reste arrive après. La trame simple, ce fil tiré entre le début et la fin et le texte en dernier lieu.
Pour la grenouille qui grimace, par exemple encore, j’avais envie de jouer avec le théâtre d’ombres, et sa représentation à la manière des estampes de Kunyoshi. Revisiter l’histoire de la grenouille à grande bouche était le prétexte pour représenter mes personnages dans cet exercice.
Quelle est la part de vous dans ce que vous écrivez ?
Difficile à dire. Si j’essaie de trouver des points communs ou ce qui est récurrent dans les quelques albums que j’ai écrits (et qui pourrait donc me trahir), je dirais : la difficulté à canaliser ses émotions. La question du lien entre les êtres. De la singularité et du vivre ensemble. Mais bon, je n’ai pas écrit beaucoup de livres, j’ai probablement (j’espère) d’autres parts de moi qui attendent de s’exprimer.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
J’ai intégré les Beaux-arts de Toulouse après mon BAC, la première année a été un feu d’artifice mental pour moi, j’ai découvert l’art contemporain sous toutes ses formes bien sûr, mais aussi le cinéma, la littérature, la musique… J’ai eu brutalement accès à la culture façon tsunami, et à des pratiques artistiques diverses, aussi, puisque c’est ce que permet avant tout ce type d’école : expérimenter. J’ai touché à beaucoup de choses, peinture bien sûr, mais aussi sculpture, installations, photo, vidéo, son, céramique, gravure…
J’ai terminé mon cursus de 5 ans aux Beaux-arts de Marseille puis me suis intéressée, par le biais de rencontres avec des gens de théâtre, à la scénographie, et par capillarité aux costumes, accessoires et marionnettes : touche à tout, spécialiste de rien.
Ce qui m’intéressait le plus dans le théâtre, et que je n’ai pas assez exploré à mon goût, est la scénographie par la lumière. J’aimais beaucoup collaborer de près avec le créateur lumière.
Vous concevez des scénographies de spectacle en plus d’être autrice/illustratrice, est-ce que cette autre casquette a une influence sur votre écriture et vos illustrations ?
Tout d’abord, même si je n’ai finalement pas tiré un trait définitif sur ma pratique de la scénographie, je n’y suis revenue depuis qu’à de très rares occasions.
Mais, oui il est certain que cela a influencé ma conception de l’espace de narration, et mes illustrations aussi.
Monsieur cent têtes est pensé comme un solo, une chorégraphie dans un espace quasi vide, « boite blanche » en référence à la « boite noire » du théâtre.
J’ai également conçu les « déplacements » de mes personnages d’enfants du Livre rouge comme on dirige des acteurs sur un plateau.
Dans L’heure bleue, cette sorte de marabout-bout d’ficelle des actions a quelque chose d’assez frontal/théâtral également.
La grenouille qui grimace est un « spectacle » dans l’histoire…
Je le suis moins maintenant mais j’étais assez avare de détails dans les décors, probablement influencée par le théâtre contemporain épuré, et son principe de « plateau nu », où un objet n’est jamais là pour décorer mais est présent que s’il fait sens et sert dans le jeu.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai peu lu enfant et avant 18 ans. Plutôt que lire je dessinais beaucoup. Et surtout je jouais dehors et faisais beaucoup de sport.
Il y avait pourtant des livres chez nous, car même si mes parents ne lisaient pas, ils achetaient pour nous les grandes séries des bibliothèques roses et vertes, et je me souviens d’avoir aimé, petite, Jojo Lapin d’Enid Blyton, puis les aventures d’Alice détective de Caroline Quine (j’aime toujours les policiers d’ailleurs). En revanche, sortie de l’enfance et de la préadolescence et de cette littérature très classique il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent.
Deux, trois livres empruntés à la bibliothèque de l’école m’ont cependant marquée dont L’enfant et la rivière d’Henri Bosco. J’ai adoré ce livre, le sentiment d’aventure, de peur et de liberté qu’il m’a procuré. Cette fugue en barque et cette histoire d’amitié ont déterminé mon rapport fantasmatique au cours d’eau. Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl bien sûr !
Et j’ai aussi beaucoup aimé le K de Dino Buzzati, lu au collège.
Je suis devenue une plus grande lectrice vers 18 ans, lors de ma première année aux Beaux-Arts, où j’ai commencé à lire Dostoïevski, Beckett, Garcia Marquez. Éblouissements.
Des albums en cours ?
Non. Je travaille sur d’autres choses en ce moment : affiche, illustrations pour la revue DaDa… Mais j’ai quelques idées (visuelles !) à l’état embryonnaire, il va falloir trouver comment les développer. On en reparle dans 9 mois ?
Bibliographie :
- Dans la forêt, texte et illustration, MeMo (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Les trois bons amis, illustration d’un texte de Carl Norac, À pas de loups (2018).
- Le pou du ciel, illustration d’un texte de Gwenola Breton, Le port a jauni (2017), que nous avons chroniqué ici.
- La grenouille qui grimace, texte et illustration, MeMo (2017).
- Sorcière blanche, illustration d’un texte de Carl Norac, À pas de loups (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Bestiaire fabuleux du Brésil, illustration d’un texte de Barbara Pillot, Chandeigne (2015).
- L’heure bleue, texte et illustration, MeMo (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Je(ux) : petite anthologie, illustration d’un texte de Fernando Pessoa, Chandeigne (2014).
- Tchon tchon bleu, illustration d’un texte de Pinin Carpo, MeMo (2013).
- Denys l’aréopagite et le nom de Dieu, illustration d’un texte de Jean-Paul Mongin, Les petits Platons (2012).
- La poupée cacahuète, texte et illustration, MeMo (2011).
- Histoire de la roue qui a inventé l’homme, illustration d’un texte de Benoît Richter, MeMo (2011).
- Le livre rouge ou Les aventures de Pépin le glouton, texte et illustration, Didier jeunesse (2011).
- Ma mère est une femme à barbe, illustration d’un texte de Raphaële Frier, Frimousse (2011).
- Le chat âme, illustration d’un texte de Guia Risari, MeMo (2010).
- Monsieur cent têtes, texte et illustration, MeMo (2010).
En vacances avec… Sandrine Revel
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte ce qu’elle·il veut me faire découvrir. On ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’il·elle veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Sandrine Revel que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse préférés :
- A year in Brambly Hedge – Jill Barklem
- Le miroir d’Henri – Roberto Prual-Reavis
- Max et les Maximonstres – Maurice Sendak
- Magasin zinzin – Frédéric Clément
- Les couleurs du jour – Kvéta Pacovská
5 romans :
- La dame blanche – Christian Bobin
- Lettre à un jeune poète – Rainer Maria Rilke
- Voyage au phare – Virginia Woolf
- Dans les forêts de Sibérie – Sylvain Tesson
- Espèces d’espace – Georges Perec
5 DVD
- Vous avez un message – Tom Hanks/Meg Ryan
- Meurtre mystérieux à Manhattan – Woody Allen/Diane Keaton
- Moi, toi et tous les autres – Miranda July
- Bright Star – Film de Jane Campion
- César et Rosalie – Film de Claude Sautet
5 CD
- Elegiac Cycle – Brad Mehldau
- Live in Tokyo – Brad Mehldau
- Lisa Leblanc – Lisa Leblanc
- Five Leaves Left – Nick Drake
- Western Stars – Bruce Springsteen
5 BD
- Maus – Ralf Spiegelman
- Jimmy Corrigan – Chris War
- Là où vont nos pères – Shawn Tan
- Automne – Jon McNaught
- Cul de Sac – Richard Thompson
5 artistes
- Lucian Freud
- Jean Rustin
- Vilhelm Hammershoi
- Tom Thomson
- Anne Magill
5 lieux
- L’Entre deux Mers
- Les Causses de l’Aubrac
- Le Finistère
- Toronto
- Parc national du Lake District
Sandrine Revel est scénariste de BD et illustratrice.
Bibliographie sélective :
- Hey Jude, BD Jeunesse, dessin et scénario, Éditions Casterman (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le voyage de June, BD Jeunesse, scénario de Sophie Kovess-Brun, Éditions Les ronds dans l’O (2015).
- Jack et le haricot magique, album, illustration d’un texte d’Anne Loyer, Editions Lito (2009).
- Le nuage-danse, BD Jeunesse, scénario de Denis-Pierre Filipi, Editions Delcourt jeunesse (2008).
- Petitchat et la lune, album, illustration d’un texte de Myriam, Editions Carabas jeunesse (2007).
- Un amour de Pou, album, illustration d’un texte de Gudule, PetitGlénat (2007).
- Le jardin autre monde, BD Jeunesse, scénario de Denis-Pierre Filipi, Editions Delcourt jeunesse (2006).
- Le démon chinois, BD Jeunesse, scénario de Denis-Pierre Filipi, Editions Delcourt jeunesse (2004).
- Le voleur d’étoiles, BD Jeunesse, scénario de Denis-Pierre Filipi, Editions Delcourt jeunesse (2003).
- Des vacances d’enfer, BD Jeunesse, scénario de Denis-Pierre Filipi, Editions Delcourt jeunesse (2002).
- Les bonheurs de Sophie, album, avec Myriam et Mathis, Editions Paquet (2002).
- Diablo et Juliette, BD Jeunesse, scénario de Denis-Pierre Filipi, Editions Delcourt jeunesse (2001).
- Un zoo à New York, BD Jeunesse, scénario de Denis-Pierre Filipi, Editions Delcourt jeunesse (2001).
- Un drôle d’ange gardien, BD Jeunesse, scénario de Denis-Pierre Filipi, Editions Delcourt jeunesse (1999).
Sandrine Revel vient également de sortir une (super) BD pour adultes (mais qui peut être lue aussi par les ados), Chroniques de San Francisco, scénario d’Isabelle Bauthian, chez Steinkis.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !