Il y a quelques semaines, je vous présentais Changer d’air de Jeanne Macaigne. Cet album m’a donné très envie d’en découvrir un peu plus sur le travail de l’artiste ; je lui ai donc posé quelques questions. À la suite de cette interview, je vous propose de découvrir le coup de cœur littéraire de Suzanne, la jeune animatrice du podcast Radio Velpo, dans la rubrique Les premier·ères concerné·es.
L’interview du mercredi : Jeanne Macaigne
Pouvez-vous nous parler de votre dernier album Changer d’air ?
Changer d’air, c’est l’histoire d’une maison qui vit très heureuse avec ses habitants dans son quartier. Mais un jour tout change… Les habitants ne s’entendent plus. Leurs disputes deviennent violentes, si violentes qu’elles en viennent à abîmer la Maison qui va entreprendre un grand voyage pour tenter de les aider à changer de vie, changer d’air, mais est-ce que cela suffira ? Comme une rengaine qui revient, leurs penchants dominateurs et prédateurs reviendront au galop jusqu’au jour où le chagrin et la fureur saisiront la Maison.
C’est une métaphore de la Terre et de l’humanité. J’aime bien l’idée que la famille serait la plus petite cellule de l’humanité et que la Maison représenterait la Terre. Dans ses différentes pièces, il y aurait des fleurs parfumées, des arbres flamboyants, des mers et des rivières, des montagnes et des volcans, de l’air pour respirer. Si nous n’y prenons pas garde, elle deviendra inhabitable. Comment, en tant qu’être humain habiter sur et avec la Terre ?
D’où vous est venue l’idée d’une maison comme personnage central ?
J’ai songé à une maison qui abriterait une famille, comme à un personnage vivant, une mère combative, courageuse, qui voue un amour tendre à ses habitants comme à des enfants. Elle les accompagne à chaque moment, à chaque doute, et même en y risquant sa vie, sa peau, ses murs. C’est un endroit hors du temps, qui abrite les secrets les plus intimes, qui connaît jusqu’au bout des tuiles chaque cœur battant.
La Maison est cet habitat commun comme la Terre qui nous abrite. Comme elle, elle nous protège. Elle traverse les saisons, retient nos histoires anciennes, avec tout ce qu’on cherche à déguiser, à enfermer dans ses placards.
Cela me fait aussi penser au proverbe anglais “Home is where the heart is“- « La Maison est là où le cœur est ». L’amour, c’est cet espace à habiter, cet endroit où l’on se sent tellement chez soi. À un moment de mon histoire, lorsque les habitants délaissent leur amour pour la Maison, celle-ci, avec une volonté aveugle, se lance dans un grand périple pour tenter de retrouver l’harmonie originelle. Et dans un instinct de survie ultime, lutte contre la haine qui menace de s’installer dans son cœur. C’est l’histoire d’un amour qui peut remplir les cœurs de courage, leur redonner chair, leur insuffler l’envie de vivre.
Le livre s’ouvre sur une citation de Jean de La Fontaine : « Aimer, aimer tout le reste n’est rien. »
Votre travail me fait penser aux illustrations des années 70. Je me trompe ? Des inspirations ?
Je suis née vingt ans plus tard, et je n’ai pas été tellement bercée par les images des années 70. Je pense qu’un vent de liberté soufflait à cette époque. Ceux qui ont vécu ces années avaient sans doute l’impression que tout était possible, qu’il y avait un immense espoir, un horizon dégagé, même si la nature était déjà en danger. Ce parfum de liberté, j’essaie de l’insuffler dans chaque histoire, pour me sauver de l’absurdité de notre monde à la fois terrifiant et beau.
Mon inspiration suit ma vie. Nous sommes dotés de sens assez merveilleux : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, le goût… Quand nos yeux tombent sur la dégaine chaloupée d’un goëland, quand notre nez chute sur une fleur espiègle et en respire le parfum délicieux, quand on goûte un plat exquis, ou encore quand on entend les rires des enfants, cela fait un bon gâteau sensoriel à emporter avec soi. Chaque jour reste une découverte, et j’ai bon appétit.
Engagement, poésie et émotions. Diriez-vous que ce sont des mots qui entrent en résonnance avec votre travail ?
Oui. À chaque fois que j’entreprends un dessin je me demande quel sens et quelle place il aura, quelle question il peut poser qui n’existerait pas encore. Je compose des images comme des poèmes, je crée des histoires pour faire fondre la glace, dans une forme de résistance en essayant d’aller vers la beauté.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours artistique ?
J’ai étudié aux Arts Décoratifs de Paris. J’écris et dessine des albums et je collabore régulièrement pour la presse (la revue XXI, Alternatives Économiques, Le Temps et La revue 90° du mouvement Colibris).
Qu’est-ce qui arrive en premier, dans votre processus de création d’album, les dessins ou l’histoire ?
Le texte arrive bien avant les dessins. Souvent je l’écris sur un papier mal fichu dans un endroit mal foutu. Mais c’est un premier jet avec l’histoire dans ses grandes lignes, ses intentions, ses émotions brutes. Puis je vais faire un chemin de fer sur un papier un peu plus élégant avec des croquis en faisant un découpage narratif précis. Quand je passe à la réalisation de mes images, à chaque dessin, je me repasse en boucle le texte qui l’accompagne, comme une chanson, je me promène dans les sens infinis de chaque mot et j’installe à l’encre, au trait, des profondeurs et d’autres narrations en arrière-plan de l’histoire principale. Au moment du passage à la couleur, chaque détail doit vibrer en concert avec les autres.
À la fin, je travaille beaucoup et ardûment mon texte en l’affinant peu à peu pour laisser respirer les mots et entrevoir l’imperceptible.
Dans mes livres, le dessin et l’écriture sont une affaire de rencontres. Il faut que l’un et l’autre se donnent rendez-vous dans un jeu courtois. Si l’un pose un lapin à l’autre dans une même page, l’histoire fiche le camp.
Vous travaillez également pour la presse. En quoi est-ce différent du travail pour l’édition jeunesse ?
C’est l’expression de mon regard sur l’actualité qui va illustrer le sujet de l’article écrit par le journaliste. Souvent, je décale mon dessin dans l’imaginaire et la poésie pour mieux inscrire le réel comme dans un conte, un œil vers l’imaginaire et l’autre alerte, tourné vers l’extérieur.
Quand je reviens à l’édition jeunesse, il s’agit d’un autre temps, d’un temps beaucoup plus long où je peux me déployer à différentes allures. L’album est ce pays magique où tout devient possible. S’adresser à des jeunes yeux, c’est créer une langue, un dialogue d’amitié avec de jeunes humains en devenir.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ? Occupent-elles encore aujourd’hui une place dans votre travail et votre vie d’adulte ?
Quand j’étais enfant, je lisais les albums du Père Castor (avec les dessins de Gerda Muller, Etienne Morel, Beatrice Appia, Lucile Butel), Angelot du Lac, Marion Duval d’Yvan Pommaux, L’ours Barnabé de Philippe Coudray, les Calvin et Hobbes de Bill Watterson, Lili déménage de Susan Pearson, les Gotlib, Borka, les aventures d’une oie sans plumes de John Burningham, Tom-Tom et Nana de Bernadette Després, Les derniers géants de François Place, Le premier camping de Naotchan d’Akiko Hayashido, Grain d’aile de Prévert illustré par Jacqueline Duhême… Adolescente, j’aimais les romans de René Barjavel, d’Henry Miller, d’Albert Camus, de Siri Husvedt, d’Hervé Guibert…
Je ne replonge pas dans ces livres parce que je sais que je ne retrouverai pas les émotions que j’ai vécues à cette période révolue. J’aurais l’impression de faire marche arrière dans le passé. Mais les livres que j’ai aimés forment un grand manteau qui me tient chaud par tous les temps.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Des projets en cours ?
Je travaille pour le numéro 2 de la revue 90° du mouvement Colibris initié par Pierre Rabhi avec une équipe passionnante, qui sortira en avril 2022. Avec la chanteuse Eskelina nous réalisons un livre audio.
Et j’écris et dessine un tout nouvel album.
Bibliographie :
- Changer d’air, texte et illlustrations, Les Fourmis Rouges (2021), que nous avons chroniqué ici.
- La chose du Méhéhéhé, illustration d’un texte de Sigrid Baffert, MeMo (2019).
- Les coiffeurs des étoiles, texte et illustrations, MeMo (2018).
- L’hiver d’Isabelle, texte et illustrations, MeMo (2017), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Jeanne Macaigne sur son site et sur son instagram
Les premier·ères concerné·es
Régulièrement, un·e enfant nous parle d’un livre qu’il ou elle a aimé, avec ses mots. Aujourd’hui c’est Suzanne, 8 ans, la jeune animatrice du podcast Radio Velpo, qui nous parle de la BD Les Vermeilles. Si l’un·e de vos enfants veut être le ou la prochain·e, écrivez-nous !
Je vais vous parler d’une BD de Camille Jourdy. Je l’ai eue à Noël dernier. Elle s’appelle Les Vermeilles.
C’est l’histoire d’une petite fille (Jo) qui fugue de chez elle. Elle entend des voix et découvre des petits bonshommes. Elle bavarde avec eux puis les suit. Elle arrive dans un petit village. Elle voit une petite fille, Nouk, qui lui explique que sa mère est enfermée par un empereur (qui est un chat). Elles et les autres habitants s’élancent dans une fabuleuse conquête pour la sortir des griffes de ce vilain matou !
Les dessins sont très jolis. Trois adjectifs sur ce livre : fantastique, poétique et rempli d’action !
Hé, bien, je crois que nous avons fait le tour.
Ah, mince, j’allais oublier ! J’ai un scoop concernant cette BD ! Il doit y avoir une suite, elle se passe en hiver.
Retrouvez Suzanne avec son podcast Radio Velpo
Fille des années 80, amoureuse des livres depuis toujours. La légende raconte que ses parents chérirent le jour où elle sut lire, arrêtant ainsi de les réveiller à l’aube. Sa passion des livres, et plus particulièrement des livres jeunesse, est dévorante, et son envie de partage, débordante. Elle est sensible aux mots comme aux images, et adore barboter dans les librairies et les bibliothèques. Elle aime : les albums au petit goût vintage et les romans saisissants, les talentueux Rebecca Dautremer et Quentin Gréban, les jeunes pousses Fleur Oury et Florian Pigé, l’humour d’Edouard Manceau et de Mathieu Maudet, les mots de Malika Ferdjoukh et de Marie Desplechin.