Aujourd’hui, l’invité de notre interview est Léo Mx, qui vient d’auto-publier le roman Le chrysanthème et le papillon. Ensuite, pour la rubrique Parlez-moi de…, on reçoit Séverine Duchesne et Galia Tapiero qui nous parlent du livre Ici.
L’interview du mercredi : Léo Mx
Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Léo Mx, un auteur transgenre vivant en pleine campagne dans la région nantaise, dans une mignonne tiny house tout en bois de 24 m². Je ne vis pas seul mais avec mon formidable « chassistant » Ori.
Je suis également bibliothécaire, donc les livres occupent une place très importante dans ma vie, c’est à la fois mon gagne-pain (avec la bibliothèque) et ma passion (avec l’écriture).
Mes journées sont très remplies, alors j’ai aussi des activités qui me permettent de me détendre. Je fais de la peinture aux numéros, je lis, je fais un peu de musique et je m’occupe de mon jardin.
Sur Instagram vous précisez que vous êtes un auteur queer. Pourquoi cette précision est-elle importante pour vous ?
J’ai envie que mon compte Instagram soit un lieu sécurisant, qu’on s’y sente bien (un peu comme quand on entre dans ma tiny house !). Préciser que je suis queer est un moyen de souhaiter la bienvenue à mes pairs, même si cet endroit est évidemment ouvert à tout le monde. J’ajoute d’ailleurs dans ma bio « des good vibes pour contrer la grisaille » car je pense qu’on a fondamentalement besoin de lieux pour s’évader de toute la violence du monde.
Préciser que je suis queer est aussi un indicateur de ma direction éditoriale. Je parle de sujets LGBTQIA+ sur mes réseaux sociaux, mais aussi dans mes livres. Et savoir qu’une représentation est « own voice » est pour moi un indicateur de qualité de ces représentations.
Parlez-nous de votre roman Le chrysanthème et le papillon.
Mon dernier roman, Le chrysanthème et le papillon, raconte l’histoire d’une adolescente, Hannah, qui vient de perdre sa grande sœur. Sa vie s’est écroulée : elle ne s’entend plus avec ses amies du lycée, le dialogue est rompu avec ses parents, elle se sent plus seule que jamais. Mais une nuit, elle se réveille dans l’Outremonde, un monde-passerelle qui se trouve entre celui des vivants et celui des morts, dans lequel elle retrouve sa sœur. Elle décide alors de tout faire pour la ramener à la vie.
Une grosse partie du roman se déroule dans notre monde contemporain, où on suit Hannah dans son combat quotidien au lycée, avec ses ami·es, sa famille… Mais on vit également à ses côtés les nuits qu’elle passe dans l’Outremonde, où se mêlent magie et aventures pleines de dangers.
Il aborde des sujets très importants pour moi, comme le deuil, mais aussi plus largement l’anxiété vis-à-vis de la mort. Le roman parle aussi de relations humaines, qu’elles soient familiales, amicales ou amoureuses.
C’est, je crois, une histoire que vous portiez en vous depuis longtemps.
J’ai écrit la première version de ce roman il y a douze ans, alors que je n’avais que 16 ans. À l’époque, le texte faisait cinquante pages et c’était la première fois que je terminais une histoire aussi longue. J’étais fier de moi, et en même temps j’avais conscience de ne pas avoir la maturité nécessaire pour l’étoffer et en faire un véritable roman publiable.
Le roman d’aujourd’hui et sa version d’il y a douze ans sont très différents. Le principe de base reste le même : une adolescente qui retrouve sa sœur certaines nuits dans un monde magique et essaye de la ramener à la vie. Mais tout le reste a changé : les personnages secondaires, l’intrigue, les prénoms, le titre… Pour l’anecdote, la première version du roman s’appelait « Le requiem du songe » car la musique avait déjà une place importante dans le récit.
Vous avez auto-publié ce roman, tout en travaillant avec une éditrice free-lance. Pouvez-vous nous parler de ce choix ?
Dès que j’ai envoyé le manuscrit de Le chrysanthème et le papillon à des maisons d’édition, j’ai su que s’il n’était pas retenu, je l’auto-éditerais. J’avais très envie de découvrir le travail de l’éditeur·rice : collaborer avec un·e illustrateur·rice, concevoir la maquette, prendre en charge les corrections… Et puis j’aime la liberté artistique procurée par l’auto-édition.
Grâce à mes premières expériences éditoriales, j’ai compris qu’un refus d’une maison d’édition n’est pas forcément dû à un manque de qualité du manuscrit. Pour ce roman, par exemple, une maison d’édition m’a répondu qu’elle venait de publier un roman qui abordait les mêmes thématiques, pas de chance !
Par contre, je voulais à tout prix proposer au lectorat le roman le plus abouti possible. Il était donc hors de question de me passer de corrections éditoriales. J’avais déjà travaillé avec Gwenoline [Lemonnier, NDLR] dans le passé, je savais donc que nous étions professionnellement compatibles.
Pendant plusieurs mois, nous avons fait des allers-retours pour annoter, corriger et réécrire des scènes du roman. On compare souvent l’écriture d’un livre à la joaillerie. L’écriture, c’est se retrouver avec un diamant brut qu’on va venir polir encore et encore à force de corrections. Faire appel à une éditrice free-lance était pour moi l’assurance de proposer la meilleure version possible de mon travail.
Je suppose qu’il y a des avantages et des inconvénients à s’auto-éditer…
L’édition traditionnelle et l’auto-édition sont deux pratiques très différentes qui ont des bons et des moins bons côtés.
L’auto-édition permet une très grande liberté artistique. On peut aborder les sujets qui nous tiennent à cœur de la manière qui nous convient, aucune maison d’édition ne sera là pour valider ou non la production. On peut faire appel à un·e illustrateur·rice qu’on adore, ajouter des dorures sur la couverture, concevoir un format relié, des illustrations intérieures… Tout est possible si on a l’argent pour. Ça fait rêver d’être aux commandes du projet, mais l’auto-édition coûte très cher et c’est l’auteur qui prend le risque financier.
Être publié en maison d’édition, c’est ne pas avoir à se soucier de la rentabilité du livre. La maison d’édition paie elle-même les prestataires, s’occupe de la création de l’objet livre. Mais du coup, on est tributaire du budget que la maison d’édition a décidé d’allouer à notre roman.
Ensuite, à moins de faire le buzz, une sortie en maison d’édition sera beaucoup plus retentissante qu’une sortie en auto-édition. Les grandes maisons d’édition sont bien distribuées dans les librairies, ont un grand réseau, peuvent inviter les auteur·rices dans les grands salons du livre… Donc, en principe, on vend plus en maison d’édition qu’en auto-édition, mais on touche moins d’argent par exemplaire vendu. D’après mes calculs, il faut vendre sept fois plus en maison d’édition pour toucher la même somme, tout dépend donc de la raison pour laquelle on écrit et publie.
Par contre, en auto-édition comme en maison d’édition, il faut faire de la communication !
J’aimerais que vous nous disiez quelques mots sur Iels marchent, iels s’aiment, publié par Le Muscadier, que j’avais beaucoup aimé.
Merci, je suis très content que tu aies aimé le recueil !
En 2021, pendant qu’Adriel était entre les mains des maisons d’édition, j’ai eu envie d’écrire avec d’autres auteurices queer. J’ai posté un appel sur Instagram auquel mes pairs ont répondu. Ma proposition d’écrire un recueil de nouvelles qui se déroule pendant une marche des fiertés a plu à l’équipe et nous nous sommes lancés. J’ai chapeauté tout le projet, c’était un sacré travail. On a décidé les deadlines de rendu des nouvelles ensemble, les maisons d’édition à qui on voulait envoyer le projet, on a construit en parallèle nos nouvelles et nos personnages pour vérifier que tout se mariait bien, on s’est relu les un·es les autres…
Pour ajouter encore un peu de complexité, on a choisi avec Eden Vembaud d’écrire des nouvelles qui se complètent, il y a donc eu un gros travail de coordination. Et dans ma nouvelle, mon personnage croise les héros et héroïnes des autres nouvelles, je devais donc m’assurer que tous les personnages se trouvaient au bon endroit au bon moment, en train d’effectuer la bonne action.
J’ai beaucoup aimé travailler en groupe et on a été ravi·es que le recueil soit retenu par Le Muscadier, la maison d’édition avec qui on a signé.
Comment naissent vos histoires ?
Elles viennent souvent d’un grand concept ou d’un grand sujet que j’ai envie d’explorer. Pour Adriel, mon projet de départ était de créer un genre de « Zorro épéiste transgenre », parce que j’ai toujours adoré la figure du justicier masqué à l’identité mystérieuse. Ensuite, en travaillant sur l’intrigue et l’univers, je me suis beaucoup inspiré des mousquetaires et de Versailles. Il n’y a jamais de fond purement historique dans ce que j’écris, mais l’Histoire est une source d’inspiration, notamment pour les décors, les costumes et la culture de l’univers.
Pour Le chrysanthème et le papillon, l’idée initiale (lorsque j’avais 16 ans) m’est venue quand j’ai découvert l’existence des rêves lucides. Pourtant, on ne parle pas du tout de rêve lucide dans la version finale du roman.
Savez-vous à l’avance comment elles vont se terminer ?
Toujours ! Je suis très organisé dans mon écriture, tout est prévu à l’avance même si je me laisse la possibilité d’être surpris par les personnages et l’histoire. Lorsque je fais mon travail préparatoire, je crée des fiches de personnages, un système de magie, un univers… Et la dernière étape, c’est un tableau de découpage de l’intrigue en chapitres. Je sais donc toujours où je vais, même si le plan change en cours de route.
Connaître à l’avance la fin de mon histoire me permet aussi de disséminer des indices pour préparer des révélations futures.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Comme beaucoup d’enfants des années 90, Harry Potter a forgé mon imaginaire. J’étais un fan hardcore même si je n’en parle jamais à cause de la transphobie infâme de J.K. Rowling. Je boycotte cette saga et tous les produits dérivés pour ne pas mettre la lumière sur cette femme qui ne mérite pas qu’on lui donne une once de reconnaissance.
Parmi les autres lectures qui ont forgé mon imaginaire, on trouve Hunger Games de Suzanne Collins et L’Homme-Rune de Peter V Brett.
Enfant, j’ai aussi beaucoup lu Tom-Tom et Nana et Cédric, des bandes dessinées que j’adorais.
Auriez-vous quelques coups de cœur littéraires récents à nous faire partager ?
Mon coup de cœur de l’année, c’est la duologie de dark fantasy L’épée, la famine et la peste d’Aurélie Wellenstein. Attention, arachnophobes, s’abstenir !
J’ai aussi dévoré le dernier tome de Heartstopper d’Alice Oseman qui est une lecture doudou, la BD Furieuse de Geoffroy Monde et Mathieu Burniat qui s’inspire de la légende arthurienne, Snapdragon de Kat Leyh et Le garçon sorcière de Molly Ostertag.
Je sais que Le chrysanthème et le papillon vient tout juste de sortir, mais avez-vous déjà d’autres projets en cours ?
J’ai toujours des projets qui trépignent en attendant que je termine celui en cours. Je suis en train d’écrire une duologie de dark fantasy inspirée de la période gauloise. C’est de loin le roman le plus sombre sur lequel j’ai jamais travaillé. J’y aborde des thématiques très actuelles sur les horreurs de la guerre et la santé mentale.
En parallèle, nous avons un projet de cosy fantasy, avec un ami. Nous attendons que nos agendas se coordonnent pour continuer l’écriture. Le scénario est prêt et le premier chapitre, qui donne le ton, est rédigé.
Pour finir, je pense publier le journal sous testostérone que je tiens depuis juin 2022, accompagné de textes qui parlent de transidentité, mais je ne sais pas encore quelle forme prendra le projet.
- Le chrysanthème et le papillon, roman, autoédité (2024).
- Iels marchent, iels s’aiment, roman collectif, Le Muscadier (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Adriel, roman, Explora éditions (2022).
Retrouvez Léo Mx sur Instagram.
Parlez-moi de… Ici
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellé·e·s. Cette fois-ci, c’est sur Ici que nous revenons avec son autrice-illustratrice (Séverine Duchesne) et son éditrice (Galia Tapiero).
Séverine Duchesne (autrice et illustratrice) :
J’ai choisi de raconter cette histoire avec des oiseaux, car voler leur permettait de partir loin, ce qui était intéressant pour la narration. C’est aussi une manière de rendre l’album plus accessible pour les jeunes enfants.
Le projet a été pensé comme un livre tête-bêche, la forme faisant ainsi écho au texte.
Le fait de devoir tourner le livre pour découvrir l’autre versant de l’histoire accentue le jeu de miroir. On y note alors les différences, mais aussi les similitudes entre les personnages. Ainsi, on découvre que nos deux oiseaux ont les mêmes besoins : se nourrir, s’abriter…
C’est, je crois, ce qui a séduit Galia des éditions Kilowatt.
Je lui ai envoyé mon texte accompagné de l’ensemble des crayonnés (indispensables, me semblait-il, pour bien comprendre le principe) ainsi que deux planches couleur. Tout est allé très vite. Elle m’a rappelé quelques jours après mon envoi et j’ai tout de suite senti qu’elle comprenait ce que je voulais dire et comment.
Le contrat était signé !
Galia Tapiero (éditrice) :
Lorsque le projet est arrivé dans ma boîte à mails, l’enthousiasme a été immédiat. Je visualisais l’album, les éléments auxquels il faudrait prêter attention, ceux à moduler. Et lorsque nous en avons discuté, le contact s’est fait tout de suite.
L’album tête-bêche est un exercice délicat, qui ne peut pas être artificiel pour fonctionner avec aisance. Ce récit, raconté de deux points de vue qui finalement se rencontrent, épouse la forme du livre qui se retourne avec naturel.
La légèreté avec laquelle Séverine évoquait les changements climatiques et le déplacement de population m’a séduite. Ici répondait simplement aux thèmes qui nous sont chers. Vivre ensemble dans un monde en mutation, l’altérité, l’interculturalité. Tout était là, à hauteur de jeunes enfants, de manière accessible, sans grand discours.
Séverine Duchesne :
J’ai illustré beaucoup d’albums humoristiques, ce que j’adore.
Mais ces dernières années, je me suis mise à écrire mes textes pour pouvoir proposer d’autres choses et aborder d’autres thématiques, plus personnelles. Ici parle du changement climatique, du vivre ensemble et de tolérance, des thèmes très présents dans les livres publiés par les éditions Kilowatt. C’est ce qui m’a amenée à leur proposer mon projet. Et aussi leur ligne éditoriale que je trouve magnifique et pertinente !
Galia Tapiero :
Et puis, Kilowatt était prête à accueillir de nouveaux auteur·rices dans son catalogue. Un catalogue qui se déroule principalement autour de textes de non-fiction qui disent le monde, avec l’ambition de susciter des discussions. Alors, les albums répondent naturellement à ligne éditoriale des albums documentaires du catalogue. Ce sont surtout des albums qui racontent des histoires, des histoires qui parlent de la vie. On retrouve très peu de personnages animaliers. Mais pour Ici, la question ne s’est même pas posée. Ces deux oiseaux sont si expressifs, tout à fait à leur place.
Nous ne nous étions jamais rencontrées, mais les échanges furent fluides dès le départ. Les propositions pouvaient être discutées facilement. Séverine n’hésite pas à aller jusqu’au bout, améliorer, peaufiner.
Au final, Ici est un album à destination des tout·es-petit·es sur l’environnement et surtout ses conséquences. Nous n’avons pas d’autres choix que d’apprendre à vivre tous ensemble, au quotidien.
Ici, texte et illustrations de Séverine Duchesne. L’album est sorti en 2024 aux éditions Kilowatt. Nous l’avons chroniqué ici. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !