Amandine Laprun a sorti avant l’été un album absolument magnifique, Juste un fraisier, et ça m’a donné envie de lui poser des questions sur son travail et son parcours. Elle a accepté d’y répondre. Ensuite, pour la rubrique Parlez-moi de…, je vous propose de revenir sur Romy et Julius avec ses autrices, Marine Carteron et Coline Pierré, et son éditeur, Olivier Pillé du Rouergue. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Amandine Laprun
Parlez-nous du superbe album Juste un fraisier sorti avant l’été
Juste un fraisier est un livre grand format qui raconte l’histoire d’un jardin au fil des saisons. Chaque double page présente toujours le même cadrage sur le coin des fraisiers et le lecteur peut découvrir à taille réelle les animaux qui gravitent autour des fraisiers et la vie qui s’y déroule. C’est une petite expérience d’immersion et de contemplation.
Pourquoi avoir choisi de très peu nous montrer les personnages « humains » du livre ?
Je les montre peu mais ils sont présents en hors champ du début à la fin. Ils vivent dans l’esprit du lecteur par les dialogues. Il les voit dans sa tête.
Par ce cadrage toujours identique, j’avais envie de focaliser l’attention sur ce petit bout d’espace naturel qu’est le jardin et porter l’intérêt sur le microcosme qui y évolue. À cet égard, l’humain n’y a pas tellement plus d’importance que l’étourneau ou l’escargot. Et comme tout est représenté en taille réelle, les deux enfants de l’histoire sortent du cadre les rares fois où on les voit.
Depuis vous avez aussi sorti Dans ma main, un très joli livre à compter où la nature est très présente également, pouvez-vous nous dire quelques mots sur cet ouvrage ?
Dans ma main est une sorte de prolongement de Juste un fraisier dans la mesure où il s’agit toujours de contempler les petites choses qui nous tombent sous les yeux et qui tiennent au creux d’une main d’enfant. Un petit cabinet de curiosités en forme d’imagier à compter.
Où avez-vous trouvé l’inspiration pour ces albums et où la trouvez-vous en général ?
Pour Juste un fraisier, j’avais déjà développé un projet de diplôme qui parlait de deux enfants voisins et d’un jardin. Je ne l’ai jamais proposé à personne. Mais lors d’une discussion avec mon éditeur autour d’un livre grand format, cette histoire m’est revenue à l’esprit. Ça n’a vraiment plus rien à voir avec le projet initial sauf qu’il s’agit toujours de deux enfants voisins et d’un jardin. Il se trouve que j’étais en train de lire une monographie du peintre David Hockney pendant la réalisation du fraisier. J’adore ses séries sur les arbres, il réussit à être très juste tout en restant très libre dans le traité et audacieux dans ses choix. C’est l’une de ses séries qui m’a inspiré le titre de mon livre.
De manière générale, mes sujets sont très liés à mon enfance. J’ai passé une bonne partie de mon enfance à jouer dans des jardins potagers, à faire des collections de petits n’importe quoi ou à grimper aux arbres. Voilà ce qui a donné Juste un fraisier, Arbre et Dans ma main j’imagine.
Tout peut devenir source d’inspiration du moment qu’on y prête attention.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
En règle générale, j’utilise des feutres à l’alcool et des crayons de couleur. C’est le cas pour Juste un fraisier et Dans ma main. J’ai juste ajouté des fonds colorés à l’ordinateur pour rythmer Dans Ma Main.
Il m’arrive de faire des livres entiers à l’ordinateur pour des commandes mais je m’ennuie vite devant un écran. J’ai besoin de bouger et de sentir ce que je fais, d’être en contact physique avec mon travail. Ce qui est pour moi impossible avec un ordinateur.
Il arrive aussi que vous illustriez les mots des autres, comment choisissez-vous vos projets en tant qu’illustratrice ?
Pour être honnête, lorsque j’ai démarré, je ne choisissais pas. Tout était prétexte à travailler.
Depuis quelques années, je refuse pas mal de choses. D’une part, parce qu’on me propose trop de choses ou bien les projets sont trop mal rémunérés. D’autre part, si le sujet ne m’emballe pas ou que je n’y trouve pas une satisfaction technique, je ne prends pas. J’ai aussi de plus en plus envie de travailler sur mes propres projets.
Mais si on me propose un très beau texte, je prendrai volontiers !
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Très tôt, j’ai pris des cours de dessin et j’ai eu envie de me diriger vers des études d’art. À 15 ans, j’ai préparé un dossier pour faire un cursus Bac Arts Appliqués à Reims, puis j’ai continué en BTS de Communication Visuelle à l’ESAA Duperré à Paris car ce qui m’intéressait c’était le graphisme et l’édition. Et c’est là qu’au cours d’un stage aux éditions Gautier-Languereau, j’ai découvert les originaux de certains grands illustrateurs et illustratrices. Ça m’a convaincu et j’ai postulé pour entrer en cours de cursus aux Arts Décoratifs de Strasbourg en illustration (aujourd’hui la HEAR).
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Je lisais tout ce qui me passait sous la main. Je suis une enfant des Bibliobus ainsi que des abonnements à l’École des Loisirs et aux Belles Histoires.
Mon top 5 était Jean de la Lune de Tomi Ungerer (j’ai travaillé 7 ans dans son musée, quel plaisir !), Max et les Maximonstres de Maurice Sendak, Fleur de lupin de Binette Schroeder. Les images de Gyo Fujikawa et ses enfants toujours en liberté dans la nature me fascinaient. J’avais aussi un livre sur les animaux illustré par Alice et Martin Provensen que je pouvais regarder pendant des heures.
Puis, j’ai l’impression d’être passée de Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier et toute la série sur le Wyoming de Mary O’hara (j’avais la vague idée de devenir cow-boy à l’époque) à L’écume des jours de Boris Vian.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Actuellement, je travaille sur un livre pour les tout-petits avec Élisabeth Brami chez Casterman et je démarre un nouveau livre-objet chez Actes Sud. Il y sera encore question de nature et de nez-au-vent.
Bibliographie sélective :
- Juste un fraisier, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2020).
- Dans ma main, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2020).
- Les carnets Filliozat, je dors donc je grandis, illustration de textes d’Isabelle Filliozat, Nathan (2020).
- La vraie vérité sur le Secret de la maîtresse, illustration d’un texte de Franck Prévot, Nathan (2019).
- C’est toi la grande, maintenant !, illustration d’un texte d’Anne Crahay, Albin Michel (2019).
- Et si on partageait un peu ?, illustration d’Anne Crahay, Albin Michel Jeunesse (2019).
- Série mes 100 premiers jours d’école, illustrations de textes de Mathilde Bréchet, Gallimard jeunesse (2016-2018).
- Cirque, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2018).
- Arbre, texte et illustrations, Actes Sud Junior (2017).
- Un piano pour Pavel, illustration d’un texte de Mymi Doinet, Nathan (2017), que nous avons chroniqué ici.
- J’aime pas les contes, illustration d’un texte d’Hélène Lanscotte, Albin Michel jeunesse (2013), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Amandine Laprun sur son site : https://www.amandinelaprun.com.
Parlez-moi de… Romy et Julius
Régulièrement, on revient sur un livre qu’on a aimé avec son auteur·trice, son illustrateur·trice et son éditeur·trice. L’occasion d’en savoir un peu plus sur un livre qui nous a interpellé·e·s. Cette fois-ci, c’est sur Romy et Julius que nous revenons avec ses autrices, Marine Carteron et Coline Pierré, et son éditeur, Olivier Pillé (Le Rouergue).
Comment est né ce projet ? (Marine Carteron)
Savoir d’où vient précisément l’idée d’un roman est presque impossible. Chez moi, l’idée naît lentement, trèèèèsss lentement, par une accumulation de trucs et de machins.
Pour Romy et Julius, je jetterais pêle-mêle dans le panier des éléments déclencheurs : la section de CAP Boucher dont j’ai été la formatrice en français, la conversion de mon ado au végétarisme, la condamnation (absurde) d’un coq dérangeant des néo-ruraux, la comédie Il reste du jambon ? d’Anne Depétrini racontant les amours (contrariées par leurs familles respectives) d’un français issu de l’immigration et d’une Parisienne pur jus et, enfin, d’un dossier de philosophie magazine intitulé « Être ou ne pas être carnivore ? » (Déjà Shakespeare !!!).
Bref, un joyeux bordel aboutissant un jour à cette idée : Et si les nouveaux Roméo et Juliette étaient un végane et une bouchère, ça donnerait quoi ?
Une fois que la question est là, difficile de la balayer d’un revers de la main, sauf que, sur ce coup-ci, j’avais besoin d’aide. Chez nous, il y a tout de même plus de saucisson que de tofu dans le frigo, alors il me fallait une complice, quelqu’un pour incarner l’autre.
Proposer le projet à Coline s’est imposé immédiatement comme une évidence, aucun autre nom n’a jamais traversé mon esprit. D’abord parce que je savais que le sujet du véganisme lui tenait à cœur, ensuite parce que je venais de lire Max et Flora (un roman co-écrit avec Martin Page) où j’avais beaucoup aimé la douceur de son écriture, enfin, parce qu’il nous arrivait parfois de discuter via les réseaux sociaux sur ce sujet et que j’appréciais infiniment sa capacité à échanger sans que nos opinions, parfois opposées, nous empêchent de plaisanter.
Alors, comme une bonne blague (et sans trop réfléchir, j’avoue…) je lui ai balancé l’idée via un message Facebook.
Comment as-tu reçu ce projet et comment avez-vous travaillé ? (Coline Pierré)
Quand Marine m’a fait cette proposition, j’ai pensé « formidable idée » puis « on n’y arrivera jamais ». On en a parlé régulièrement comme une blague pendant longtemps, peut-être deux ans, notamment parce que je me disais que le sujet était trop casse-gueule, qu’on n’allait jamais réussir à se mettre d’accord en tant qu’autrices, que ça risquait de faire un texte laborieux, tiraillé entre ses deux points de vue. Et puis comme souvent, à force d’être répétées, les blagues finissent par prendre corps et deviennent envisageables. Elles se transforment en envies. On a d’abord pris le temps chacune d’interroger des adolescent·es appartenant au « camp » qu’on allait incarner pour mieux voir comment cette génération envisageait la question. Un jour, on a eu fini nos projets d’écriture personnels toutes les deux en même temps, et on s’est lancées. Et finalement, ça a été tout le contraire de ce que je craignais : le travail a été simple, fluide, paisible, joyeux. Chacune avait son personnage (et ses proches) et son point de vue à faire exister, on se mettait d’accord sur l’architecture puis on écrivait un chapitre chacune son tour sur un document commun. L’autre relisait, réagissait à notre chapitre et proposait des corrections. On se retrouvait généralement le matin sur Messenger pour en discuter et s’envoyer des GIF idiots (car que vaudrait l’existence numérique sans les GIF ?), puis l’autre enchaînait sur son chapitre à elle. On a avancé vite, il nous a fallu à peine six mois pour arriver au bout d’une v1.
Le fait d’écrire à deux est un exercice très stimulant, je trouve. Non seulement on se confronte à l’altérité, aux idées de l’autre qui ne sont pas les nôtres, à sa façon de travailler, son écriture, son rythme. On chamboule un peu nos habitudes d’écriture, on fait entrer une certaine instabilité. Surtout : on apprend à ne pas tout contrôler. Et ça c’est un sacré truc ! Mais c’est aussi hyper riche, parce que ça nous amène à prendre des directions qu’on n’aurait pas osé emprunter seul, et puis quand on envoie son chapitre à l’autre, on a envie de la faire réagir, la surprendre, la faire rire, voire même la mettre en difficulté. C’est un jeu entre les autrices qui dynamise l’écriture et (je l’espère) l’histoire. De même, quand on sèche, quand on n’a plus d’idées, on peut toujours compter sur l’autre pour nous débloquer.
Comme l’idée n’était pas de faire un livre militant mais plutôt une histoire qui amène à s’interroger et à réfléchir, lorsqu’on se rendait compte que l’un des deux points de vue était plus articulé, plus défendu, on rééquilibrait la balance. D’une certaine manière, nous en tant qu’autrices, étions comme les personnages du livre : bien obligées de faire des compromis et de trouver un terrain d’entente. Et ça a marché : on ne s’est pas entretuées 🙂
C’est comment d’éditer un roman avec deux autrices ? (Olivier Pillé)
Grâce aux discussions de groupe sur FB ce n’est pas plus dur qu’avec une seule ! En revanche, les échanges sont… Comment dire ? Plus colorés ? Un poil plus givrés ? Bref, j’ai quelques captures d’écran que je regarde de temps à autre pour rigoler un bon coup.
Plus sérieusement, j’avais déjà eu l’occasion de travailler avec plusieurs autrices/auteurs sur un même projet notamment avec notre collection boomerang (des romans pour jeunes lecteurs regroupant deux histoires à lire dans un sens ou dans l’autre, recto ou verso) mais jamais sur un roman ado et encore moins sur un texte où les autrices se passent autant le relais et où leurs voix s’entremêlent avec cette régularité.
Donc j’étais très curieux de lire, d’accompagner et de coordonner avec juste ce qu’il faut d’inquiétude et de doutes. Après, tout s’est fait naturellement, avec Coline et Marine on se connaît depuis quelques années et une fois qu’on s’est habitué aux GIF de Coline et aux blagues de Marine ;-), le travail se déroule en toute simplicité.
Puis surtout quand j’ai lu la première version qu’elles m’ont envoyée, tous mes doutes ont été immédiatement balayés, c’était remarquable. D’abord, il y avait une cohérence dans le ton, l’univers et la structure que je ne m’explique toujours pas et puis surtout, à mes yeux, leurs écritures s’étaient nourries et avaient comme muté, d’une certaine manière je découvrais une nouvelle Marine et une nouvelle Coline. En tant qu’éditeur, assister à ça, au résultat de cette rencontre, c’est absolument passionnant. Par exemple, elles sont intervenues dans les chapitres de l’une et de l’autre, Coline a écrit les dialogues de son personnage dans le chapitre de Marine et inversement. On ne dirait pas comme ça mais le résultat est bluffant !
Pour conclure et pour résumer, Coline et Marine ont fait quelque chose que j’aime beaucoup en littérature, c’est-à-dire un tour de magie. Et travailler dessus avec elles, c’était comme tenir le haut-de-forme duquel on sort le lapin blanc.
Romy et Julius de Marine Carteron et Coline Pierré sorti au Rouergue (2020), chroniqué ici. |
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !
Remarquable analyse . En tant que lectrice, j’ai remarqué l’unité de ton et de style des 2 autrices ., qui se complètent admirablement…
Le résultat est bluffant, on a du mal à imaginer que l’histoire a été écrite par 2autrices..
Quant à l’histoire, bien sûr, elle est destinée à de jeunes lecteurs …Elle est touchante et drôle..la fin est désopilante et désamorce efficacement un sujet explosif…
Bref..un livre qui mérite un succès éditorial