Chaque album de Claudine Morel nous réjouit autant qu’il nous surprend. J’avais donc envie d’en savoir plus sur elle et sur son travail. Ensuite, on part en vacances avec l’autrice-illustratrice Cécile Bonbon. Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Claudine Morel
Parlez-nous de votre parcours
Pendant longtemps je n’ai pas vraiment su quel métier j’avais envie d’exercer, même si comme beaucoup de mes collègues illustrateurs, depuis l’enfance je dessinais beaucoup, écrivais et illustrais des histoires, etc. Mais de là à en faire un métier… ! Des études d’anglais et de français Langue Étrangère à l’Université de St-Étienne m’ont d’abord conduite à devenir enseignante. Mon CAPES d’anglais en poche, je suis partie enseigner le français au Kenya à l’Alliance Française de Mombasa, pendant 15 mois. Puis l’anglais, de retour en France, dans un collège de l’Oise. Ces études et ces riches expériences m’ont apporté beaucoup, mais m’ont aussi fait comprendre que ce n’était pas là ma première vocation, et qu’autre chose m’appelait. L’image avait une place importante dans l’enseignement des langues, je dessinais beaucoup pour mes élèves et mes étudiants, et j’adorais ça : je rêvais de faire les illustrations des manuels scolaires… Jusqu’au jour où cette envie est devenue l’idée sérieuse d’en faire mon métier, pour de vrai ! Après avoir fait mon bilan de compétences un peu toute seule, j’ai donc décidé de devenir illustratrice. J’ai quitté l’Éducation Nationale et repris des études au sein de l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg (aujourd’hui la Haute École des Arts du Rhin), en section Illustration. J’en suis sortie diplômée en 2007, et depuis l’aventure continue… !
Vos trois albums sortis chez Didier Jeunesse (À la rencontre, Clic ! et ABCDaire des métiers qui n’existent pas) sont très différents les uns des autres. Est-ce pour surprendre, ne pas vous enfermer dans une case ?
C’est vrai, ils sont différents, j’en suis consciente ! Et vous n’êtes pas la première personne qui me questionne à ce sujet. Vraiment, il n’y a rien de prémédité, ni de stratégie dans cette évolution. Je crois que chacun est simplement à l’image de mon évolution intérieure, de ma progression. J’ai mis du temps – et j’en mets encore, je suis un peu escargot… – à trouver mon style, mon univers, ma patte. Je suis venue tard à l’illustration, avec un grand besoin d’apprendre et d’expérimenter des techniques avant d’oser me lancer, et de me sentir légitime aussi. Je pense que j’ai procédé par étapes, en apprenant à me connaître un peu plus, et petit à petit à prendre confiance. Pour cela, la patience et l’accompagnement confiant d’un éditeur sur trois livres, et sur une longue période (8 ans entre À la rencontre et L’ABCDaire !), est une vraie chance, et pour moi un soutien infiniment précieux. Mais si les trois livres sont différents dans leur aspect graphique, je pense qu’on peut tout de même percevoir le fil qui les relie : la simplicité des formes et du trait, les couleurs vives. Un mélange d’espièglerie, de décalage et de tendresse. Et ce qui est le cœur de mon travail : l’envie et le souhait que les lecteurs, petits mais aussi grands, ferment le livre et aient envie de s’amuser, prendre le relais, inventer et créer leurs propres formes et histoires. Qu’ils se connectent à la joie et à la fantaisie qui est en eux !
Parlez-nous de ce dernier sorti, le très beau ABCDaire des métiers qui n’existent pas, comment est-il né ? Comment avez-vous travaillé sur ce projet ?
Oh, merci. Je dirais que, des trois, c’est l’album le plus proche de moi, le plus personnel. Et peut-être celui que je chéris le plus.
D’une part parce qu’il vient du jeu de mimes auquel nous jouions mes sœurs et moi, avec nos cousins aussi parfois, quand nous étions petites : non seulement mimer des métiers pour les faire deviner aux autres mais les inventer ! Dans mon souvenir : « Petipoyeur de mur » (celui qui dessine des petits pois sur les murs), « Ramasseur de cailloux », et la fameuse « Gardienne de gilets », que j’ai incluse dans L’ABCDaire.
D’autre part parce que j’ai retrouvé, avec le crayon de papier, le trait de crayon que j’ai toujours eu dans les mains (quand je dessinais sur un peu tout et n’importe quoi, sur mes cours élève, sur les blocs de téléphone, pour les petites BD que j’inventais, etc.) et que j’avais abandonné un temps pour m’essayer à d’autres choses. Et mes crayons de couleur, qui n’étaient jamais très loin, mais à qui, là, j’ai pu donner la part belle, même par si petites touches.
J’ai envoyé seulement une dizaine d’esquisses de métiers à l’éditeur, en lui expliquant le principe, et après concertation en interne sur la pertinence d’en faire un abécédaire, ou un inventaire, Didier Jeunesse a choisi de me faire confiance sur ce nouveau projet un peu foufou. L’éditrice avec qui j’ai travaillé ensuite m’a laissé une grande liberté dans le choix des métiers, tout en me guidant et m’accompagnant sur des questions comme l’équilibre à trouver entre les plus poétiques et les plus loufoques, comme dans leur mise en image et en couleur, même si là encore j’ai été très libre. Une très belle collaboration s’est faite aussi avec la maquettiste et son magnifique travail typographique. Nous avons travaillé toutes les trois de concorde, et même si dans la réalisation d’un album il existe nécessairement des phases de doute, ou de pause (et moi je suis encore une championne du doute !), réaliser cet album-là a été un régal. Tout s’est déroulé à merveille, du choix du papier jusqu’à sa forme finale, et j’en suis très heureuse.
Comment naissent vos histoires et qu’est-ce qui arrive en premier, l’histoire ou les illustrations ?
Plus que l’histoire, je dirais que c’est l’idée, le principe qui surgit en premier (« Ils s’amuseraient à se prendre en photo et faire n’importe quoi devant l’appareil », « Chaque personnage représenterait un métier qui n’existe pas »…). À ce stade, il n’y a pas encore de qui, où, comment… c’est encore assez vague. Mais rapidement je prends mon crayon et je dessine, je viens voir qui vient, là, sous mon crayon, qui se manifeste, à quoi il, elle, ils ressemblent. Mais je fais souvent confiance à la spontanéité des premiers jets. Souvent mes premiers traits de crayon sont les bons, et j’essaie autant que faire se peut, même quand je retravaille ensuite un personnage ou un élément, de garder le trait de départ, son énergie, la ligne qui s’est posée là en premier, quand je ne la contrôlais pas encore. Ce n’est pas toujours facile, et en général plus je retravaille un dessin, plus la ligne prend le risque de s’affaisser, de se ramollir… Comme dans beaucoup de domaines dans la vie, il faut savoir s’arrêter à temps, s’arrêter tout court, trouver la bonne mesure, le subtil équilibre – qu’on trouve parfois en un coup de crayon (ô magie !) mais bien souvent en refaisant aussi plusieurs fois le geste et le dessin – entre spontanéité et contrôle, énergie et précision.
Quelle technique d’illustrations utilisez-vous ?
Toujours, quel que soit l’outil que j’utiliserai ensuite, le crayon de papier (bois ou critérium) pour les esquisses, recherches, et premiers crayonnés. Ensuite, le plus souvent, le crayon de couleur. Mais aussi le numérique (comme dans Clic !, ou la mise en couleur a été faite uniquement en numérique, avec des motifs que j’avais créés puis incrustés dans l’image). Il m’est arrivé de dessiner directement à la tablette graphique, pour tenter d’aller plus vite (!) mais il me manque toujours le grain, la résistance et les accidents du papier. Et l’infinie possibilité des couleurs finit toujours par me paralyser, je finis par mettre beaucoup plus longtemps qu’avec mes crayons ! Pour l’instant, j’ai donc toujours besoin de mes outils traditionnels, même si le numérique reste un outil complémentaire et indispensable (je scanne moi-même puis nettoie, retouche, affine et peaufine mes images à l’écran, avant de les envoyer à l’éditeur).
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Toute petite, des Pomme d’Api, Belles Histoires, et un petit album Les aventures de la petite souris (avec une histoire de noisette) que j’ai lu et relu et relu et relu ! Des albums du Père Castor, et des tas d’autres livres piochés dans la bibliothèque déjà existante de la maison, engrangés par mes grandes sœurs, et complétés par la petite dernière. On avait aussi un énorme livre compilant des histoires illustrées des films de Walt Disney (c’est là que j’ai commencé à décalquer puis recopier et apprendre à dessiner mes premières robes de princesse, souris et lapins). En grandissant, je lisais des piles de J’aime Lire entassées sur mon lit (je me faisais une petite sélection de 5, 6 numéros), dont j’aimais déjà regarder en 2è de couverture qui en avait réalisé les illustrations. Et des Tintin, Alix, Gaston Lagaffe, Lucky Luke, Astérix, puis plus tard Calvin et Hobbes de Bill Waterson, Sempé, qui restent mes idoles. Je ne lisais pas beaucoup de romans, ceux étudiés à l’école me suffisaient (j’ai adoré découvrir des classiques au lycée, et me souviens d’un été où j’ai enchaîné Flaubert, Maupassant, Zola, Madame de La Fayette…). Je me suis mise à en lire une fois adulte.
Sur quel nouveau projet travaillez-vous actuellement ?
Je suis en train de réaliser les illustrations d’un album, qui devrait être une série, écrit par une autrice coréenne, racontant l’histoire d’une petite fille coréenne en France, pour les éditions Blue Dot. En même temps que je réalise deux commandes de dessins originaux pour des particuliers. Aussi, et c’est tout neuf, un nouveau projet d’album est en gestation avec Didier Jeunesse, pour ma plus grande joie. Je ne peux pas vous en dire plus pour l’instant, car nous n’en sommes qu’à la genèse. Mais on l’espère, rendez-vous probable en 2020 !
Bibliographie jeunesse :
- ABCDaire des métiers qui n’existent pas, texte et illustrations, Didier jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Clic !, texte et illustrations, Didier jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- À la rencontre, texte et illustrations, Didier jeunesse (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Au bureau, illustration d’un texte de Stéphanie Ledu, Milan (2010).
Retrouvez Claudine Morel sur son site : http://claudinemorel.ultra-book.com.
En vacances avec… Cécile Bonbon
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte ce qu’elle·il veut me faire découvrir. On ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’il·elle veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Cécile Bonbon que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse
Les aventures d’Alexandre le gland, Olivier Douzou
- Les Sardines ne poussent pas sur les arbres, Vera Eggermann
- Virginia Wolf, Isabelle Arsenault Kyo Maclear
- Hibou, Mélodie Braschet
- Alice au pays des merveilles, Lewis Carrol
- Sans nouvelles de Gurb, Eduardo Mendoza
- L’étranger, Albert Camus
- 1Q84, Haruki Murakami,
- Je suis un chat, Natsume Soseki
- Correspondance (1944-1959), Albert Camus et Maria Casarès
5 DVD
La Famille Tenenbaum, Wes Anderson
- Sin City, Robert Rodriguez et Frank Miller
- Bonjour, Yasujirō Ozu
- Stand by Me, Rob Reiner
- Fight Club, David Fincher
5 CD
Santigold – I don’t Want (the gold fire sessions)
- Gorillaz – Plastic Beach
- Blur – the best of
- Pizzicato five – Happy End of You (remix album)
- The Jesus and Mary Chain – Psychocandy
5 artistes
- Tatsuro Kiuchi
- Javier Mariscal
- Grip Face
- Lionel Messi
- Hayao Miyazaki
5 BD
DAME UN BESO, d’El don Guillermo chez Misma
- L’ Astragale, de Pandolfo, Sarrazin, Risbjerg. Sarbacane
- Duel d’escargots, Sonia Pulido Pere Joan Editions Cambourakis
- Pulse Enter Para Continuar – Ana Galvañ – Apa Apa editorial
- C’est le merdier, l’amour. Nine Antico – Glénat
5 lieux
- Faire une pause chez Miss Perkins tea, sants, Barcelona
- Se balader sur le sentier côtier de Port-vendres à l’anse de Paulilles
- Manger une coca de patata à Valldemossa, en terrasse, à la pâtisserie Can Molinas (Mallorca)
- Faire une randonnée circuit des 12 lacs du Carlit depuis le lac des Bouillouses
- Ma prochaine destination Tokyo
Cécile Bonbon est autrice et illustratrice.
Bibliographie sélective :
- Petit, Didier Jeunesse (à paraître – août 2019).
- Dans ma maison, illustration d’un texte de Stéphanie Demasse-Pottier, Sarbacane (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Qu’est-ce que je suis aujourd’hui, illustration d’un texte de Rachel Corenblit, Frimousse (2019).
- En colo avec les abeilles, illustration d’un texte de Clémence Sabbagh et Ariane Mellazini, Le gâteau sur la cerise (2019).
- Les bagarreurs, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, Bang Editiones (2018).
- Tapent, tapent, petites mains, illustrations, Didier Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Le gros goûter, illustration d’un texte de Stéphane Servant, Didier Jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Les maths à la petite semaine, illustration de textes de Rachel Corenblit, Le Rouergue (2013).
- Rue Lapuce, avec Arnaud Roy, Didier Jeunesse (2010).
- Promenons-nous dans la ferme les couleurs, texte et illustrations, L’élan Vert (2010).
- Le machin, illustration d’un texte de Stéphane Servant, Didier Jeunesse (2007), que nous avons chroniqué ici.
Pour une bibliographie plus complète : https://cargocollective.com/cecilebonbon/BIO_BIBLIO.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !