Aujourd’hui, c’est l’autrice Anne-Claire Lévêque que nous avons la chance de recevoir. Avec elle nous revenons sur son parcours et son travail. Ensuite, c’est l’autrice Raphaëlle Frier, qui nous livre ses coups de cœur et coups de gueule. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Anne-Claire Lévêque
Parlez-nous de votre parcours
J’ai grandi au milieu des livres… qui étaient partout chez mes parents ! Et le premier livre que j’ai « écrit » m’a valu une sacrée engueulade puisque j’avais naturellement choisi un « beau-livre » de photos, pour son grand format, son papier doux sous mes feutres et dont j’avais intégralement recouvert le texte imprimé de ma propre écriture illisible mais qui racontait une super histoire ! Bon… Par la suite, on m’a offert des grands cahiers, des petits carnets, du papier à lettres et j’ai pu m’en donner à cœur joie ! Bien plus tard, je suis entrée en école de journalisme avec l’envie d’interroger et d’écrire les histoires des autres. Et puis, j’ai enfin osé écrire un premier album qui est paru au Rouergue en 1998. Depuis, je mène une double vie !
J’aimerais que vous nous disiez quelques mots sur le très bel album que vous avez sorti à L’initiale il y a quelques mois, Mon ombre.
Mon ombre est un collage de « micro aventures géantes » vécues et juxtaposées comme dans un rêve, qui racontent tous les possibles d’un jeu à l’infini qui ne nécessite rien (sauf du soleil) et que tous les enfants expérimentent. Les illustrations de Sandra ont apporté du « liant » à mon texte et ajouté tout un pan d’imaginaire, qui en font un album que je trouve, moi aussi, très réussi !
Comment naissent vos histoires ?
De l’observation, d’un dialogue saisi au vol, d’un mot qui sonne, d’une scène dans la rue, d’un décor, d’un souvenir… Ces petits interrupteurs allument des idées de mini histoires que je note sur des bouts de papier et ça me rend joyeuse. Parfois cette étincelle suffit à me faire plaisir et c’est une histoire « à une place », parfois j’ai envie de la partager et d’embarquer les autres. Alors, je « sors de ma tête » et je bosse.
Vous faites aussi partie des autrices d’une collection qu’on adore, Je sais ce que je mange. Comment travaillez-vous sur ces documentaires ?
Comme pour un article journalistique. Je cherche de l’info auprès de sources fiables, je recoupe, j’interroge, j’accumule. Ensuite, je trie, j’élague en gardant toujours à l’esprit que mes lecteurs ont besoin de comprendre mais que ce que je leur raconte doit faire « sens » pour eux, sinon, c’est raté ! J’essaie d’être concrète mais drôle, rigoureuse mais légère… Un super exercice.
Cette collection est assez engagée écologiquement parlant, une préoccupation importante pour vous ?
Oui résolument… pour les pommes et les bananes, et d’une manière générale pour l’agriculture bio. Impossible de ne pas réagir à son échelle lorsqu’on se documente sur la question ! Pour le reste, comme beaucoup de gens, j’essaie de changer mes habitudes pas à pas.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Hétéroclites mais passionnées ! J’adorais relire trois, quatre, dix fois un même livre qui m’avait plu. J’ai appris à lire avec Oui-Oui et j’étais insatiable. Je me souviens aussi vers 8 ans d’une collection géniale de chez Nathan (qui s’appelait encore Fernand) « La bibliothèque internationale », ces romans traduits de tous les pays du monde m’ont beaucoup marquée. Un peu plus tard : « Les quatre filles du docteur March », « Les trois mousquetaires », « Mon bel oranger » de J. Vasconcelos, Michel Grimaud… Nicole Claveloux dans Okapi avec l’insupportable Grabote et le lion Léonidas et les BD : « Philémon » de Fred, Gotlieb évidemment, Bretécher… Je piochais dans les bibliothèques de la maison et je découvrais au pif ! Je suis passée assez vite aux livres pour adultes car il n’existait pas vraiment de littérature ado…
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
Un livre docu pour Les éditions du Ricochet. Trois histoires en chantier, dont un album pour L’Initiale pour parler de l’amitié… qui me tient à cœur !
Bibliographie sélective :
- Tous à la danse !, roman illustré par Mary-Gaël Tramon, Belin (2019).
- Dix à table, roman illustré par Mioz, Belin (2019).
- Mon ombre, album illustré par Sandra Desmazières L’initiale (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Les bananes, album illustré par Nicolas Gouny Les éditions du Ricochet (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Les Pommes, album illustré par Nicolas Gouny, Les Éditions du Ricochet (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Qui porte le chapeau ?, album illustré par Caroline Dalla, L’initiale (2014).
- Cœur élastique, album illustré par Arianna Tamburini, Les Éditions du Ricochet (2014), que nous avons chroniqué ici.
- La pluie et le beau temps, album illustré par Jérôme Peyrat, Les éditions du Ricochet (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Le p’tit déjeuner, album illustré par d’Amélie Falière, Les éditions du Ricochet (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Où est passé mon cœur ?, album illustré par Sandra Desmazières, Le Baron Perché (2006).
Le coup de cœur et le coup de gueule de… Raphaële Frier
Régulièrement, une personnalité de l’édition jeunesse (auteur·trice, illustrateur·trice, éditeur·trice…) nous parle de deux choses qui lui tiennent à cœur. Une chose qui l’a touché·e, ému·e ou qui lui a tout simplement plu et sur laquelle il·elle veut mettre un coup de projecteur, et au contraire quelque chose qui l’a énervé·e. Cette semaine, c’est Raphaële Frier qui nous livre ses coups de cœur et ses coups de gueule.
Je préfère commencer par le coup de gueule.
Allons-y par à-coups :
Il y a ce coup de poing que j’ai ressenti à l’écoute de ce milliard d’euros récolté en quelques jours pour sauver une cathédrale, si belle et grandiose soit-elle. Il y aurait assez d’argent pour la reconstruire deux fois ! Et pendant ce temps, tant de vies échouées, d’enfants, de femmes et d’hommes perdus, dans la rue, dans la mer, et dans l’indifférence.
Je ne comprends pas. Il n’y a pas eu un seul mort, ni même un seul blessé le 15 avril dernier, lors de l’incendie de Notre-Dame. Et puis, Notre-Dame n’est pas morte, notre siècle y laissera sa trace, comme d’autres avant lui.
Rappelez-vous, des immeubles se sont effondrés en novembre 2018 à Marseille. Huit personnes ont péri, dont une étudiante, qui avait l’âge de mes filles. Et combien ont rejoint le rang des mal-logés suite à cette catastrophe ? Où étaient, où sont les grands donateurs milliardaires touchés par ce drame ?
Bien sûr, notre rapport au passé est important. Mais je m’interroge quant à notre rapport au présent et à l’avenir.
Il y a ce coup de trop de notre ministre de l’Intérieur accusant il y a peu les ONG présentes en Méditerranée de complicité avec les passeurs ! Et ce coup au cœur que j’ai pris devant l’affiche publicitaire d’une certaine compagnie maritime qui propose à ses clients « La traversée que vous méritez », pendant que, chaque jour, d’autres non-méritants tentent la traversée et meurent en Méditerranée.
Et bien sûr, les villes se frottent les mains face aux retombées économiques des croisières. Et si on parlait de leur empreinte désastreuse sur l’atmosphère ? À Marseille par exemple, avec le développement du trafic des bateaux de grandes croisières, de véritables mini-villes flottantes peuvent rester plusieurs jours à quai tout en continuant à faire tourner leurs moteurs pour s’alimenter en électricité. Or, les carburants marins sont surtout constitués de fioul lourd (très épais, très peu cher, très polluant). Selon France Nature Environnement, un gros paquebot pollue autant qu’un million de véhicules. Vous imaginez l’effet des émissions des bateaux sur la santé et le climat… Et pourtant, le secteur aérien et le secteur maritime bénéficient de l’exonération fiscale sur le kérosène, ainsi que sur le fioul. Est-ce normal ?
Permettez-moi encore ce coup de blues que m’inspire la réforme des retraites et ce qu’elle va impliquer pour les auteurs, les artistes. Les revenus des auteurs sont déjà peau de chagrin. Que restera-t-il de la création dans quelques années ?
Bien sûr, d’autres coups de gueule me brûlent la gorge mais je ne veux pas qu’ils prennent trop de place sur ce papier.
Car heureusement, j’ai aussi des coups de cœur à partager :
D’abord, en photo, une « chaise haute » dans les Cévennes. Elle a fait écho à mon album Les chaises (Le port a jauni).
Je pense aussi à ces crocus aperçus mi-avril, perçant la couche d’herbes jaunies et couchées par la neige, dans le massif du Mézenc.
Je pense à cette jeune fille rencontrée en IME, à l’occasion d’un atelier d’écriture. Elle m’a tellement émue après que je lui ai demandé de m’énoncer ce qu’on pouvait trouver en forêt. Ma question est d’abord restée sans réponse. Alors j’ai insisté. C’était facile, elle pouvait déjà juste me parler des arbres. Mais elle a encore laissé passer un long silence, puis elle m’a dit : « des rêves ? ».
Je pense à nombre de mes lectures. Celle du moment par exemple : La Désorientale, de Negar Djavadi. Et Journal d’une fille chien, de Laura Jaffé.
Je pense à de nombreux originaux d’albums que j’ai la chance d’approcher régulièrement. Comme par exemple ceux de l’album La montagne (peintures sur bois de Manuel Marsol) ou ceux de la BD Portugal (de Cyril Pedrosa), vus début avril à « BD à Bastia ». Et tant d’autres !
Je pense aux belles rencontres et aventures qui m’ont régalée en festival ces derniers temps, ou à celles qui s’annoncent.
Je pense à ce colis rempli d’oranges que j’ai reçu la semaine dernière par la poste. Elles étaient délicieuses et venaient du jardin d’un ami après sa lecture de mon album « Bienvenue ».
Et puis, j’allais oublier… Je pense à ces moments magiques des lectures musicales autour du Tracas de Blaise par exemple. C’est nouveau pour moi, et j’adore ça !
Enfin, il y a eu ce gros coup de cœur pour le SLPJ de Montreuil dernier où Julien Martinière et moi avons eu l’immense joie de recevoir la pépite d’or pour notre album Le Tracas de Blaise. L’atelier du poisson soluble avait eu la bonne idée et fait le pari de le publier fin 2017.
Ça fait beaucoup de coups de cœur, et encore, je ne les confie pas tous, la liste serait trop longue ! Je veux dire Merci en tout cas à ceux qui m’ont réchauffé le cœur ces derniers temps. Et ils sont nombreux !
Bibliographie sélective :
- Cache-cache Cocotte, album illustré par Nathalie Desforges, Bayard (2019).
- Bienvenue, album illustré par Laurent Corvaisier, À pas de loups (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Mon chien, papa et moi, album illustré par Marc Daniau, À pas de loups (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Les chaises, album illustré par Clothilde Staes, Le Port à Jauni (2018).
- C’est notre secret, roman, Thierry Magnier (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Le Tracas de Blaise, album illustré par Julien Martinière, L’Atelier du poisson soluble (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Malala pour le droit des filles à l’éducation, album illustré par Aurélia Fronty, Rue du Monde (2015).
- Mauvais fils, roman Talents Hauts (2015).
- Mon cher Van Gogh, roman, Bulles de Savon (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Je vous présente Gaston !, album illustré par Claire Franek, L’Edune (2012), que nous avons chroniqué ici.
- La recette de Moi, album illustré par Audrey Pannuti, Naïve (2011), que nous avons chroniqué ici.
- Angèle et le cerisier, album illustré par Térésa Lima, l’Atelier du poisson soluble (2011), que nous avons chroniqué ici.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !