Quel bonheur de finir l’année avec de si belles invitées ! On reçoit cette semaine Katarina Mazetti qui a accepté de répondre à mes questions, puis on va visiter l’atelier d’Aurore Petit. À partir de mercredi prochain, vous retrouverez la rubrique estivale, Du berger à la bergère. Bon mercredi à vous !
L’interview du mercredi : Katarina Mazetti
Comment est née la série Les cousins Karlsson ?
Quand j’ai commencé à écrire les Cousins Karlsson, il y avait tant de livres d’enfants « réalistes », qui parlaient de brimades, d’anorexie, de divorces des parents et de toutes sortes de problèmes. Je me suis rendu compte que ma lecture préférée à cet âge était Le club des cinq par Enid Blyton. Ce sont des livres « feelgood », avec beaucoup de suspense et de bonne bouffe. Je voulais offrir aux enfants d’aujourd’hui ce même divertissement formidable, mais le genre avait besoin d’une mise à jour. Les vilains de Blyton sont pour la plupart des étrangères à la peau foncée ou des espions soviétiques. Les problèmes aussi avaient besoin d’une mise à jour — cette série parle de réfugiés, de pollution de l’environnement et même de terrorisme. Pourtant, je veux que les livres soient faciles à digérer et drôles.
La neuvième aventure, Trompette et tracas, vient de sortir en librairie, vous pensiez en écrire autant ?
J’avais prévu d’écrire trois livres sur les cousins — les maisons d’édition et les librairies préfèrent des séries. Et puis, en travaillant là-dessus, je me suis si bien amusée et j’ai reçu tant de lettres des lecteurs que je ne pouvais pas m’arrêter. Des classes d’écoles complètes m’envoyaient des lettres. Cet automne la dixième partie sortira, et celle-là sera définitivement la dernière — je suis déjà en train d’écrire une nouvelle série.
Quelques mots sur cette nouvelle aventure ?
« Trassel och trumpeter » (Trompette et tracas) parle d’une menace d’attentat à la bombe et de trafic de drogues — des thèmes qu’on ne voit pas souvent dans la littérature d’enfant.
Dans cette aventure, un nouveau personnage apparait, Régine. Une envie de neuf ?
En faisant un Français jouer un rôle principal (cousin Alex) j’ai déjà remercié mes lecteurs français. Alors, je voulais passer à un autre grand pays de l’UE : l’Allemagne. Voilà comment le personnage Regine m’est venu à l’esprit. J’ai des lecteurs sympas en Allemagne aussi.
J’aimerais que vous nous parliez de votre processus d’écriture et de la façon dont vous viennent vos idées (par exemple les lubies de Bourdon et les « nouvelles vies » de Tante Frida).
Afin que les lecteurs perçoivent la série comme une unité, il faut des éléments récurrents. Certaines choses dans les premiers livres marchaient plutôt bien, alors je les faisais revenir. Par exemple : les jurons de Bourdon, les changements de travail incessants de Frida et les commentaires bruyants de minou.
L’un des personnages, Alex, est français et vous venez régulièrement au Salon du livre de Paris. Quel est votre rapport à la France ?
En tant qu’écrivain, la France est un pays spécial pour moi. Tous mes livres (pour enfant et adulte) marchent très bien en France. Vous avez des librairies et des bibliothèques formidables, ainsi que des grands et des petits festivals. Récemment, on m’a dit que les Cousins vont sortir en BD. Puisque vous êtes très fort à ça, ce sera très chouette !
Bibliographie jeunesse :
- Les cousins Karlsson T.8 – Trompette et tracas, Thierry Magnier (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Les cousins Karlsson T.7 — Carte au trésor et code secret, Thierry Magnier (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Les cousins Karlsson T.6 – Papas et pirates, Thierry Magnier (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Les cousins Karlsson T.5 — Vaisseau fantôme et ombre noire, Thierry Magnier (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les cousins Karlsson T.4 – Monstres et mystères, Thierry Magnier (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Les cousins Karlsson T.3 – Vikings et vampires, Thierry Magnier (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Les cousins Karlsson T.2 – Sauvages et wombats, Thierry Magnier (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Les cousins Karlsson T.1 – Espions et fantômes, Thierry Magnier (2013), que nous avons chroniqué ici.
Quand je crée… Aurore Petit
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux/elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Aurore Petit qui nous parle de quand elle crée.
Je travaille dans un atelier collectif. Nous sommes 8 : auteurs.trices de BD et de littérature jeunesse. Je travaille là tous les jours, de 9 h 30 à 18 h environ. Ça n’a pas toujours été comme ça. Il y a eu des périodes, au cours des 15 dernières années, pendant lesquelles je travaillais chez moi. J’avais du mal à arrêter de travailler, et je pensais tout le temps à mes projets : quand je mangeais, quand j’allais me coucher, quand je me levais le matin. Le fait d’avoir un atelier à l’extérieur de la maison me permet de faire une coupure entre ma vie avec mon fils et mon compagnon, et mon travail.
Ceci dit, je pense très souvent à mes livres en cours, même quand je ne suis pas à mon bureau. Je crois que même quand je ne travaille pas, je travaille. Les idées murissent même quand je n’y réfléchis pas.
Je pense que je peux définir deux grandes lignes dans mon travail. La première serait mon travail de commande, qui est un travail de dessinatrice, au cours duquel on me demande d’apporter une réponse à un sujet, de réagir et de proposer des points de vue sur un thème, un article, l’identité d’une marque, un événement, etc. J’ai beaucoup de mal à faire ce travail-là en dehors de mon atelier car j’ai besoin d’analyser le sujet, lire des choses, me documenter sur internet, regarder des images ou voir des vidéos qui ont un rapport avec le sujet pour m’en imprégner. Ensuite je dois proposer une synthèse de tout ça, et me concentrer pour formuler une réponse en image. Ce travail me demande du silence, et demande à ce que je ferme toutes les portes autour de moi pour m’enfermer dans une bulle.
La deuxième ligne serait mon travail d’autrice. Ce travail-là est plus difficile à décrire, car il est plus incertain. Je ne suis pas sûre de pouvoir définir une manière de travailler aussi claire et systématique. Mes idées de livres naissent souvent dans mes carnets. L’idée peut venir d’un dessin, qui semble parfois très anecdotique. Par exemple, mon Cheval de courses (Albin Michel / 2017) est né d’un tout petit dessin que j’avais fait dans un carnet : c’était une baguette de pain, avec une étoile plantée au bout, et le sous-titre « baguette magique ». J’avais oublié cette idée, et quelques mois plus tard, en feuilletant mon carnet, je suis retombée dessus. J’ai fait un autre dessin sur ce même principe, puis un troisième, un quatrième. Ensuite, le travail a été de récolter suffisamment d’idées pour faire un livre. Ce travail-là ne se fait pas en atelier, mais au quotidien, au cours des conversations, des lectures, des écoutes. À chaque fois que j’entendais une expression qui pouvait donner lieu à un jeu visuel, je la notais, jusqu’à en avoir plus d’une centaine, matière à faire un livre. Ensuite, les dessins définitifs sont réalisés dans mon atelier, et la mise en couleur également, car j’ai besoin de plus de matériel.
De même, pour mon prochain livre qui sort en septembre (Une maman, c’est comme une maison / Les fourmis rouges), je constate que l’écriture s’est faite en dehors de l’atelier : dans le train, à la maison, au café, et que le travail de dessin et de couleur s’est fait à l’atelier. Je crois que, au moment d’écrire, j’ai besoin être dans un endroit plus ouvert et vivant, et qu’au moment de mettre en forme, j’ai besoin de refermer les portes et de m’enfermer dans une bulle.
Dans cette bulle, il y a parfois de la musique, avec très peu de paroles, comme Murcof, Raymond Scott, Arp, Kraftwerk, qui m’accompagnent dans mon geste de dessin. À ce moment-là, mon rapport à la musique est très sensible : la musique définit le rythme de mon dessin, la pression sur ma plume. Quand je suis à mon ordinateur et que je colorise mes images, j’écoute le plus souvent des émissions de radio : des documentaires, des interviews d’artistes ou parfois des débats politiques.
Dans cette phase je suis beaucoup plus disponible pour accueillir des informations, m’intéresser à autre chose qu’à mon travail, et m’ouvrir à nouveau.
Et puis il y a une autre manière de travailler encore qui est celle du travail en binôme. Je travaille régulièrement avec des auteurs.trices dont j’aime les textes. Ces dernières années, nous avons beaucoup collaboré avec Mathis, ce qui a donné lieu à plusieurs séries ou collections (Les aventures de Dolorès Wilson/ Les fourmis rouges ; Le petit pou / Les fourmis rouges ; Mes livres à chanter / Milan). Ce travail en binôme naît par l’alchimie, l’humour et la complicité. Une blague ou une idée qui va nous amuser tous les deux peut donner lieu à un livre si l’un d’entre nous arrive à l’étirer suffisamment pour embarquer l’autre. Le travail ici passe parfois par le langage et le détournement, comme dans nos Livres à chanter, mais aussi par l’image. Dans les aventures de Dolorès Wilson, par exemple, j’ai inventé un univers visuel et des personnages, et Mathis à écrit les premières histoires à partir de mes dessins.
Aurore Petit est autrice et illustratrice.
Bibliographie sélective :
- Des tomates sur mon balcon – Mon petit potager, illustration d’un texte de Thierry Heuninck, De La Martinière Jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Dagobert, co-écrit avec Mathis, Milan (2018).
- Un petit lapin, co-écrit avec Mathis, Milan (2018).
- 1 temps, illustration d’un texte d’Henri Meunier, Rouergue (2018).
- Cheval de courses, texte et illustrations, Albin Michel (2018).
- Le petit pou sait, illustration d’un texte de Mathis, Les Fourmis rouges (2016).
- Série Les Aventures de Dolorès Wilson, illustration d’un texte de Mathis, Les fourmis rouges (2014-2015), que nous avons chroniquée ici.
- Des mots globe-trotters, illustration d’un texte de Sylvain Alzial, Actes Sud Junior (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Qu’y a-t-il dedans ?, texte et illustrations, Rue du Monde (2013).
Le site d’Aurore Petit : https://aurorepetit.com.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !