Aujourd’hui, on reçoit l’autrice-illustratrice Anaïs Brunet, dont l’album Jour d’automne en musique vient d’être publié par Didier Jeunesse et dont j’adore le dessin. Elle est l’invitée de l’interview. Puis on se glisse près de l’auteur Alexandre Chardin, qu’on aime beaucoup à La mare aux mots et dont le roman Magie verte contre magie grise viens de paraître chez Casterman, pour l’observer (discrètement) quand il travaille.
L’interview du mercredi : Anaïs Brunet
Pouvez-vous nous parler de Jour d’automne en musique qui vient de sortir chez Didier jeunesse ?
Il s’agit d’une nouvelle série que je commence avec mon éditrice Servane Guiho et Didier Jeunesse. Après avoir engagé le toucher dans Neige, Orage, Soleil et Pluie, j’ai voulu travailler avec l’ouïe. L’originalité de cette collection est que la musique classique se mettra au service d’une petite fiction. L’idée de narration est rare, voire inexistante dans le format livre à puces, c’était donc très excitant de voir comment on allait construire cela. Je suis également contente de donner vie à deux personnages qui seront récurrents : Mimi, un enfant, et son chat Tosca.
Après votre série de livres tout-carton, sortie également chez Didier Jeunesse, vous continuez de parler des saisons. Un sujet qui vous parle particulièrement ?
Je dirais que c’est surtout l’observation de la nature qui me guide. Or, la saisonnalité en découle. En littérature jeunesse, je trouve qu’on croise souvent une nature générique, presque stéréotypée. De l’herbe bien verte, des troncs bien droits et bruns, un feuillage fourni et difficile à identifier… Idem pour la météo : en général, le ciel est bleu par défaut, il pleut rarement dans les albums sauf si c’est mentionné dans le texte. La réalité est plus riche : pourquoi la simplifier ? Les très jeunes enfants peuvent distinguer un saule d’un chêne, si on leur montre. Quand je commence un livre, je choisis un lieu précis que je couple à une saison : les Alpes en été dans La Danse de l’Ours, les Caraïbes une nuit d’orage pour Orage, la Toscane en hiver pour Suivons l’étoile ! . Puis je me demande quelles sont les caractéristiques de ce décor. Quelle faune et quelle flore, quelles couleurs, quels phénomènes climatiques, quelle architecture ? Je me documente pour enrichir mes albums. J’ai envie de montrer la variété et la beauté du monde à mes lecteurs, les rendre plus attentifs aux merveilles qui les entourent.
Comment naissent vos histoires ? Qu’est-ce qui arrive en premier, les dessins ou l’histoire ?
C’est difficile à dire ! Ce qui arrive en premier, c’est le désir de faire un livre sur un sujet : Monet à Giverny, la neige, la musique classique… Une fois que je sais où je veux aller, tout se construit simultanément. Le format, l’âge visé, la présence ou non d’une narration, l’histoire, les images… C’est là que le dialogue avec l’éditeur est très précieux. Il m’aide à transformer une envie en un livre… ou une série !
Pouvez-vous nous parler de votre technique d’illustration et de votre façon d’utiliser les couleurs (chose que j’aime particulièrement dans votre travail) ?
Merci ! La couleur est en effet très importante dans mon travail. Comme je vous le disais, je me crée un petit univers pour chaque livre. Je commence par me le décrire dans ma tête et très vite, je collecte des images de référence et je construis une gamme chromatique. Je travaille toujours à la gouache sur un papier de couleur. Le choix du support est très important, car il donne une tonalité à l’album : en fonction de l’histoire, j’ai déjà choisi un rose pastel très doux, un jaune vif et acide, un bleu marine presque noir, un brun taupe un peu terne… Puis je choisis la gouache que je vais utiliser. J’opte presque toujours pour des gammes chromatiques restreintes : cinq ou six couleurs dominantes, pas plus. Enfin, je veille à créer des contrastes : dans la palette que j’utilise pour l’album, il doit y avoir des couleurs claires et foncées, vives et peu saturées pour se mettre mutuellement en valeur.
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Oui, je lis beaucoup d’albums. La littérature jeunesse est vraiment une passion ! Mon modèle absolu est Gerda Müller. Sa maîtrise technique de la gouache, sa façon incroyablement précise de représenter la nature, la délicatesse des postures d’enfants, ses compositions grandioses, ses choix de couleurs magnifiques en font une illustratrice insurpassable. Marc Boutavant réussit aussi à m’époustoufler à chaque album. Il sublime le quotidien comme personne. Je rajouterai Floc’h à cette trinité, dont le travail m’inspire beaucoup, même si je n’utilise pas de trait de contour.
Deux de mes éditrices m’ont donné le même conseil : de développer le côté bizarre de mon travail. Pour cela, je puise dans l’œuvre des peintres Nabis.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je suis architecte de formation, mais j’ai su assez vite que je n’exercerais pas ce métier. Une fois le diplôme en poche, j’ai préparé et obtenu l’agrégation d’arts plastiques et je me suis formée à la gravure sur métal dans un atelier. J’ai écrit et illustré mon premier album en 2016, il a été publié aux éditions Sarbacane. Là, je commence le numéro 18 !
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’ai toujours beaucoup lu, de tout.
En illustration, j’étais très attirée par le travail à la plume. J’aimais énormément Babette Cole, Quentin Blake, Roser Capdevila, Savard. J’ai vraiment cru que je dessinerais comme cela, une fois adulte. Mais finalement, je peins à la gouache, sans traits de contour. Je me rends compte à présent que j’ai beaucoup été influencée par le travail de Danièle Bour.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je vais continuer ma série avec Didier Jeunesse. Je prépare un livre sur la couleur et j’aimerais parler à nouveau de Claude Monet.
Bibliographie sélective :
- Jour d’automne en musique, album musical, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2024).
- Pluie, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2024).
- Suivons l’étoile ! Une crèche de Noël à construire, texte et illustrations, Saltimbanque (2023).
- Soleil, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Orage, album, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Le lion aux yeux d’or, album, illustration d’un texte de Géraldine Elschner, L’élan Vert (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Papa, regarde mon tableau !, texte et illustrations, Saltimbanque (2022).
- Neige, album, texte et illustrations, Didier Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- La danse de l’ours, album, illustration d’un texte de Suzanne Bogeat, Albin Michel jeunesse (2020), que nous avons chroniqué ici.
- L’arrêt du cœur ou comment Simon découvrit l’amour dans la cuisine, album, illustration d’un texte d’Agnès Debacker, MeMo (2019).
Retrouvez Anaïs Brunet sur Instagram.
Quand je crée… Alexandre Chardin
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour celles et ceux qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Alexandre Chardin qui nous parle de quand il crée.
Pour écrire, il me faut des arbres et du soleil.
Mais comme je suis aussi professeur en collège, je ne peux pas toujours écrire sous les arbres ni quand il fait beau. J’écris donc quand je peux, dans les interstices, souvent le soir, sur mon canapé, collé par Ciboulette, notre teckel à poil dur.
Si j’ai le choix, c’est entouré d’arbres, sous le soleil, dans l’ombre de notre albizia, du cerisier, d’un frêne, d’un hêtre. Il me faut de la lumière et des mots. Si je n’ai pas le temps d’écrire, je marche sous les arbres, dans le soleil. Je pense mieux en marchant, les histoires se débloquent ou naissent dans l’éclat. Il faut s’aveugler pour croire à tout ça…
Mais écrire demande du silence. Pas de musique pour ma part. J’en écoute beaucoup, mais elle a trop d’influence sur mes idées, sur mon style. Un rien me perturbe, m’intéresse, me divertit. Donc, pas de musique, pas de radio, pas d’enfants dans les parages.
Quand je suis au collège, je ne pense pas à mes histoires, ni quand je suis avec mon clan, j’attends le calme pour entrer dans ma bulle.
Enfant, je n’aimais pas lire, je n’aimais que les BD, j’ai gardé l’instinct de l’image.
Quand j’écris, je me fais mon film, ma projection personnelle. Mes yeux se retournent et bim, le grand écran en fond de caboche. C’est mon premier plaisir, me faire mon film, disparaître. Lire et écrire sont des magies que je cherche tous les jours.
C’est risqué, je peux facilement partir en cacahuète. C’est délicieux.
Lors de rencontres avec des classes, on me demande souvent d’où vient mon inspiration, si je ne suis jamais à court d’idées. Je m’inspire de tout, tout le temps, d’une bonne histoire dans un roman, d’une émission à la radio, d’une scène de vie, d’un dialogue entre deux élèves, d’un paysage (beaucoup), d’un film… Je découpe, je fais des puzzles, j’invente les pièces manquantes, je me plante, j’enrage, je m’enthousiasme, je m’emporte, j’y crois, je n’y crois plus, je recommence.
J’aime terriblement mes personnages, je les écoute, je les garde en moi, les porte longtemps avant de les mettre sous les yeux des lecteurs, mais je ne coupe jamais le cordon avec eux, ils restent mes amis, des personnes que j’aurais aimé rencontrer.
Alors non, je ne suis jamais à court d’idées. Une histoire achevée ouvre sur trois romans à écrire. C’est infini, c’est délicieux. C’est risqué. Je n’en reviens toujours pas.
Quand je lis des romans, je suis épaté par l’univers de l’autrice ou de l’auteur, j’admire, j’envie une trouvaille, une phrase si bien écrite qu’il faudrait l’écrire sur tous les murs des villes. Ça me fiche des complexes, ça me donne envie de m’y mettre, de m’améliorer. Je n’arrive pas à croire que je participe, à ma petite échelle, à cette merveilleuse création. C’est un puits de lumière où tirer des mots, de la joie, des arbres, du soleil.
Je travaille chaque phrase en me demandant si elle ouvrira vraiment le même paysage dans l’esprit de mon lecteur que celui que j’ai en moi. Magie. Vanité. Jeu merveilleux.
J’aime écrire, terriblement, mais si tout s’arrêtait du jour au lendemain, je garderais le souvenir d’une merveilleuse aventure et me sauverais avec mes personnages pour un grand gueuleton à la santé de toutes ces vies inventées. Pour les remercier de m’avoir fait confiance, d’avoir été l’humble intermédiaire entre eux et leurs lecteurs.
Quel pied, cette farce !
Alexandre Chardin est auteur. Son dernier roman (en date !) Magie verte contre magie grise vient de paraître (aujourd’hui même) chez Casterman.
Bibliographie sélective :
- Magie verte contre magie grise, roman, Casterman (2024).
- Ma fugue dans les arbres, roman, Hachette Romans (2024).
- Le cri du corps, roman, Sarbacane (2024).
- Des vacances d’Apache, roman, Le Livre de Poche (2024).
- Lola à la folie, roman, Magnard (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Le cercueil à roulettes, roman, Casterman (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Série Capucine Flutzut, romans illustrés par Mauréen Poignonec, Rageot (2019).
- La fosse au loup, roman, Thierry Magnier (2018).
- Barnabé n’a pas de plumes, album illustré par Christophe Alline, L’élan vert (2018).
- Mentir aux étoiles, roman, Casterman (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Des vacances d’Apache, roman, Magnard (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le goût sucré de la peur, roman, Magnard (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Adélaïde, ma petite sœur intrépide, album illustré par Mylène Rigaudie, Casterman (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Petit lapin rêve de gloire, album illustré par Mylène Rigaudie, Casterman (2013).
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Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !