Aujourd’hui, on reçoit Lauranne Quentric, qui est l’illustratrice de l’album Elle fait le printemps sorti en début d’année chez Didier Jeunesse). Puis, c’est avec la Suédoise Lisen Adbåge, dont l’album Les pins est sorti il y a quelques mois chez Cambourakis, qu’on part en vacances !
L’interview du mercredi : Lauranne Quentric
Pouvez-vous nous présenter Elle fait le printemps ?
Elle fait le printemps, c’est au départ une idée de Praline Gay-Para qui, inspirée par le poème Il pleut de Jacques Prévert, a voulu mettre les expressions de la météo au féminin : en effet, toujours il pleut, il fait beau, il fait soleil, il neige… Un petit clin d’œil féministe et surtout poétique pour ensuite les associer aux émotions ou aux aventures ordinaires d’une petite fille, qui règne en son royaume… L’album raconte donc la journée d’une fillette, de Elle est tôt quand elle observe le monde qui se réveille de la fenêtre de la cuisine, juchée en pyjama sur le buffet, jusqu’à Elle fait nuit, alors qu’elle a construit une cabane avec deux chaises et un drap, pour y lire une histoire, en passant par exemple par Elle gronde, elle tonne, elle tempête, quand la frustration de ne pas pouvoir sortir se baigner la transforme en petit ouragan de colère…
Avez-vous travaillé avec Praline Gay-Para et si oui comment s’est passée la collaboration ?
Oui ! J’ai déjà fait plusieurs albums avec Praline qui est une amie. Pour ce projet, elle m’a laissé chez moi, après en avoir discuté, toute une liste d’expressions au féminin, et m’a laissée libre de composer l’histoire comme je le souhaitais, en fonction de ce que j’allais choisir comme narration : je me suis décidée pour une journée du matin au soir, et je me suis très largement inspirée de ma fille de 5 ans pour choisir les scènes à illustrer !
Je lui montre aussi les croquis en cours et les premiers essais d’illustration en collage.
Comment choisissez-vous vos projets ?
Il s’agit soit de projets que me proposent des auteurs et autrices souvent ami·es, soit de textes que me proposent des éditeurs, et dans presque tous les cas des textes qui me parlent, qui m’inspirent ou me donnent envie ! Souvent, les images, même encore floues, arrivent spontanément, sinon, je sais que je vais avoir du mal à trouver l’inspiration.
J’aime parler de tous les sujets même les plus durs, comme la guerre, je trouve que c’est très très important en littérature jeunesse. Même si c’est moins vendeur. J’ai grandi avec l’idée qu’un album jeunesse pouvait tout raconter.
Quelles techniques d’illustration utilisez-vous ?
Ici, il s’agit de collage en papier de soie, papier particulièrement fin et fragile, mais que j’aime pour son côté un peu transparent et les possibilités de superposition et mélanges de couleurs qu’il permet. J’aime l’atmosphère qu’il donne aux images. Alors, je m’arrache parfois un peu les cheveux et ma patience peut être mise à dure épreuve lors du découpage et du collage ! Mais je continue à apprivoiser cette technique et à tenter de nouvelles choses. J’ai toujours fait beaucoup de collages en illustration, et aussi quelques illustrations en volume, fabriqué également des tampons, même si j’aime aussi mes quelques albums plus simples au trait.
Vous êtes aussi plasticienne, j’ai lu que vous fabriquiez des poupées et des marionnettes, pouvez-vous nous en parler ? Est-ce que ça a une influence sur votre travail d’illustratrice ?
J’en fais un peu moins aujourd’hui, mais oui, j’en ai beaucoup fait, des marionnettes à fil et des poupées d’artiste, j’ai même commencé par ça ! J’ai beaucoup bricolé et cousu.
Mon tout premier album (NDLR : Rue du chat qui pêche) était un album en volume, et le petit éditeur (Le Textuaire) qui me l’avait commandé avait vu mes marionnettes et illustrations pour des affiches d’arts de la rue, à l’époque. L’influence de cette pratique est donc évidente sur mon travail d’illustratrice, le collage et la matière étant plus proches du « volume » que la peinture ou le crayon.
Parlez-nous de votre parcours.
Je n’ai fait aucune école d’art, je suis autodidacte, mais j’ai toujours dessiné et bricolé des choses, donc… L’album jeunesse illustré a toujours eu beaucoup d’importance pour moi, dès la petite enfance, quand j’étais petite je voulais être écrivaine et je fabriquais des livres.
Après des études de littérature anglaise et un mémoire de maîtrise sur les mondes imaginaires dans la littérature jeunesse anglophone, j’ai fait un DESS de communication jeunesse et un mémoire sur l’illustration, avec l’envie de me diriger vers l’édition jeunesse. J’ai fait des stages, j’ai été pigiste ou free lance pour diverses maisons d’édition, mais rapidement, après mon passage à Montréal et de retour à Paris, j’ai commencé à faire des marionnettes et des poupées, simplement parce que j’étais fan du théâtre de marionnettes, puis de l’illustration pour de la communication sans trop oser me lancer vraiment dans l’illustration, jusqu’à ce premier album jeunesse. Et puis j’ai continué, en travaillant pour la presse, l’édition, de la papeterie, des compagnies de spectacles jeune public…
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
J’étais une grosse lectrice, d’albums, puis de romans, de J’aime lire, de tout. J’ai gardé mes albums préférés de Tomi Ungerer (Allumette), Gripari (L’histoire du prince Pipo, du cheval Pipo et de la princesse Popi), Michelle Daufresne (Éleonore) ou Claude Lapointe (Les aventures très douces de Timothée le rêveur), Joëlle Boucher (Trois petits flocons), Arnold Lobel et tant d’autres. J’ai eu une chance folle d’avoir reçu beaucoup d’albums de Harlin Quist ou du Sourire qui mord, tous ces livres de ce qu’on appelait « la littérature en couleurs ». Complètement débridée, surréaliste, poétique et engagée, sans tabou, ce qui m’a sûrement permis de me dire qu’on pouvait tout faire et parler de tout en littérature jeunesse et que son terrain de jeu était infini !
Mon grand coup de cœur d’enfant est Alice aux pays des merveilles, le premier que j’ai eu était celui de Nicole Claveloux. J’en ai des dizaines de versions illustrées aujourd’hui.
Adolescente, j’ai lu tout ce qui me tombait sous la main, beaucoup de science-fiction, Stephen King, Edgar Alan Poe, Joseph Conrad, puis beaucoup de contes et de mythologie, beaucoup de littérature américaine, puis William Blake, mon coup de cœur de jeunesse !
Y a-t-il des illustrateurs et des illustratrices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Il y en a plein ! Nicole Claveloux, tous ceux de mon enfance que j’ai cités, et d’autres, m’inspirent, me parlent, me touchent énormément, pour la liberté qu’ils inspirent.
Aujourd’hui, il y a des dizaines d’illustrateurs et illustratrices qui me touchent et je réalise que ce sont ceux qui touchent à l’enfance au plus près, ma préférée est sans doute Mélanie Rutten. Un auteur-illustrateur ami de BD qui me touche énormément, Doublebob, qui publie chez Frémok. J’adore Albertine, et je suis admirative du magnifique travail à la gouache de mon amie Rozenn Brécard, par exemple, de Lucile Placin, de Géraldine Alibeu, et je suis fan de l’univers de Margaux Othats, Blexbolex, Julien Billaudeau… Il y en a plein d’autres… C’est d’une richesse !
Des ouvrages en préparation ?
Oui, plein ! et c’est réjouissant, même si je suis assez lente…
Un album que je viens juste de terminer pour Les 400 coups, écrit par Marie-Francine Hébert, tout en papier de soie.
Trois albums en cours avec deux autrices amies, Praline Gay-Para et Lucie Braud, sur des textes qui me sont très chers… et qui font suite à une incroyable aventure de portraits de gens avec Lucie Braud.
Et puis au moins quatre autres projets dont deux avec Christophe Pernaudet, et deux où je m’essaye à l’écriture…
Bibliographie sélective :
- Elle fait le printemps, illustration d’un texte de Praline Gay-Para, Didier Jeunesse (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Le mangeur de sons, illustration d’un texte de Christos, Les 400 coups (2019).
- Et pluie voilà…, illustration d’un texte de Christophe Pernaudet, Rouergue (2019).
- Noun et Boby, illustration d’un texte de Praline Gay-Para, Didier Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- L’amoureux de papa, illustration d’un texte d’Ingrid Chabbert, Kilowatt (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Ka maté, patate !, illustration d’un texte d’Arnaud Tiercelin, Kilowatt (2017).
- Le dormeur du val, illustration d’un texte d’Arthur Rimbaud, Mouck (2018).
- Petite ombre, illustration d’un texte de Christos, Les Minots (2016).
- C’est pas la même chose, illustration d’un texte d’Irène et Pierre Coran, Mouck (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Ti Moun dit non !, illustration d’un texte de Praline Gay-Para, Lauranne Quentric, Syros (2014), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Lauranne Quentric sur Instagram.
En vacances avec… Lisen Adbåge
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un·e, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… Cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte avec nous que ces choses-là, on ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… Sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’iel veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Lisen Adbåge que nous partons ! Allez, en route !
5 albums pour enfants
Ebba & Didrik / Christina Herrström
- Dårfinkar & dönickar / Ulf Stark
- Slottet / Emma AdBåge [sorti en français sous le titre Le château]
- Vem ska trösta Knyttet ? / Tove Jansson [sorti en français sous le titre Qui va rassurer le tibou ?]
- Att vara jag / Anna Höglund
5 romans
Stargate & Vinternoveller / Ingvild H. Rishøi [Stargate est sorti en français sous le titre D’autres étoiles]
- Den svavelgula himlen / Kjell Westö [sorti en français sous le titre Nos souvenirs sont des fragments de rêve]
- Samlade verk / Lydia Sandgren
- Utan hänsyn / Marianne Lindberg De Geer
- Rebecca / Daphne du Maurier
5 DVD
Världens värsta människa (The worst person in the world, norweigian film by Joachim Trier) [sorti en France sous le titre : Julie (en 12 chapitres)]
- Gilbert Grape (classic, Lasse Hallström)
- Morrår & ärtor (Gösta Ekman, swedish old movie, maybe the one I’ve seen the most times [un vieux film suédois, peut-être celui que j’ai le plus vu])
- Den enfaldige mördaren (swedish film, with the young Stellan Skarsgård) [un film suédois avec Stellan Skarsgård jeune — sorti en France sous le titre L’assassin candide]
- Moriyama-San (japanese documentary) [documentaire japonais]
5 CD
- Bob Hund / all of it, but right now their latest record Rätten att ropa högst (“The right to shout loudest” 2023). [Bob Hund / tous leurs albums, mais en ce moment leur dernier disque Rätten att ropa högst.]
Britta Persson’s upcoming Alla är barn (“We’re all children”) The lyrics are also poems in a book that comes out this autum (2023), wich me and my sister Emma AdBåge had the honour to illustrate! 🙂 [Le prochain Britta Persson, Alla är barn (“Nous sommes tous des enfants”) Les paroles sont aussi des poèmes dans un livre qui sortira cet automne (2023), que ma sœur Emma AdBåge et moi avons eu l’honneur d’illustrer ! 🙂]
- Amason / Amanda Bergman (all of it) [tout d’elle]
- Dina ögon / Dina ögon
- I.B Sundström / 1592
5 comics (just names, I love all their work) [juste les noms, j’adore tout leur travail]
- Klara Wiksten
- Anneli Furmark
- Joanna Hellgren
- Åsa Grennvall
5 endroits à visiter
I am not a traveller, but I love both Gotland and Copenhagen, and I loved Marrakech (especially the jardin de Marrakech, Yves Saint Laurent’s house and gardens) and I want to go to Tokyo and Iceland sometime. But I also love to be at home. Where ever I feel at home. With persons I love. I like open landscapes! Wanås in Sweden is a place to go over and over again to see new art. [Je ne suis pas une voyageuse, mais j’aime à la fois Gotland et Copenhague, et j’ai adoré Marrakech (surtout le jardin de Marrakech, la maison et les jardins d’Yves Saint Laurent) et j’aimerais aller à Tokyo et en Islande un jour. Mais j’aime aussi être à la maison. Où que je me sente chez moi. Avec les personnes que j’aime. J’aime les paysages ouverts ! Wanås en Suède est un endroit où aller encore et encore pour voir de nouvelles œuvres.]
5 artistes
- Ingrid Vang Nyman (drawings) [dessins]
- Alice Neel (portraits)
- Andreas Samuelsson (graphic illustration) [illustration]
- Marie-Louise Ekman (paintings) [peinture]
- Kitty Crowther (children’s books) [livres pour enfants]
Lisen Adbåge est une autrice et illustratrice suédoise. Son dernier ouvrage, Les pins, pour lequel j’ai eu un énorme coup de cœur, est sorti en février dernier.
Bibliographie jeunesse francophone :
- Les pins, texte et illustrations, Cambourakis (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Série Tom, illustration de textes d’Ellen Karlsson, Cambourakis (2 tomes, 2023).
- Je déteste les lapins, les fleurs et les enfants, illustration d’un texte de Per Nilsson, Cambourakis (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Ceux qui décident, texte et illustration, L’étagère du bas (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Dix petits chevaux font la course, illustration d’un texte de Grethe Rottböll, Cambourakis (2020).
- Dix petits chevaux fêtent Noël, illustration d’un texte de Grethe Rottböll, Cambourakis (2019).
- Pendant ce temps, texte et illustrations, Cambourakis (2019).
- Dix petits chevaux. Un conte à compter, illustration d’un texte de Grethe Rottböll, Cambourakis (2013).
Retrouvez Lisen Adbåge sur Instagram.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !