Je vous ai parlé il y a peu de Peer Gynt, une magnifique BD signée Antoine Carrion, j’ai eu envie s’en savoir plus sur lui et son travail, il a accepté de répondre à mes questions. À la suite de cette interview, je vous propose de partir en vacances avec l’illustrateur de la célèbre série Les p’tites poules, Christian Heinrich. Bon mercredi à vous.
L’interview du mercredi : Antoine Carrion
Vous venez de sortir Peer Gynt, pouvez-vous nous présenter ce personnage qui donne son nom à la BD ?
Peer Gynt est un jeune paysan issu d’une famille qui connut gloire et fortune avant de tomber en disgrâce. Il vit avec sa mère, très âgée et fatiguée. Selon moi, ce n’est ni l’antihéros ni ce héros norvégien que l’on aime mettre en avant. Je le trouve foncièrement humain, dans ce sens où aucune de ses décisions ne semble extraordinaire, elles font toutes partie d’un registre qui prête du quotidien. Des décisions tristes souvent. Ou drôles. Mais il n’y a aucun héroïsme, ni aucune méchanceté dans ce personnage. Il est très maladroit, très égoïste, trop ambitieux et perdu dans son imaginaire. C’est un fuyard, quelqu’un qui refuse de se confronter au réel et de répondre de ses actes. Il s’agirait certainement d’un bon compagnon de table à qui l’on conseillerait de se ressaisir.
Comment vous est venue l’idée d’adapter cette pièce de théâtre du XIXe ?
C’est un pur accident. Mes deux éditrices, Clotilde Vu et Barbara Canepa, voulaient signer un nouveau livre en ma compagnie. Étant sur Nils, j’avais d’autres envies. Celles de retrouver un poste fixe, des collègues de travail, une certaine émulation en m’inspirant de ce travail fait ensemble… Clotilde m’a demandé si je n’avais aucune idée, envie à partager, alors je lui ai parlé d’une illustration faite quelques mois auparavant en écoutant la suite de Peer Gynt mis en musique par Edvard Grieg. La scène se passe sur un bateau dans une mer tempétueuse, la lune éclaire le tout. C’était une illustration sans aucune envie au départ, en écoutant la musique je me faisais le clip vidéo dans la tête et me suis servi de mes mains pour l’imprimer. J’ai donc montré cette image, testé certaines choses, fais mes propres choix puis je me suis mis à réaliser les premières planches.
Avez-vous fait des recherches pour vos illustrations, notamment sur la Norvège de cette époque ?
Énormément, pour moi c’est la période la plus excitante de la production. Découvrir de nouveaux noms, des auteurs, des artistes, des photographes, des réalisateurs. Tous apportent une pierre à l’édifice. Beaucoup pour la géographie, les décors, qui m’étaient totalement inconnus. Je me suis intéressé par la suite à Ibsen, à ses intentions, à certains résumés de Peer Gynt et j’ai tout de suite arrêté. Ils commençaient à avoir une influence sur MA vision de Peer Gynt lors de mes multiples lectures. Je voulais absolument m’éloigner de cet aspect académique. Voire scolaire. Je voulais plutôt retranscrire les premières images qui me venaient en tête, garder cet aspect intact pour livrer une adaptation propre. Pas un Peer Gynt vu et revu. En partant de ce postulat, les aficionados pourraient reconnaître une certaine maladresse dans ma lecture. Mais elle est assumée, mon but principal était de respecter l’œuvre d’Ibsen dans son l’intégralité mais sous mon point de vue.
Quelles techniques d’illustrations utilisez-vous ?
Au départ il y a beaucoup de déchet, c’est du traditionnel, des dessins, des annotations, réalisés sur des coins de tables, ça nourrit mes premiers pas et surtout ma corbeille à papier. Une fois le chemin élagué au crayon je passe au stylet pour faire des tests plus poussés en numérique. J’ai testé certaines parties en couleur mais je n’arrivais pas à en démordre, Peer Gynt devait être en noir et blanc.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Comme beaucoup d’adolescents à mon âge je me suis essayé aux romans de Barker, King, Lovecraft, j’ai rencontré le manga avec Akira puis Ghost in the Shell, et des chocs visuels irréversibles comme Sergio Toppi, Claire Wendling, Bill Watterson, Milo Manara ou Alan Lee. À travers tous ces noms j’essayais de quitter le quotidien, j’ai adoré découvrir Le Seigneur des Anneaux et Le Hobbit, beaucoup de livres qui ne sont pas des classiques pour la plupart mais qui sont des références pour moi, comme Le mystère de la nuit des pierres. Beaucoup de livres illustrés sur les légendes régionales, celles sur le Gévaudan, la Bretagne, les contes, les dictionnaires et autres encyclopédies qui décryptent l’imaginaire. Ayant passé ma jeunesse dans une médiathèque je ne saurais citer toute cette période mais j’ai suivi plusieurs courants à travers les bons conseils des bibliothécaires.
Quelques mots sur vos prochains ouvrages ?
J’aurais adoré vous en parler. Mais, moi-même, je n’en sais strictement rien. Actuellement mon envie de poursuivre dans l’édition est toujours là, mais plus pour des cases. Avec Peer Gynt j’ai pu reprendre certaines envies de grands espaces, des pleines pages au format a4, a3, et cette quadruple page panoramique. Je vais essayer de continuer dans cette lancée, pour le moment j’ai des touches mais aucune décision n’est prise. Il y aura peut-être des projets en simultané, dans l’érotisme, dans du fantastique, dans des contes, tout ce qui ne m’a jamais quitté.
Bibliographie sélective :
- Série Peer Gynt, scénarios et dessin, Soleil (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Série Nils, dessin, scénarios de Jérôme Hamon, Soleil (2016-2018).
- No pasarán, dessin, scénario de Christian Lehmann, Casterman – L’école des loisirs (2012).
- Série L’ombre blanche, dessin, scénarios d’Antoine Ozanam, Soleil (2013).
- Série Temudjin, dessin, scénarios d’Antoine Ozanam, Daniel Maghen (2013-2019).
En vacances avec… Christian Heinrich
Régulièrement, nous partons en vacances avec un·e artiste. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais moi j’adore partir comme ça avec quelqu’un, on apprend à la·le connaître notamment par rapport à ses goûts… cet·te artiste va donc profiter de ce voyage pour nous faire découvrir des choses. On emporte ce qu’elle·il veut me faire découvrir. On ne se charge pas trop… Des livres, de la musique, des films… sur la route on parlera aussi de 5 artistes qu’il·elle veut me présenter et c’est elle·lui qui choisit où l’on va… 5 destinations de son choix. Cette fois-ci, c’est avec Christian Heinrich que nous partons ! Allez, en route !
5 albums jeunesse
- Mon tout petit de Germano Zullo & Albertine
- Quand j’étais petit de Mario Ramos
- Nuit d’orage de Michèle Lemieux
- Chut ! on a un plan de Chris Haughton
- Mais je suis un ours de Frank Tashlin
5 artistes
- Safet ZEC
- Brueghel
- Chuck Close
- Ron Mueck
- Edward Hooper
5 romans
- Le neveu de Rameau Diderot
- Petits suicides entre amis Arto Paasilinna
- Le versant animal de Jean-Christophe Bailly
- Le chant des pistes de Bruce Chatwin
- Opinions Chinoises sur les Barbares d’occident de Ferdinand-Joseph Harfeld
5 DVD
- The party
- Noblesse oblige
- Parasite
- Sacré Graal des Monty Python
- Le roman de Renard de Ladislas et Irène Starewitch
5 BD
- Peau d’homme Hubert & Zanzim
- Walt & Skeezix de Frank O. King
- Gorazde de Joe Sacco
- Mères anonymes de Gwendoline Raisson (dessins Magali Le Huche)
- Le guide du mauvais père par Guy Delisle
5 CD
- Oiseaux tempête
- Billy the kid – Kat Onoma
- Legend of the black Shawarma – Infected Mushroom
- Preliminaires – Iggy Pop
- Erbame dich – Bach – Andreas Scholl
5 lieux à découvrir
- Les escaliers de la flèche de la Cathédrale de Strasbourg
- La vallée de la Wormsa (Alsace)
- Le Mont Nemrut Dağı (Turquie)
- Le Bec de Vienne sous Candes-Saint-Martin (Rabelaisie)
- Le Val Ferret et son Grand Col du même nom (Suisse)
Christian Heinrich est illustrateur.
Bibliographie sélective :
- Série Les p’tites poules, illustration de textes de Christian Jolibois, PKJ (2001-2020), que nous avons chroniqué ici, ici et là.
- Série Pitikok, illustration de textes de Christian Jolibois, PKJ (2009-2020).
- Du vent dans les pinceaux, texte et illustrations, Éditions Astrid Franchet (2019).
Retrouvez Christian Heinrich sur le compte Instagram des P’tites poules.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !