Aujourd’hui, c’est l’autrice-illustratrice Sibylle Delacroix qui a accepté de répondre à nos questions, suite à la sortie de L’heure de la sieste. Puis, Camille Romanetto, qui vient de voir publier son premier album La sieste, nous a ouvert les portes de son atelier.
L’interview du mercredi : Sibylle Delacroix
Pouvez-vous nous parler de votre album L’heure de la sieste et nous raconter comment vous avez travaillé sur ce projet ?
L’idée d’un album autour des fenêtres me suit depuis longtemps, et je crois que je n’en ai pas fini. Le parallèle entre le cadre de la fenêtre et celui du tableau, les peintres en jouent depuis longtemps, et il y a beaucoup de tableaux que j’aime qui font cette mise en abyme. J’avais envie d’y jouer moi aussi. Humblement, sous forme d’hommage. C’est un projet qui s’est construit par couches successives. J’ai toujours à cœur de célébrer les pouvoirs de l’imagination : au départ, la petite fille était immobilisée, en convalescence chez sa grand-mère, et s’évadait en imaginant que la maison changeait de place. Finalement j’ai simplifié, le simple prétexte de la sieste suffit à faire qu’un enfant ait envie de s’échapper de ce moment parfois vécu comme une contrainte. J‘ai ensuite raccroché cette idée à celle des clins d’œil aux tableaux, plutôt que d’avoir des rêveries hors de tout contexte, cela créait un fil rouge à suivre. Ensuite le nombre de pages de l’album faisait que j’arrivais à environ 7 doubles-pages avec des références à la peinture, et donc le thème de la semaine de vacances est venu se superposer.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours d’autrice/illustratrice ?
J’ai eu la chance d’être assez rapidement publiée. Mon premier album était l’illustration de La Barbe Bleue chez Casterman, qui était mon travail de fin d’études. Ensuite, j’ai enchaîné quelques albums de contes et des illustrations de romans jeunesse toujours chez Casterman.
Les choses se sont un peu accélérées quand j’ai décidé d’illustrer aussi mes propres histoires et que l’envie de raconter a pris le dessus sur celle de faire de belles images, même si les deux ne sont heureusement pas incompatibles !
Quelles techniques d’illustration préférez-vous utiliser ? Le crayon semble occuper une place particulière dans votre travail d’illustratrice, c’est votre technique préférée ?
J’ai toujours beaucoup aimé le travail des crayonnés préparatoires, que j’aime pousser assez loin, même au temps où je faisais de la peinture et où cela ne se justifiait pas tant. J’ai eu la chance de rencontrer une éditrice chez Bayard Presse qui m’a proposé de conserver une histoire au crayon noir, avec peu de couleurs, ce qui n’était pas envisageable par d’autres éditeurs. J’ai vécu cela comme une libération, un retour à un grand plaisir de dessiner. Cela me semblait aussi plus naturel pour raconter, le crayon partageant à la fois cette fonction de dessin et d’écriture.
Maintenant la couleur pleine et riche me manque un peu, les crayons de couleur étaient une bonne transition pour amorcer ce retour. Et pour cet album en particulier, le crayon instaure la bonne distance par rapport aux tableaux que je mentionne. Impossible de les évoquer en noir et blanc, et impossible de le faire aussi en peinture, cela se réduirait à faire de pâles copies.
Où trouvez-vous votre inspiration ?
Dans mes propres rêveries, dans ces moments de disponibilité si difficiles à préserver. Dans mes souvenirs de sensations d’enfance aussi, et dans l’observation que j’ai pu faire de ma fille lorsqu’elle avait l’âge de mes petits lecteurs. L’inspiration peut venir en fait de n’importe où, n’importe quand. C’est ce petit choc, cette petite étincelle d’une combinaison inattendue de plusieurs choses disparates.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ? Un goût prononcé pour les contes, que l’on retrouve dans votre travail actuel ?
Mes lectures d’enfant, c’était surtout la jolie collection de BD de l’école franco-belge qu’avait constituée mon père à ma sœur et à moi. Je les ai lues et relues au bas mot des dizaines de fois. Avec une préférence pour Will et Macherot. J’avais aussi effectivement le goût des contes, les classiques et les autres : des recueils de contes arabes, de Baba Yaga, tout ce qui me faisait voyager loin dans le temps ou dans l’espace et touchait à des questions fondamentales, crues.
Y a-t-il des auteur·rices ou illustrateur·rices dont le travail vous touche ou vous inspire ?
Énormément bien sûr. Étudiante, j’étais fascinée par les albums de Chris Van Allsburg, Gary Kelley et Edward Gorey. J’ai une tendresse particulière pour le travail de Philippe Corentin, intelligent et joyeux, et les travaux les plus tardifs de Elzbieta qui m’émeuvent beaucoup. Je me replonge avec délice dans le travail des anciens comme Peter Newell, et ai aussi beaucoup d’admiration pour des plus jeunes comme Adrien Parlange ou Marion Fayolle, entre autres. Il me semble qu’ils ont tous en commun une grande fantaisie et une imagination qui aime à tordre le réel.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? De nouveaux albums en préparation ?
Un autre album va prochainement sortir chez Mijade, Stella, qu’est-ce qu’on va faire de toi ?, sur un texte de Christine Neumann-Villemin, et je suis aussi en train d’illustrer un autre de ses textes au ton plus grave qui paraîtra chez Kaléidoscope en février 2024, Mon petit Trésor. En parallèle, je me remets à l’écriture de mes propres textes, pour des projets au long cours. Il y sera encore question de fenêtres, le motif n’a pas fini de m’inspirer.
Bibliographie sélective :
- La cape magique, texte et illustrations, Kaléidoscope (2022).
- L’heure de la sieste, texte et illustrations, Mijade (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Rêve de neige, texte et illustrations, Bayard Jeunesse (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Des oiseaux plein la tête, texte et illustrations, Kaléidoscope (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Ma grande, Mijade (2021), texte et illustrations, que nous avons chroniqué ici.
- Les trois ours chez Boucle d’Or, texte et illustrations, Bayard jeunesse (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Graines de sable, texte et illustrations, Bayard jeunesse (2017).
- Abel, texte et illustrations, Bayard jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Blanche hait la nuit, texte et illustrations, Bayard jeunesse (2014), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Sibylle Delacroix sur son site.
Quand je crée… Camille Romanetto
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Camille Romanetto qui nous parle de ce moment où elle crée.
Mes journées de travail commencent entre 8h30 et 9h00. Je ferme la porte de chez moi et ouvre celle de mon atelier qui se situe au bas de ma rue. L’atelier est un luxe absolu. Je n’aurais jamais cru pouvoir expérimenter une telle qualité de concentration. C’est une toute petite pièce, qui ferme à clé (c’est très important que je puisse fermer la porte à clé) et qui donne sur l’immense jardin d’une crèche, c’est un comble pour quelqu’un qui fait des livres pour enfants ! Quand je relève la tête, je vois des petits enfants se rouler dans l’herbe un peu plus loin (heureusement, il y a un très bon double vitrage, et je ne suis jamais dérangée par le bruit).
J’ai un grand besoin de rituels et de routines pour m’aider à organiser le chaos sous mon crâne. Aussi mes journées à l’atelier commencent toutes de la même façon : j’ouvre la fenêtre pour aérer et écouter un peu les oiseaux, pendant ce temps je fais chauffer l’eau pour le thé. Quand le thé est prêt, je ferme la fenêtre, j’allume le diffuseur d’huiles essentielles pour m’empêcher de tomber malade, et je m’installe à mon bureau. Je regarde ce que j’ai fait la veille en savourant le thé. Il ne faut jamais, jamais allumer l’ordinateur. La matinée est dédiée à l’écriture ou au dessin.
Si j’en suis au stade de l’écriture ou du chemin de fer pour une nouvelle histoire, comme c’est le cas en ce moment, je reste dans le silence. Quand tout va bien je perds la notion du temps qui passe. Il y a quelque chose de magique là-dedans. Je ne comprends toujours pas pourquoi certains jours ça coule tout seul, et je me sens n’être rien moins que l’outil d’une force créatrice supérieure qui dirigerait mes mains ; et d’autres jours où on a beau s’acharner, rien ne sort (peut-être sont-ce les jours où le grand génie créateur a décidé de faire grève et de rester au lit sans prévenir son fidèle outil, donc moi)… Heureusement pour moi, il y a plus de jours fastes que de mauvais jours.
Pour être dans de bonnes conditions de travail je fais très attention à ce qui m’entoure, car je suis très vite parasitée par le moindre minuscule événement. Je n’écoute donc jamais les infos, très peu de musique car elle m’impacte trop fort, et j’essaie de ne me disputer avec personne !
Jusqu’à aujourd’hui, mes histoires sont toujours nées d’un dessin. Un personnage auquel je m’attache fort, que j’ai envie de dessiner encore et encore et pour lequel j’ai envie d’en savoir plus.
L’envie est créée et nourrie par le dessin.
Quant à savoir de quoi naît le dessin, ça c’est un mystère. Mais je crois qu’il découle le plus souvent d’une sensation, dans laquelle j’aurais envie de me lover encore un peu. Le dessin me permet aussi d’enrober mes angoisses d’une douceur bienfaisante.
Concernant l’aspect technique, en ce moment je travaille quasi exclusivement à l’aquarelle. Certaines couleurs me provoquent des émotions qui frôlent l’euphorie, je les mets partout. Je n’ai pas fait d’école d’art, ni pris de cours de dessin, mais j’observe beaucoup. J’ai commencé avec la peinture à l’huile quand j’avais 15 ans (je peignais exclusivement les gens d’après nature), et je crois que c’est cette pratique-là qui m’a le plus appris. Ça me manque d’ailleurs, je m’y remettrai dès que j’aurai un peu plus de place… Mais je m’égare.
L’après-midi de ma journée de travail est souvent un peu plus détendue, si je peins je peux écouter des podcasts, puis répondre à mes mails…
C’est comme ça cinq jours sur sept, et j’espère faire ça jusqu’à la fin de mes jours !
Camille Romanetto est autrice-illustratrice. Son premier album, Une sieste, vient d’être publié chez Little Urban.
Bibliographie :
- Une sieste, texte et illustrations, Little Urban (2023), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Camille Romanetto sur son compte Instagram.

Fille des années 80, amoureuse des livres depuis toujours. La légende raconte que ses parents chérirent le jour où elle sut lire, arrêtant ainsi de les réveiller à l’aube. Sa passion des livres, et plus particulièrement des livres jeunesse, est dévorante, et son envie de partage, débordante. Elle est sensible aux mots comme aux images, et adore barboter dans les librairies et les bibliothèques. Elle aime : les albums au petit goût vintage et les romans saisissants, les talentueux Rebecca Dautremer et Quentin Gréban, les jeunes pousses Fleur Oury et Florian Pigé, l’humour d’Edouard Manceau et de Mathieu Maudet, les mots de Malika Ferdjoukh et de Marie Desplechin.