Aujourd’hui, je vous propose d’en savoir plus sur Didier Lévy, qui vient de sortir son premier album en tant qu’auteur-illustrateur, Après le cirque, puis d’aller voir comment crée l’illustratrice Anne Laval.
L’interview du mercredi : Didier Lévy
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Parcours assez classique. Petits boulots après le bac et un peu de publicité comme concepteur-rédacteur avant un licenciement (pour insuffisance de résultats). Le premier livre pour enfants est né d’une collaboration avec Coralie Gallibour qui était graphiste dans l’agence dont je me suis fait virer. Ce livre, Albert le crâneur, publié par Nathan, m’a donné envie d’en faire d’autres. En parallèle à ce premier livre, j’ai aussi commencé un travail de journaliste dans la presse magazine où j’écrivais des articles psycho et autres micro-trottoirs. Puis je suis devenu auteur à plein temps.
Vous venez de sortir Après le cirque, dans lequel, pour la première fois, vous illustrez vous-même votre texte, comment est né ce projet ?
À force de fréquenter des illustrateurs, j’ai eu envie de m’y mettre. Je me suis inscrit dans un cours de dessin de la ville de Paris, puis j’ai fait une année de formation continue à l’École Nationale des Arts Décoratifs. Résultat : je ne suis vraiment pas le dessinateur que je rêvais d’être ; il y a plein de choses que je suis incapable de représenter, mais j’adore dessiner.
Qu’est-ce qui est arrivé en premier, le texte ou les illustrations ?
Il y a d’abord eu l’idée générale : mais que font donc les artistes de cirque de retour chez eux ? Puis les mots, puis les images, puis à nouveau les mots. Toute une tambouille.
Quelle technique d’illustration avez-vous utilisée ?
Je vous laisse deviner. Mais bon, c’est dur — même des professionnels de l’image n’ont pas trouvé.
Imaginez-vous illustrer dorénavant systématiquement vos textes ou avez-vous envie de continuer à travailler parfois avec des illustrateur·rices ?
J’ai illustré un livre, un seul livre. Ce serait fort présomptueux de ma part de me dire illustrateur — un métier qui combine toutes sortes de talents très spécifiques. Bref, je vais continuer à travailler avec de « vrais » illustrateurs mais j’aimerais bien faire d’autres livres avec mes images, oui.
Comment naissent vos histoires ?
Il n’y a pas vraiment de règle ni de méthode. Chaque histoire à sa genèse particulière. Il y a celles qu’on cherche, celles qui nous trouvent. Celles qui se révèlent être des fausses pistes. C’est toujours un voyage différent.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescent ?
Pas de livres pour enfants à la maison. Mes parents ne me lisaient pas d’histoires. Pas leur truc. Je me rappelle avoir lu Le Petit Prince à 6 ans… et n’y avoir rien compris. Je m’étais forcé à le terminer pour pouvoir me dire : « ça y est, j’ai lu un livre ! ». Par contre, ma mère achetait régulièrement Nous Deux et Intimité, je raffolais des romans-photos en noir et blanc à l’intérieur. C’était d’un sentimentalisme un peu bêta mais j’adorais ça. Après, je me suis passionné pour la littérature policière, le roman noir et la littérature en général.
Quelques mots sur les prochaines histoires que vous nous proposerez ?
Je peux juste vous dire qu’elles ont beaucoup de chance, car des illustratrices et illustrateurs que j’aime beaucoup s’en sont emparés.
P.S. : Les images de « Après le cirque » ont été réalisées en numérique.
Bibliographie sélective
- Avec Mona, album illustré par Alice Méteigner, Sarbacane (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Bonjour printemps, album illustré par Fleur Oury, Seuil jeunesse (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Le Train fantôme, album illustré par Pierre Vaquez, Sarbacane (2019), que nous avons chroniqué ici.
- La Dame aux oiseaux, album illustré par Liza Jordan, Sarbacane (2019), que nous avons chroniqué ici.
- La vie de Napoléon racontée par le chien Fortune et le cheval Vizir, album co-écrit avec Pierre Branda, illustré par Camille Chevrillon, Perrin/Gründ (2018), que nous avons chroniqué ici.
- La louve et l’anglais, album illustré par Tiziana Romanin, Sarbacane (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Aspergus et moi, album illustré par Pierre Vaquez, Sarbacane (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Le crocodile du boulevard de Belleville, album illustré par Aurélie Guillerey, Nathan (2017), que nous avons chroniqué ici.
- L’histoire extraordinaire d’Adam R., album illustré par Tiziana Romanin, Sarbacane (2016), que nous avons chroniqué ici.
- L’arbre lecteur, album illustré par Tiziana Romanin, Gallimard Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Berty le plus cool des monstres, album illustré par Delphine Renon, Grasset Jeunesse (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Mon frère des arbres, album illustré par Laurent Corvaisier, Oskar Éditeur (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Comment rallumer un dragon éteint, album illustré par Frédéric Benaglia, Sarbacane (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Popopito tissu de mensonges, album illustré par Jean-Baptiste Bourgois, Sarbacane (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Franz, Dora, la petite fille et sa poupée, album illustré par Tiziana Romanin, Sarbacane (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Poudre d’escampette au jardin des plantes, album illustré par Anne Hemstege, Sarbacane (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Tangapico, album illustré par Alexandra Huard, Sarbacane (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Comment devenir un prince charmant en 10 leçons, roman illustré par Gilles Rapaport, L’école des loisirs (1999), que nous avons chroniqué ici.
Quand je crée… Anne Laval
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour les gens qui ne sont pas créateur·trice·s eux-mêmes. Comment viennent les idées ? Et est-ce que les auteur·trice·s peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trice·s, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trice·s et/ou illustrateur·trice·s que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Anne Laval qui nous parle de quand elle crée.
J’ai un côté collectionneuse de pacotilles. Petite, j’aimais ramasser des coquillages sur la plage, des mousses argentées dans la forêt, des cailloux parfaitement ronds.
Aujourd’hui encore. Mais je collectionne aussi l’ombre d’un arbre sur le sol, les couleurs d’une photo, le paysage en noir et blanc d’une carte postale ancienne.
Je garde tout ça dans un coin de ma tête ou dans mes carnets. J’en ai toujours un en cours qui me sert à noter des phrases, des bouts d’images.
Les moments de rêveries ou de voyage sont souvent les plus propices à la cueillette. Le mouvement aussi.
C’est souvent dans le train ou en observant la foule à une terrasse de café que les idées et les images arrivent le plus facilement.
Ces moments me permettent d’être à la fois présente et absente, et en mouvement aussi. Un peu comme avant de s’endormir, mon esprit peut vagabonder plus librement.
J’ai une affection toute particulière pour ces croquis de coin de table, ces dessins jetés sans aucun enjeu, aucune pression, ces timbres-poste multicolores. Ce sont souvent les plus beaux et les plus intéressants.
Il y a dedans une énergie, une fraîcheur et un peu de flou qui les rendent souvent bien plus intéressants que les dessins définitifs… si définitifs
Une fois la phase de cueillette et de croquis bien avancée, lorsque je veux me lancer dans la réalisation de grandes images, je quitte les cafés et les trains pour mon atelier. Parfois je travaille chez moi quand j’ai besoin de ne pas être interrompue.
Il m’est arrivé de dessiner en résidence dans d’autres villes, d’autres ateliers, chez des amis, dans un jardin botanique. Cela ne me pose pas de problème mais dans ce cas, j’ai toujours besoin d’un petit temps pour m’approprier l’espace et m’installer. Disposer mon matériel, scotcher au mur quelques images que j’aime, trouver où aller m’asseoir au soleil pour boire mon café…
Lorsqu’il s’agit de se lancer dans la réalisation d’une grande image à partir d’un timbre-poste, il faut prendre le temps de se préparer à plonger.
C’est ce moment-là le plus important.
Je travaille à la peinture, aux crayons de couleur, avec des pastels ou du papier découpé. Ça dépend des projets, des envies, du moment.
Dans tous les cas, il faut choisir ses outils avec soin.
Il m’arrive d’être trop pressée, de me lancer trop vite, et de passer beaucoup trop de temps ensuite à essayer de rectifier le tir.
Ce sont souvent les images sur lesquelles j’ai passé le moins de temps qui sont les plus réussies.
Dans notre culture actuelle du labeur et de l’effort méritant cela peut être déroutant.
Pour réussir une image, il faut à la fois que j’aie bien réfléchi à ce que je veux faire, tout en laissant une part à l’inconnu, à l’accident. Être concentrée mais ne pas se mettre de pression. Se laisser croire que tout ça n’a pas d’importance, essayer de retrouver cette insouciance du croquis de coin de table… et imaginer qu’on a tout son temps.
Bref, ce n’est pas de la tarte.
Mais parfois, les planètes s’alignent et je suis surprise de voir une image naître du premier coup de pinceau.
Le reste du temps, la vie et le quotidien sont là et pas toujours compatibles avec les besoins de liberté et de concentration.
Alors il faut composer avec des journées très courtes, parfois il faut s’arracher à son dessin alors qu’on commence tout juste à « être dedans ».
Avec le temps j’ai appris à me mettre dans ma bulle, à replonger dans une image abandonnée la veille. J’ai aussi appris à reconnaître les mauvais moments, ceux où ce n’est même pas la peine d’essayer de faire quelque chose, parce que je n’y suis pas, parce que l’effort et la volonté n’ont rien à voir avec tout ça.
Je travaille souvent en écoutant des podcasts à la radio. Il m’arrive aussi d’écouter de la musique. Pour mon premier album perso Le nombril du monde, je me souviens d’avoir pas mal écouté Rodrigo et Gabriela, la B.O. de In the mood for love et les playlists de radio Reverberation. J’aime bien aussi le brouhaha de la rue. Mon atelier donne sur une place avec des jeux pour enfants.
Je partage mon atelier avec des illustrateurs, des journalistes, un architecte. Les pauses déjeuner et goûter permettent de se changer les idées, de parler d’autres choses et de revenir à son image avec un œil plus neuf.
Parfois je me dis qu’une vie ne suffira jamais pour faire grandir tous ces timbres postes, qu’il faudrait ne faire que ça.
Mais au final tout est mélangé, la vie, la création, le quotidien et l’imaginaire, c’est un vaste fouillis à l’intérieur duquel, j’essaye de trouver chaque jour, un nouvel équilibre.
Anne Laval est autrice et illustratrice.
Bibliographie sélective :
- La fille de l’autocar, illustration de poèmes de Simon Martin, Cheyne (2021).
- Une belle journée, texte et illustrations, Rouergue (2020).
- Le nombril du monde, texte et illustrations, Rouergue (2017), que nous avons chroniqué ici.
- La vie de château, illustration de textes de Pascal Parisot, Naive (2013), que nous avons chroniqué ici.
- La tête en vacances, illustration d’un texte de Vincent Cuvellier, Actes Sud Junior (2013).
- Comme si, illustration d’un texte de Christine Beigel, Sarbacane (2010).
- Angèle, ma Babayaga de Kerménéven, illustration d’un texte de Richard Couaillet, Actes Sud Junior (2009).
- Les pieds dans le plat, illustration de textes de Pascal Parisot, Milan (2008), que nous avons chroniqué ici.
- Marcel a des poux, illustration d’un texte de Christine Noyer, Actes Sud Junior (2008), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez Anne Laval sur son site, celui de Central Vapeur et celui de Rhubarbu.
Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !