Au programme de l’hebdo de cette semaine : quatre albums, un roman et une invitée, Cassandre Lambert.
En bref
Bien installées dans leur canapé, Petite Ourse et Grande Ourse lisent. Tout se passe bien, jusqu’à ce que le livre soit fini. C’est quelque chose qui ne plaît pas du tout à Petite Ourse. Pour elle, le livre doit être relu depuis le début, et puis c’est tout ! Pas vraiment ravie, Grande Ourse accepte en précisant qu’ensuite il faudra aller au lit, mais, une fois le livre terminé, voilà Petite Ourse qui saute sur le canapé en disant qu’elle n’est pas fatiguée…
Petite Ourse court si vite que c’en est impressionnant ! Chat, lui, est nul, il ne court pas vite du tout… Nul, vous avez dit ? Chat n’est vraiment pas d’accord ! Peut-être qu’il ne court pas aussi vite que Petite Ourse, mais il sait faire des galipettes ! Alors, qui est le·a meilleur·e ?
Mon avis Stina Wirsén est une illustratrice très connue en Suède. J’ai découvert son travail il y a une dizaine d’année au Junibacken, le musée dédié à la littérature jeunesse à Stockholm.. Sauf erreur de ma part, aucun de ses livres n’avait été adapté en français (seuls les dessins animés tirés de ses livres sont sortis en DVD, ce sont des merveilles que je vous recommande et dont j’avais parlé ici). Les éditions Cambourakis ont eu la très bonne idée de publier deux de ses livres (l’un date de 2003, l’autre de 2006) : Qui décide ? et Qui est le meilleur ? et je dois dire que c’est un régal. Alors, bien sûr, il y a son trait assez particulier, ses personnages aux formes étranges et coloriées de façon originale (pour aller vite, on pourrait dire par des gribouillis), mais il y a aussi le ton du texte. Stina Wirsén semble commenter ce que font ses personnages et interpelle les lecteur·rices. Peut-être est-ce parce que je connais surtout son travail à travers les adaptations, mais je trouve que le ton est très proche d’un dessin animé, dans sa façon justement de prendre à témoin les enfants. Il y a fort à parier que ces deux albums vont énormément plaire aux tout-petits. Plusieurs dizaines de livres de cette collection existent en Suède, espérons que Cambourakis en publie d’autres !
En bref
Ugo vient de naître. Il est heureux, tout contre sa mère qui le berce. Au fur et à mesure qu’il grandit, il développe une différence : des plumes lui poussent sur le corps. Alors, pour le protéger, parce qu’elle sait comment sont traitées les personnes déviant de la norme, sa mère les lui arrache. Chaque jour, quand Ugo rentre de l’école, c’est presque un rituel : sa mère lui enlève ses plumes. Des croûtes se forment. Ugo souffre. Quand cela prendra-t-il fin ?
Mon avis
Vous l’aurez peut-être compris, les plumes sont une image pour la variation d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Ugo est queer. Mais Prelude of a queen peut se lire pour d’autres types de variations : les plumes pourraient recouvrir de nombreuses réalités différentes. Ainsi, tout enfant est en capacité de se sentir proche d’Ugo. J’ai trouvé que les illustrations ajoutaient une couche de sensibilité supplémentaire à ce livre. Il s’en dégage une poésie singulière, qui bouleverse et répare. L’histoire d’Ugo est terrible (par certains aspects) mais porteuse d’espoir. Je pense qu’elle peut faire du bien à beaucoup de lecteur·rices.
À noter qu’il s’agit d’un album musical (des chansons sont accessibles par QR code) et que le texte est bilingue français-anglais.
En bref
Rose le jurerait : son voisin, monsieur Honoré, est un dinosaure. Pourtant, personne autour d’elle ne semble s’en rendre compte ! Rose décide alors de mener l’enquête, afin de révéler au monde entier son identité.
Mon avis C’est avec beaucoup de curiosité que je me suis laissée entraîner dans cet album plein de tendresse. La couverture, magnifiquement illustrée, à l’instar de tout l’album, par David Litchfield, m’avait déjà complètement séduite et j’avais hâte de découvrir ce que cette surprenante histoire me réservait. J’ai pris beaucoup de plaisir à suivre Rose dans son enquête. C’est une petite fille futée et déterminée, qui semble remarquer ce à quoi personne d’autre ne prête attention. Son aventure est passionnante à suivre et est accompagnée de magnifiques illustrations. Les pages sont toutes plus colorées les unes que les autres et se tournent sans même que l’on s’en rende compte. Mon voisin dinosaure est un très bel album, qui explore la différence et l’amitié avec beaucoup de douceur.
En bref
Abandonnée à la naissance pour la seule raison qu’elle est une fille, Atalante attire l’attention d’Artémis qui, touchée par l’injustice subie par ce bébé, décide d’en faire sa protégée. Si elle lui offre force, rapidité et détermination, sa sœur Aphrodite lui octroie beauté et grâce, tandis que leur frère Arès la veut indomptable et cruelle si nécessaire. Ainsi armée, nul doute qu’Atalante accomplira de grandes choses. Recueillie par une ourse, elle est ensuite élevée par deux chasseurs, Cléon et Azariel, qui vont lui transmettre l’amour de la nature et des récits mettant en scène héros et héroïnes, dieux et déesses de la Grèce. Mais c’est Chiron, le célèbre centaure, qui se charge du reste de son éducation en même temps que de celle d’Asclépios, tandis que la chasseresse rêve de rejoindre les Amazones. Mais bientôt vient l’heure de sa première quête, qui la mènera à retrouver un père ayant d’autres projets pour elle.
Mon avis Passionnée de mythologie, Cassandre Lambert s’attaque ici à une héroïne et chasseresse exceptionnelle, à l’indépendance farouche et à la détermination à toute épreuve, en s’inspirant de plusieurs versions. Alors que ce sont bien plus souvent les héros qui sont acclamés et qui voient leurs exploits chantés, c’est un plaisir de (re)découvrir Atalante, suivre son entraînement, sa première quête, ses rêves, les obstacles qui se dressent sur son chemin, son amitié avec Asclépios. On s’attache à cette jeune femme indomptée et indomptable, déterminée mais parfois en proie aux doutes, éprise de liberté, qui fait réfléchir sur la place des femmes. La naissance d’une guerrière est un premier tome engagé et passionnant à l’écriture fluide, parfait pour découvrir ce mythe.
L’invitée de la semaine
Aujourd’hui, nous recevons Cassandre Lambert qui a sorti il y a quelques mois le premier tome d’Atalante aux éditions Didier Jeunesse (voir la chronique ci-dessus) tandis que la suite paraîtra dans quelques semaines.
En fin d’année dernière est paru le premier tome d’Atalante, une réécriture engagée et passionnante d’un récit mythologique. Pouvez-vous nous raconter la naissance de ce projet et comment vous avez travaillé dessus ?
Je suis passionnée de mythologie depuis toute petite et j’avais pour ambition de me lancer dans une réécriture mythologique, mais j’attendais de trouver le personnage pour incarner cette histoire. Je ne connaissais pas du tout l’existence d’Atalante, cette héroïne chasseresse, et j’ai découvert son histoire tout à fait par hasard en écoutant un podcast. J’ai été surprise de voir qu’elle n’est que très peu connue alors même qu’elle est associée à des mythes célèbres (le sanglier de Calydon, la quête de la Toison d’or…). J’avais donc trouvé mon héroïne ! J’ai fait un gros travail de recherches pour connaître son histoire sur le bout des doigts. J’ai dû faire des choix et créer un fil rouge pour permettre une bonne articulation de tous ces mythes. Il y a également beaucoup de personnages secondaires connus (Jason, Asclépios, Héraclès…). Pour la première fois, je n’ai pas créé des personnages de toutes pièces, je me suis renseignée sur leur passé, leurs aspirations, leur hauts faits… tout en imaginant leur caractère et leur positionnement dans l’histoire d’Atalante.
Comment naissent vos histoires ?
Les livres, les séries, les films, les musiques, mon expérience personnelle… L’inspiration est partout. Il suffit d’être attentif aux détails, curieux, dans l’observation.
Savez-vous à l’avance comment vont se terminer vos romans ?
Non, pas du tout ! Je suis une autrice jardinière, je déteste suivre un plan, connaître à l’avance le déroulement de mon histoire… La plupart du temps, je m’interdis même de penser au dénouement pendant l’écriture, j’ai besoin d’être surprise en même temps que les personnages, de laisser libre cours au récit (souvent, les meilleurs rebondissements sont ceux qu’on ne peut pas prévoir).
Vous avez principalement écrit des duologies, préférez-vous écrire des séries ou des one-shots ?
J’adore le format duologie. Deux tomes, c’est assez large pour développer une intrigue complexe et creuser à fond la psychologie des personnes. J’apprécie moins les trilogies car, généralement, en tant que lectrice, je trouve que le deuxième tome fait souvent office de transition, de « ventre mou » de l’histoire. Il est difficile pour moi de développer suffisamment l’histoire que j’ai en tête sur un seul tome, mais ça m’est arrivé pour mon contemporain (Celle que je cherchais).
Qui sont vos premier·ères lecteur·rices ?
Ma maman, depuis toujours. Je ne dévoile rien à mon éditrice avant d’avoir eu le retour de ma mère !
Quelles étaient vos lectures d’enfant ? Certaines œuvres vous ont-elles inspirée ?
Je lisais beaucoup de bandes dessinées, notamment Les Légendaires de Patrick Sobral ou la saga historique Les Colombes du Roi-Soleil d’Anne-Marie Desplat-Duc. Plus tard, j’ai plongé dans la dystopie avec Hunger Games et Le Labyrinthe, ce sont vraiment les romans qui m’ont fait aimer la lecture. Depuis, je n’ai jamais arrêté.
Depuis quand écrivez-vous ?
Depuis l’école primaire, quand j’avais environ 10 ans.
Pensez-vous qu’il y a des thèmes qu’on ne peut pas aborder en littérature jeunesse ?
Je pense qu’on peut absolument tout aborder en littérature jeunesse, tant qu’on y met les formes.
Que lisez-vous en ce moment ? Un coup de cœur à partager ?
Mes lectures sont toujours très diversifiées. Récemment, j’ai adoré la romance contemporaine de Clara Hérault, L’effet boule de neige, ainsi que Lettres à Lou Andreas-Salomé de Rainer Maria Rilke.
Le second tome d’Atalante paraîtra bientôt, travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ?
J’y travaille, oui ! Rien de concret pour le moment, j’ai beaucoup d’idées et j’attends de laisser mûrir les différentes histoires dans ma tête avant de me lancer pleinement dans l’écriture.
Bibliographie :
- Série Atalante, romans, Didier Jeunesse (1 tome, 2024).
- Celle que je cherchais, roman, Didier Jeunesse (2023).
- Série L’Empire des femmes, romans, Didier Jeunesse (2 tomes, 2022-2023).
- Série L’Antidote, romans, Didier Jeunesse (2 tomes, 2021).

Un article signé d’une partie de l’équipe de La mare aux mots.