Pour la sixième année, cet été encore, on vous propose une rubrique que vous aimez beaucoup (et nous aussi !), Du berger à la bergère. Tous les mercredis jusqu’à la rentrée, ce sont des auteur·trices et des illustrateur·trices qui posent trois questions à une personne de leur choix (aujourd’hui c’est un peu plus !). Puis c’est à l’interviewé·e de poser trois questions à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Elsa Oriol et Marie Sellier, Gaël Aymon et Sandrine Beau, Isabelle Wlodarczyk et Aline Pallaro Lacroix, Bruno Pilorget et Véronique Massenot, Christine Roussey à Émilie Chazerand, Guillaume Nail et Laura Nsafou, cette semaine c’est au tour de Ramona Bădescu qui a choisi de poser ses questions à Lucie Félix.
Ramona Bădescu : De formation scientifique, comment es-tu arrivée à la littérature jeunesse ?
Lucie Félix : Quand j’étais petite, je rêvais d’être illustratrice, ou paléontologue. Je dessinais et bricolais beaucoup, mais les études scientifiques faisaient moins peur que je ne sais quel parcours artistique. Et puis le monde des arts semblait quasiment irréel depuis les montagnes du Jura où j’ai grandi. Mais au final, je suis vraiment contente d’avoir fait des études relativement poussées dans un domaine scientifique (Master systématique, évolution et paléontologie, oui j’y tenais !), d’avoir découvert la démarche rigoureuse qui mène à la possibilité de construire des connaissances. Le monde est une réalité fascinante, et pour moi la science et l’art sont des démarches d’exploration qui cohabitent joyeusement. Et même si arrivée à la fin de mon master, j’ai décidé de tenter ma chance en école d’art, car oui, c’est bien là que je pensais pouvoir être la plus heureuse, ces études de bio ont profondément orienté ma manière de penser. À l’École des Beaux-Arts d’Épinal, j’ai découvert Munari et Komagata, Paul Cox et Tana Hoban, et j’ai trouvé un langage subtil, qui met en scène des signes, des couleurs, des formes, dans des objets-livres dont la forme est conçue pour créer du sens. C’est tout d’abord ce lien sens-objet qui m’a donné envie d’explorer le livre. Et le domaine de la jeunesse est à la pointe dans cette démarche. Plus tard, au fil des rencontres avec les lecteurs, j’ai été très touchée par l’enfance, la vulnérabilité, et aussi l’extraordinaire curiosité des petits. J’ai tout de suite compris qu’en créant pour et auprès des enfants, je pourrai donner du sens à mon travail, sans me faire happer par cette impression « d’à quoi bon » qui me saisissait parfois en école d’art.
Ramona Bădescu : Chacun de tes livres est un bouleversement (pour moi en tout cas !)(merci Ramona, tu ne peux pas savoir combien ça me touche) empli de réflexion, de surprise, d’exploration, de questionnements et pourtant d’une apparente simplicité. Comment travailles-tu l’approche d’un livre ? Quels chemins empruntes-tu dans sa construction ?
Lucie Félix : C’est un chemin un peu sinueux, mais qui part toujours d’expérimentation autour d’un objet, et des manipulations, interactions qui peuvent en découler. Je pense toujours le livre comme un dispositif expérimental pour mes petits lecteurs, qui favorisera la curiosité, la surprise, l’envie de comprendre, d’apprendre. Je tâtonne beaucoup, lors d’atelier avec des enfants, d’échanges avec des personnes avec qui je collabore, comme mon éditrice Brigitte Morel, ou avec mon amie Jenny Calinon, graphiste, ou la metteuse en scène Mateja Bizjak, ou la conceptrice de livre pour les enfants aveugles Solène Négrerie… Je rejoins ici la question suivante, pour dire que les domaines de création où j’ai fait quelques détours m’ont apporté énormément. Surtout en ce que cela me permet d’aller toujours plus vers l’objet, sa fonction, et donc la manière dont il nous apostrophe en tant que sujet. Je lis et écoute pas mal de vulgarisation scientifique, en psychologie par exemple, et cela m’aide aussi beaucoup à cerner mon propos, à me demander vraiment : mais qu’as-tu à leur dire, à ces petits ? Car au fond, même si je m’acharne à investiguer la forme du livre, ce qui me semble toujours primordial, c’est bien le fond. La séduction des idées à travers la lecture, peut être très puissante. Ce que je cherche à mettre en action dans mes livres, c’est le contraire de la séduction : je veux que l’enfant cherche à comprendre comment fonctionne cet objet, qu’il soit vraiment dans une attitude d’explorateur. Si je prends l’exemple de Deux yeux ?, ce que j’adore, c’est observer les enfants qui voient l’étoile apparaître, et qui reviennent en arrière, pour chercher à comprendre ce qui s’est passé.
Donc je dirais que le chemin est un va-et-vient entre les essais en volume, les ateliers, les discussions et la documentation, et des heures devant un carnet à faire des schémas, ou à tripoter des formes sur un ordi… Je développe, puis j’élague à grands coups de hache. Rien des très sexy !
Ramona Bădescu : Quel est ton rapport aux tout petits ? Comment as-tu choisi de leur adresser ta littérature ?
Lucie Félix : Les tout premiers stades de la vie me fascinent complètement. Cela nous parle de notre humanité, de ce qui fait de nous des êtres curieux, capables de collaborer pour résoudre des problèmes, de faire des démonstrations mathématiques, de dire des poèmes, de jouer de la musique et de danser, de s’aimer… Je trouve ça fou. Les enfants développent en un temps record toutes sortes de capacités, mais en découvrant le travail en atelier avec les tout-petits, et en devenant mère moi-même (deux fils de 9 et 4 ans), j’ai réalisé à quel point leur situation dans le monde peut être inconfortable. Leur vision des choses est très parcellaire. Et la nouveauté peut surgir à tout instant : des mots, des situations, des gens, des endroits… Alors j’aime travailler à trouver une manière personnelle de leur amener le livre, adaptée à leur âge, à leurs capacités liées à leur développement, à leurs envies et problématiques du moment… Je cherche à créer une relation de confiance (ça c’est surtout pour les ateliers, mais dans mes livres il y a cette notion d’interaction entre eux et moi que je veux honnête), car le bien être est un super facteur d’apprentissage (je lis aussi pas mal de neurosciences donc tu retrouveras des thèmes dont on entend pas mal parler en ce moment). Je cherche à les surprendre, car cela attise la curiosité, et là c’est gagné ! Et, puisque le jeu est un magnifique mode de découverte pour les tout-petits, je cherche surtout à les faire jouer ! Tout cela m’a vraiment reconnectée avec ma propre enfance, et je trouve énormément d’inspiration dans mes souvenirs, puisque j’ai eu la chance de beaucoup beaucoup jouer quand j’étais petite.
Ramona Bădescu : Ta créativité prend aussi d’autres chemins. Par la petite fenêtre d’Instagram, on peut apercevoir des installations, des spectacles, des créations textiles… comment circules-tu entre ces différents espaces ?
Lucie Félix : C’est une question que je te poserai aussi ! La circulation est fluide ! Je suis vraiment à la recherche de projets divers et variés, déjà pour avoir le plaisir de collaborer avec des gens ! Et puis tout ce qui va vers l’espace, l’objet dans l’espace, m’attire beaucoup. J’aime voir des enfants qui s’emparent d’un objet, d’un endroit, qui l’explore et se l’approprie. Les livres pour moi ne sont pas du tout déconnectés du réel, les idées qui s’y déploient ont un impact sur le réel. Alors oui, tout ce qui relie le livre au monde concret m’intéresse : le corps, l’espace, le temps…
La scénographie du spectacle KuKu avec Mateja Bizjak, a été un immense bond en avant dans ma réflexion, puisqu’au-delà du livre créé pour l’occasion, j’ai approfondi la relation entre le livre et la corporalité. Le livre Le nid, qui sortira en mars prochain, découle complètement de cette collaboration.
Un beau travail d’équipe avec Les doigts qui rêvent, la chercheuse en psychologie Danyelle Valente, le concepteur Guillaume Bertrand et mon frère musicien Damien Félix, m’a aussi beaucoup appris. Cela m’a poussée plus loin vers l’objet, l’espace et l’interaction avec le livre. Il y a du son, des matières… C’était génial.
Ramona Bădescu : Et comment circules-tu, toi, en Europe, d’ailleurs, puisque je crois bien que tu vis en Angleterre actuellement ? Tes livres y trouvent-ils une place ? Est-ce que ce dépaysement a modifié des choses dans ton approche de la littérature jeunesse ?
Lucie Félix : Comme toi si j’ai bien compris, j’aime beaucoup me dépayser ! J’ai eu la chance de pouvoir étudier un an à Hong Kong en maîtrise de bio. Ce que ce séjour a mis en mouvement chez moi est immense, et a complètement changé ma manière de me considérer. Apprendre l’anglais, une langue que j’adore, est toujours un plaisir. Je ne demande qu’à dérouiller mon espagnol ! J’ai découvert assez tard le bonheur de voir le monde à travers une langue nouvelle, et je ne m’en lasse pas.
Ici, Prendre et donner a été traduit par Old Barn Books, et j’ai obtenu un beau prix avec ce livre, le British book design and production award. Mais à présent, je vis mes dernières soirées en Angleterre avant notre retour en France, confinée avec mon petit dont l’école a fermé quand un cas de COVID a été signalé. Nous avons passé plus de 6 mois en confinement sur 2 ans, et dans l’Angleterre post-Brexit, je dirais que les conditions n’étaient pas idéales. Moi qui ai été élevée dans l’idée de « l’Europe pour la paix », j’ai assez mal vécu ce vote et une certaine xénophobie ambiante.
Néanmoins, j’ai beaucoup appris, et de la manière qui me plaît, c’est-à-dire en vivant ailleurs, en y passant du temps, en y travaillant, en y emmenant mes enfants à l’école, chez le docteur… et surtout en m’y faisant des amis ! Donc les conditions politiques n’étaient pas au beau fixe, mais c’est la vie ! Mes amis anglais me manqueront beaucoup, et mes enfants sont eux-mêmes devenus très british ! J’en suis ravie, n’en déplaise aux racistes de tous bords ! Nous avons les nôtres en France, et je rentre plus européenne que jamais, plus convaincue de l’importance d’agir, à mon humble niveau, pour que les enfants aient accès à tout ce qui rend la vie intéressante, malgré tout : l’art, la science, la connaissance, le respect…
Ramona Bădescu : Tu sembles aussi engagée du côté de l’enfance, d’associations qui prennent soin de certaines blessures faites aux enfants. Est-ce que c’est quelque chose qui trouve une place, un écho dans l’espace du livre ?
Lucie Félix : Comme je le disais juste avant, je suis très touchée par les enfants, leur vulnérabilité, leur volonté de bien faire, de satisfaire les adultes, d’appartenir à leur famille, à la société. Il est donc tellement facile pour des manipulateurs de s’emparer d’eux. Du coup, oui je me documente sur le sujet de la manipulation mentale, de toutes les formes que cela peut prendre, tous les domaines de la vie dans lesquels cela peut arriver, à nos enfants ou à nous-mêmes. Cela va de la spiritualité au développement personnel, de l’engagement politique ou social au sport, de l’école à la santé… Les enfants et les ados sont toujours des cibles idéales. Les recruteurs de Daech, les proxénètes et autres pédocriminels, les gourous du new age, ou les simples narcissiques du quotidien, tous ciblent les jeunes de manière impitoyable.
Donc éduquer les enfants à l’idée que tout le monde n’est pas digne de confiance, que ce que l’on entend même dit avec aplomb n’est pas forcément vrai, me semble indispensable. À travers mon métier, je souhaite tout simplement aider les enfants à se construire une représentation du monde qui soit la plus juste possible, pour leur permettre le plus de liberté possible. J’ai une vision de la liberté d’esprit qui repose beaucoup sur la connaissance. C’est peut-être un peu simpliste, mais je me dis que plus notre connaissance du monde est bonne, moins on sera susceptible de se faire avoir. Non, la science n’a pas prouvé que certaines races sont supérieures aux autres, elle a prouvé que cette question n’a pas de sens. Non, la science n’a pas prouvé que les femmes sont émotionnelles et les hommes plutôt cérébraux, ou que les enfants ont une sexualité au même titre que les adultes. Non, il n’est pas prouvé que notre pensée crée notre réalité, ou que les reptiliens existent et contrôlent le monde, aidé par les juifs et les je-ne-sais-quoi. La réalité est importante, la connaître est un atout, pour pouvoir construire la vie qui nous convient, et interagir avec les autres dans le respect. Mes livres, humblement, se situent dans ce vaste objectif ! Je souhaite mettre en scène un petit lecteur acteur, explorateur, expérimentateur de sa lecture, avec l’idée de favoriser cette démarche dans la vie en général !
Sinon, je ne travaille pas avec une association en particulier, mes propos sont le reflet de mon propre cheminement dans cette réflexion autour de l’enfance et l’esprit critique, et n’engagent que moi. Quand je cite des associations, c’est surtout pour que leurs noms circulent, ou pour citer mes sources.
Lucie Félix : À quoi jouais-tu enfant ??
Ramona Bădescu : J’ai eu la chance d’arriver au monde dans une grande maison, avec un grand jardin, qui donnait sur une rue remplie d’enfants. C’était dans un petit pays au temps d’une grande dictature. Le temps n’était pas un luxe alors, d’autres choses l’étaient. Nous, les enfants, n’allions à l’école que le matin, ce qui laissait pas mal d’espace aux inventions et jeux divers l’après-midi. Nous étions très libres. Je crois que j’ai beaucoup zigzagué entre des jeux solitaires, au jardin (tresser des feuilles, découper des tissus invisibles avec mes ciseaux invisibles, préparer des festins aux lapins, inventer des chansons éphémères, dessiner à la craie dans l’allée et au crayon dans des cahiers, creuser le sol, d’où ressortaient parfois des trésors de l’enfance de ma mère…) et puis des jeux avec les autres, dans la rue (trap trap, ballon prisonnier, la corde à sauter…). On explorait beaucoup aussi un terrain vague au coin de la rue et les abords de la voie ferrée, et parfois nos histoires finissaient en petite pièce de théâtre dans le garage. En tout cas, la parole, sa capacité à ouvrir de l’invisible dans le visible et de le partager avec les autres, y a joué une place centrale.
Lucie Félix : Je sais que tu réalises des documentaires, et que en même temps tu as créé un petit éléphant rose extra… J’aimerais savoir ce qu’est le réel, la notion de réalité, pour toi ?
Ramona Bădescu : Hmmm… pas facile de répondre à ça. Je pourrais peut-être dire que le réel est un appui, quelque chose de tangible et partageable. Je ne crois pas à la réalité. Elle est dictatoriale et casse sec les sensibilités singulières des êtres, leurs perceptions du monde. On oppose (on m’a souvent opposé) la réalité comme une vérité unique, celle d’un pan de présent saisissable. Mais qui saisit quoi ? Je refuse cette hiérarchie entre ceux qui détiennent un supposé savoir et les autres. Je peux peut-être accepter la réalité comme une vaste forêt ennuitée que nous autres (animaux, végétaux, humains, minéraux, insectes…) éclairons de nos présences fugaces.
C’est ça que j’essaie peut-être de faire, de manière différente dans la forme, mais pas du tout dans le fond, quand je fais un film sur un paysage disparu, sur mon grand-père horloger, ou un livre avec un éléphant rose qui se pose des questions. Ce sont différentes formes de réel, en mouvement, qui m’habitent et que je souhaite partager.
Lucie Félix : Tu as traduit Judith Kerr, est-ce que l’anglais est une langue que tu aimes, qui t’inspire ? Je comprends que tu dois parler au moins 3 langues, comment jongles-tu entre toutes ? Que représentent les États-Unis pour toi ? Je comprends que tu y voyages souvent… Et ton voyage en Égypte ? Comment connectes-tu tous ces points sur la carte ?
Ramona Bădescu : La carte du monde est vaste pour quelqu’un comme moi, qui voyage peu et au ralenti. Mes explorations du monde sont toutes liées au hasard, au bel hasard qui naît des rencontres. C’est à ça que j’essaie d’être attentive. C’est le grand hasard auquel nous sommes tous soumis en arrivant au monde qui m’a distribué la langue roumaine comme langue de naissance. C’est une chance, car cette langue-là aménage par exemple des mots pour les enfants (scaun -scaunel, masa – masuta…) tout ou presque y a un petit diminutif, pour rendre la langue plus accueillante (et le réel aussi sans doute). Ensuite il y a eu la chute dans le français, qui m’a laissée sans mots à 10 ans, presqu’une année entière. Le français, c’est ma plus grande conquête, c’était pas un cadeau, surtout quand on s’appelle Ramona, qu’on vient de Roumanie et qu’on roule les R. C’est la langue que j’ai dû apprendre, mot à mot, à la petite cuiller, alors que je n’en avais franchement plus l’âge, mais que du coup j’ai savouré de manière si particulière qu’elle est devenue ma langue majeure, ma langue de pensée, d’écriture et de vie. Le passage par l’école m’a fait passer par le tamis de l’allemand, de l’anglais et du grec ancien. Je me dirigeais tranquillement vers l’italien (qui est un mélange délicieux de français et de roumain) quand l’anglais a redéboulé dans ma vie sans prévenir. C’est l’amour qui m’a fait mettre le clignotant vers les États-Unis, où j’ai séjourné irrégulièrement pendant 4 ans. Et ce sont mes éditrices, Béatrice Vincent et Camille Vasseur, qui ont rebondi sur mes messages de longues absences, en me proposant de traduire un album de Judith Kerr (que je croisais dans toutes les maisons où il y avait des enfants aux États-Unis) The tiger who came to tea — Le tigre qui s’invita pour le thé —. Je ne me sentais pas spécialement préparée… mais je les ai écoutées, et c’est une immense joie pour moi, aujourd’hui de passer des livres pour les enfants d’une rive à l’autre.
Judith Kerr était alors encore en vie, et j’étais bouleversée par la petite fille à l’intérieur de la vieille dame, qui avait connu, comme moi, la migration. Dans des circonstances historiques différentes mais liées à l’oppression (nazie dans son cas, communiste dans le mien)
Pour ce qui est de l’Égypte (je ne parle ni ne lis l’arabe) c’est un tout autre hasard sorti des livres qui m’y a amenée. Ce hasard-là est intimement lié à la collaboration avec la maison d’édition Le port a jauni qui publie des livres bilingues français-arabe, dont mon livre Par hasard, pour lequel j’ai été invitée au Salon du livre du Caire. La rencontre avec l’équipe du Bureau du Livre de L’IFE a débouché sur une invitation en résidence de création en duo avec Benoît Guillaume. Nous sommes ainsi partis pour 3 semaines au Caire et à Alexandrie et dans l’oasis du Fayoum. Ces 3 semaines se sont prolongées en 5, car c’était le deuxième confinement, ce qui nous a amenés jusqu’à Luxor. Nous sommes maintenant en train de préparer ce livre.
Lucie Félix : Je te retourne telle quelle la question des enfants, et de comment tu leur adresses ton travail. C’est une question qui me semble fondamentale.
Ramona Bădescu : Parce que j’ai eu la chance d’avoir des mains accueillantes, des yeux attentifs et des oreilles bienveillantes en arrivant au monde mais aussi parce que le toboggan de la vie n’est pas de tout repos, j’ai envie de dire aux enfants, à tous les enfants « Bienvenue » et aussi « ça va aller ! », « regarde, viens donc dans ce monde imparfait et malmené, on a besoin de toi pour avancer ! ». J’aime les livres qui disent ça aux enfants, et j’essaie de faire des livres pour ouvrir pour eux d’autres mondes, d’autres tempos, que celui qui leur est connu ou familier. Un livre où ils ont une place, leur place, et du temps, leur temps, pour assembler du texte et de l’image que nous leur mettons à disposition avec les illustratrices et illustrateurs avec qui je tisse le livre.
Je ne fais pas des livres qui servent à apprendre, mais pour éprouver sensiblement des questions concrètes ou abstraites avec eux. Je ne fais pas non plus de livres divertissants, car ça me fait toujours violence de voir des enfants abandonnés à eux-mêmes dans un monde d’illusions (personne ne raconte mieux ce sentiment que Carlo Collodi dans Pinocchio — le Pays des jouets —)
Mais il se peut que dans ces livres on apprenne des choses que je n’avais pas prévu qu’on apprenne et qu’on rit, on sourit, ou qu’on soit un peu dubitatif devant certains assemblages.
Lucie Félix : Je sais que tu donnes des ateliers d’écriture. Comment s’articulent ton travail d’écriture propre et tes ateliers ? Le théâtre est-il un élément fort de ton travail avec les groupes, enfants ou adultes ?
Ramona Bădescu : Il m’arrive, oui, de donner des ateliers. J’envisage ça comme un petit laboratoire, où on part à l’aventure, on expérimente. Quel que soit l’âge. Je crée des dispositifs pour ça, en lien avec ce que je suis en train de tisser de mon côté, ou un livre déjà publié. Là, c’est moi qui guide, je suis là pour eux, pour que chacun trouve son chemin avec mes propositions… parfois je fais un peu le clown, ou j’ai l’air de rien faire et on me demande, « et toi, tu n’écris pas ? », je réponds « non, moi je veille ». Je veille à ce que chacune et chacun trouve sa place, son rythme, qu’on ne perde personne en route. Je ne sais pas si je réussis toujours… mais j’essaie.
Bibliographie sélective de Ramona Bădescu :
- Il faudra, album illustré par Loren Capelli, La partie (à paraître le 2 septembre).
- Bus 83, poèmes illustrés par Benoît Guillaume, Le port a jauni (2020).
- Par hasard, poèmes illustrés par Benoît Guillaume, Le port a jauni (2020).
- Série Pomelo, albums illustrés par Benjamin Chaud, Albin Michel (2002-2020).
- Jours colorés, album illustré par Amélie Jackowski, Albin Michel Jeunesse (2018).
- Série Gros-Lapin, albums illustrés par Delphine Durand, Hélium (2007-2017).
- L’Amour ?, album illustré par Benjamin Chaud, Cambourakis (2016).
- Mes idées folles, album illustré par Walid Taher, Le port a jauni (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Moi, canard, roman illustré par Fanny Dreyer, Cambourakis (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Tiens !, texte et illustrations, Les Grandes Personnes (2015).
- À Paris, album illustré par Joëlle Jolivet, Les Grandes Personnes (2014).
- Petit fantôme, album illustré par Chiaki Miyamoto, Gallimard Jeunesse (2007).
Son site : https://www.ramona-badescu.com.
Bibliographie de Lucie Félix :
- Hariki, texte et illustrations, Les grandes personnes (2019).
- Coucou, texte et illustrations, Les grandes personnes (2018).
- Le bûcheron, le roi et la fusée, texte et illustrations, Les grandes personnes (2016).
- La promenade de Petit Bonhomme, texte et illustrations, Les grandes personnes (2015).
- Prendre et donner, texte et illustrations, Les grandes personnes (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Après l’été, texte et illustrations, Les grandes personnes (2013).
- 2 yeux ?, texte et illustrations, Les grandes personnes (2012).
Son site : https://www.luciefelix.fr.

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !