Aujourd’hui, je reçois Nicolas Lacombe qui a illustré Awa, l’écho du désert, sorti en début d’année aux éditions Cipango, pour l’interview, puis Thomas Scotto invité de notre Quand je crée… Tous deux seront réunis le 12 décembre prochain pour la sortie de Tout ce qui conte, aux éditions Balivernes.
L’interview du mercredi : Nicolas Lacombe
Quel a été votre parcours ?
J’ai vécu mon enfance à Rodez en Aveyron et je suis rentré à l’école des Beaux-arts de Toulouse en 1997. J’ai ensuite poursuivi mes études jusqu’en licence d’arts plastiques à l’université du Mirail/Toulouse-Jean Jaurès. Par la suite, j’ai bifurqué professionnellement dans l’animation socio-culturelle et les interventions artistiques, notamment par le biais du service culturel de la mairie de Toulouse. En parallèle, j’ai développé mes premiers projets d’illustration jeunesse. Le fait d’avoir côtoyé la petite enfance au quotidien m’a permis de m’intéresser plus spécifiquement à cette littérature et par conséquent de mieux cerner les enjeux du métier d’illustrateur. C’est dans cette dynamique que j’ai participé vers 2008 aux « Rendez-vous Tremplin » du SLPJ à Montreuil, me permettant un premier contact auprès d’éditeurs et me familiarisant ainsi avec le monde de l’édition jeunesse.
Comment travaillez-vous ? Quelle est votre technique ?
Depuis quinze ans environ, j’ai développé une technique personnelle à partir de ruban adhésif. Avec ce ruban, je prélève l’encre de divers papiers imprimés (papier cadeau, magazines, catalogue, etc.). À la manière de l’épilation, par pression, en tamponnant et grattant, je dessine des formes pour construire progressivement mes dessins. Au final, l’image n’est figurée que par des couches successives de scotchs chargés de pigments colorés. Le procédé agit comme un aimant qui capte uniquement l’encre sans déchirer le papier. En ce sens, ce n’est pas du collage, le rendu fait nettement plus référence à la peinture dite « calligraphique », l’estampe traditionnelle asiatique, la sérigraphie, le monotype et la linogravure.
Vos illustrations sont superbes, complètement atypiques, cela va au-delà de l’illustration jeunesse. Est-ce un avantage ou un handicap vis-à-vis des éditeurs ?
En effet, le rendu graphique singulier de mes illustrations a retenu l’attention assez tôt. Je me souviens notamment en 2011 de ma première rencontre à Montreuil, sur le stand des éditions MeMo, avec Christine Morault elle-même, réputée exigeante et directe. Contre toute attente, elle a sincèrement apprécié mon travail et m’a complimenté. En terminant l’entretien, elle m’a adressé d’un ton serein et assuré : « Repassez me voir prochainement avec votre livre ! » Cette phrase prémonitoire m’a littéralement stupéfié. Le futur lui a donné raison, quelques mois plus tard, je publiais mon tout premier ouvrage aux éditions Balivernes. Pour la remercier, je suis allé lui offrir fièrement un exemplaire dédicacé lors du SLPJ suivant. Cette anecdote est révélatrice de l’effet qu’a pu produire, durant un temps, la découverte de mon travail auprès d’illustrateurs, d’éditeurs et de directeurs artistiques. Cependant l’euphorie passée, il a fallu persévérer pour confirmer l’essai. C’est à ce stade que l’aspect novateur de ma technique m’a desservi. Malgré leur qualité, de belles illustrations ne suffisent pas. Un livre jeunesse raconte une histoire et l’image doit donc se mettre au service du propos narratif. Cela m’a donc pris quelques années pour m’approprier ce « cahier des charges ». Le défi étant d’harmoniser le rendu du dessin-scotch avec les différentes lignes éditoriales de chaque éditeur. Ayant pris conscience de cet aspect dans mes dessins, j’ai demandé conseil auprès de Michel Lagarde, qui m’a encouragé à développer, en parallèle de mes livres, un univers qui ne soit pas exclusivement tourné vers l’édition jeunesse. Cela a pris du temps mais aujourd’hui mon travail commence à séduire des marques dans le domaine du luxe, de la mode, du sport, etc. Autant de domaines variés que j’appréhende progressivement. En prenant le parti de m’ouvrir sur différents horizons, j’ai pu exploiter l’originalité de mon rendu dans de nouveaux domaines : par exemple, en 2017, avec la réalisation d’une scénographie pour le C.N.E.S, un projet franco-japonais MISSION « HAYABUSA-2/M.A.S.C.O.T ».
Parlez-nous de votre album paru dernièrement aux éditions Cipango, Awa l’écho du désert.
L’histoire d’Awa est celle d’une petite fille née dans une famille de nomades du désert, Awa est muette et exclue par sa communauté. Elle est ensuite élevée par un vieillard bienveillant qui lui offre un tambour. Il lui conte les histoires anciennes de leur peuple et lui apprend à écouter l’écho du désert Awa entre en relation avec le monde qui l’entoure et crée son propre langage. C’est alors qu’arrive au galop un Cheval de légende porteur de Tempête, « celui qu’on ne peut arrêter », une fureur dévastatrice venue du fond du désert. Awa découvre qu’avec son talent expressif, elle seule peut trouver la force de dépasser la terreur inspirée par la bête. Elle parvient in fine à détourner la menace destructrice de son clan pour l’apaiser et l’orienter vers d’autres horizons. Ce projet est l’aboutissement d’une longue collaboration avec l’autrice-conteuse Céline Verdier et le violoncelliste Auguste Harlé. Sa genèse débute en 2012 à l’occasion de la Fête du livre de Lautrec. La rencontre avec Céline a motivé l’envie commune d’imaginer un conte d’inspiration africaine. Après diverses versions de manuscrits envoyés, le projet restait dans l’impasse. Mais en 2017, nous avons saisi l’opportunité d’une candidature au Festival Jeunesse du livre de St-Orens pour présenter une version spectacle musical illustré, avec la participation d’Auguste Harlé, violoncelliste. Le projet n’a pas été retenu mais nous a réunis dans une nouvelle aventure, celle du spectacle vivant. Cette expérience a d’abord pris la forme de multiples résidences au cours de l’année 2018. C’est sur l’année suivante que le spectacle a pris son envol avec deux évènements notables que sont le Festival BD de Colomiers et Lettres d’automne à Montauban. L’année Covid marqua l’arrêt brutal du projet spectacle, nous laissant en parallèle le temps de retravailler le projet livre. Fin 2021, lauréat, j’ai bénéficié du soutien de la Région Occitanie pour débuter la production d’une maquette du livre, renforcé par une bourse de résidence à Digne-Les-Bains début 2022. C’est ainsi que lors du Salon de Montreuil en fin d’année, le conte a séduit Pascale Fontaine des éditions Cipango. Le livre est paru fin mars 2023 en sélection rentrée littéraire printemps Occitanie et présenté en exclusivité au Festival Jeunesse de la Vallée de Chamonix-Mont-Blanc. Neuf ans auront donc été nécessaires pour l’avènement de ce conte. Cet ouvrage est un de mes plus aboutis, en comptant les versions préparatoires, j’ai mis plus d’un an pour le produire. J’avais notamment une série de planches présentées au concours d’illustration de Bologne (BCBF) en 2021. Au vu des retours dithyrambiques et unanimes sur le rendu final, je suis satisfait. C’est l’ouvrage que j’espérais faire depuis longtemps : développer un univers narratif épuré qui invite le lecteur à se plonger dans un récit. J’espère qu’après toutes ces années d’écoute du secteur professionnel, j’ai pu mettre en pratique une certaine idée des valeurs traditionnelles de la littérature jeunesse tout en les portant au travers d’images fortes et modernes. Je suis enfin très heureux que le livre ait été sélectionné dans la revue Les Arts Dessinés pour son caractère esthétique et innovant.
À présent, parlez-nous de votre album à paraître aux éditions Balivernes, Tout ce qui conte, avec Thomas Scotto.
C’est mon second ouvrage jeunesse avec Thomas. Un conte imagier, qui a lui aussi un parcours singulier. Originellement, son titre était Aux filles du conte. Un temps pressenti pour les éditions À pas de loups courant 2017, le texte et les images ont finalement été séparés pour donner naissance à deux nouveaux récits. Le premier du même titre paru au printemps 2022 aux Éditions du Pourquoi Pas ? (illustré par Frédérique Bertrand) et le second qui devait paraître à l’automne de la même année Tout ce qui conte chez Balivernes, comporte mes images illustrant une nouvelle histoire de Thomas. Malheureusement, suite à la crise en Ukraine, la hausse des prix du papier et donc consécutivement la fabrication des livres, Pierre Crooks, notre éditeur, décida par prudence, de reporter sa sortie à l’automne 2023. Ce conte raconte l’histoire des contes, au travers de la symbolique de leurs objets. Dans cet imagier on écoute la voix du narrateur… « Imelda, elle gardait un trésor que beaucoup ignorait, des objets fabuleux, la mission d’une vie. Et ce matin, en son échoppe, quelque chose dérangeait son regard. Elle ne savait pas quoi, elle ne savait pas où, elle ne savait pas bien… Quand soudain, elle réalisa que tout était à sa place et c’était cela qui navrait Imelda ! Les objets sur ses étagères venaient du fond des pages, de folles fantaisies, de forêts, de châteaux ou d’amours, tous à la fois terribles, superbes et merveilleux. Mais s’ils étaient tous là, c’est que plus personne ne lisait ces mots magiques : “Il était une fois…”, qui seuls leur permettaient de rejoindre leurs histoires intrépides. Si tous les objets étaient agencés là, c’est que leurs histoires ne vivaient pas… » (T.S) C’est un livre de soixante-huit pages pensé comme un grimoire, un ouvrage hommage aux cabinets de curiosités, aux collectionneurs en tout genre. Il se savoure au creux de son lit, sous les draps, muni d’une petite lampe torche, dans la quiétude hivernale. Son rendu traditionnel permet d’apprécier mes dessins, qui sont autant de clés vers les portes d’autres contes passionnants. Ce livre est une invitation à l’imaginaire, à la découverte. J’espère qu’il donnera le goût de la lecture à de nombreux jeunes.
Quels sont les illustrateurs qui vous inspirent, qui ont marqué votre enfance et adolescence ?
Plusieurs artistes m’ont transmis l’amour du dessin. Très jeune, Tomi Ungerer, Leo Lionni et Roger Hargreaves, puis Franquin à l’adolescence, sur sa période 1960-1970, ainsi que Sempé pour sa poésie. Plus tard, au lycée, j’ai admiré Bruce Timm, légende ultime du mystère, des courbes et des contrastes. Professionnellement, j’ai eu la chance de croiser plusieurs âmes bienveillantes, qui ont jalonné mon parcours. Je commencerai par citer Sara qui nous a malheureusement quittés récemment, sa pratique m’a aidé à comprendre beaucoup sur le sens de la narration de l’image, au même titre qu’Antoine Guilloppé qui m’a accompagné et soutenu à mes débuts. Son regard critique et sincère m’a énormément apporté. Au fil du temps, j’ai également construit une belle complicité auprès de Régis Lejonc, un artiste à la quiétude et la joie de vivre contagieuses. Son univers sans cesse renouvelé m’a donné le goût de l’exigence du dessin savoureux et de la notion de plaisir dans le travail. Beaucoup d’autres artistes me stimulent au quotidien, j’apprécie la justesse d’Alessandro Sanna, l’intensité du trait de Nicolas Némiri et la puissance de Jeffrey Alan Love, pour ne citer qu’eux. Dans un autre registre, les estampes traditionnelles chinoises du XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, notamment celles des maîtres Qi Baishi et Zhu Da, m’influencent et me permettent de progresser. En m’ouvrant à la culture de la calligraphie. En ce sens, je suis un grand admirateur de l’artiste-illustratrice Aurore de la Morinerie, qui a eu la grande générosité de m’aider temporairement à mieux saisir les nuances de l’illustration de mode, m’apportant par ses conseils et regards avisés un éclairage neuf sur mes possibilités. Enfin, dans l’univers jeunesse je suis un fervent collectionneur des ouvrages de Jon Klassen, de Scott Campbell ainsi que de Matthew Forsythe et depuis toujours un immense fan du Studio Ghibli d’Hayao Miyazaki & Isao Takahata.
Quels sont vos projets ?
L’actualité proche concerne la préparation d’une tournée de la lecture-spectacle d’Awa, la première aura lieu au Salon de Montreuil début décembre 2023, ainsi que l’accompagnement promotionnel de la sortie de mon prochain livre Tout ce qui conte. Je viens également de livrer mon tout premier ouvrage en solitaire, un album sans parole pour les plus petits, prévu pour une sortie en septembre 2024 aux éditions Cipango. Actuellement, j’illustre une nouvelle histoire sur le Japon, écrite par Cécile Benoist, un album à paraître au printemps prochain chez Balivernes. En parallèle j’entame le scénario et le script d’un projet de roman graphique personnel et fictionnel.
Bibliographie :
- Tout ce qui conte, illustration d’un texte de Thomas Scotto, Balivernes (à paraître le 12 décembre).
- Awa, l’écho du désert, illustration d’un texte de Céline Verdier, Cipango (2023)
- La fleur qui te ressemble, illustration d’un texte de Thomas Scotto, L’élan vert (2019), que nous avons chroniqué ici
- Les mascarades d’Arlequin, illustration d’un texte de Pierre Crooks, Balivernes (2018).
- La maman des têtards, L’élan vert (2017).
- Le père Noël des escargots, illustration d’un texte de Pierre Crooks, Balivernes (2015).
- Plume le lutin, illustration d’un texte de Laurence Puidebois, Balivernes (2014).
- ABC animaux insolites, illustration d’un texte de Laurence Puidebois, Balivernes (2013).
- Ploc Ploc la grenouille aux yeux d’or, illustration d’un texte de Laurence Puidebois, Balivernes (2013).
- Nina Têtemba, illustration d’un texte de Laurence Puidebois, Balivernes (2012).
Retrouvez Nicolas Lacombe sur son site et sur Instagram
Quand je crée… Thomas Scotto
Le processus de création est quelque chose d’étrange pour celles et ceux qui ne sont pas créateur·trices eux·elles-mêmes. Comment viennent les idées ? Est-ce que les auteur·trices peuvent écrire dans le métro ? Les illustrateur·trices, dessiner dans leur salon devant la télé ? Peut-on créer avec des enfants qui courent à côté ? Faut-il de la musique ou du silence complet ? Régulièrement, nous demandons à des auteur·trices et/ou illustrateur·trices que nous aimons de nous parler de comment et où ils·elles créent. Cette semaine, c’est Thomas Scotto qui nous parle de quand il crée.
Pour bien commencer, je dois forcément dire cette petite vérité : le moment même de l’écriture n’est pas forcément ce que j’aime le plus.
Le début, le tout début, oui !
Quand l’idée, la question, la première phrase déboule sans que je n’aie rien espéré.
Quand je ne suis pas forcément installé pour l’acte d’écrire.
J’aime cet instant parce qu’il ne ressemble en rien à du « travail » !
C’est encore la possibilité de l’innocence, de la surprise.
Pendant longtemps, je n’ai pas verbalisé que je créais.
Véritablement, ce sont les enfants, les ados, les lectrices et lecteurs rencontré·es qui m’ont fait prendre conscience que, oui, les mots étaient ce que j’avais trouvé de mieux pour m’exprimer entièrement. Frontalement ou en me cachant, ils étaient à la fois mes remparts, mes refuges et mes étendards.
Le premier texte a été publié il y a vingt-cinq ans… pourtant, aujourd’hui encore tout est là, toujours, à chaque recommencement d’histoire :
Réfléchir…
Modeler…
Apprivoiser…
Croiser les premiers regards…
Se reconnaître…
Inventer…
C’est devenu le début de 7 jours et après, aux Éditions Gautier-Languereau. Les illustrations d’Annelore Parot m’ont permis d’expliquer la naissance des mots :
« Souvent, je garde les yeux serrés.
Fermés très fort.
Une feuille de papier sous mes doigts,
du vide tout autour et des milliers d’idées
qui flottent…
Je peux bien deviner le monde…
Parce qu’à chaque début de l’Histoire,
tous les secrets sont endormis,
en toute liberté.
Souvent, je garde les yeux serrés.
Pourtant, aujourd’hui je me dis :
“Il faut de la lumière maintenant !”
Aussitôt,
j’ouvre toutes mes paupières d’obscurité.
Et la lumière est là !
Du jour, de la nuit.
De la nuit, du jour si je veux.
C’est donc aussi simple que ça ?
En vrai…
Commencer quelque chose,
ça fait comme un premier jour. »
Lorsque j’écris, je n’ai pas de lieu attitré, pas d’horaire précis, pas de routine, pas de plan ni de synopsis. Et décidément, aucune journée ne se ressemble.
Parce qu’écrire n’a jamais été pour moi être en ermitage.
Lorsque j’écris, je ne suis jamais hors la vie et je ne veux pas déranger, pas imposer cette solitude qu’impose un moment d’écriture.
Depuis longtemps, je crois avoir adapté cette pratique des mots à ma vie de nomade. Parce qu’en rencontres, en lectures à voix haute, en ateliers, en spectacles vivants, je suis toujours sur les routes. À moins d’un succès littéraire, il est très difficile de ne vivre que de la vente des livres…
Mon activité se cale donc beaucoup sur les rythmes scolaires.
L’écriture, elle, se cale sur ma seule décision.
Peut-être est-ce une des raisons, en plus du plaisir, qui me poussent à écrire du court.
Albums, romans de première lecture, manifestes… Même lorsque je me suis frotté à la littérature adolescente, je suis resté dans une certaine brièveté en écrivant des nouvelles. J’aimerais bien sûr un jour me lancer dans l’aventure d’un roman ample, mais je sais déjà qu’il me faudra, à ce moment-là, une discipline.
Et peut-être n’est-ce pas ma forme d’écriture. J’aime beaucoup l’image, et le texte d’album est un domaine que je ne me lasse pas d’explorer : tu peux y dire beaucoup de choses avec très peu de mots.
Aussi bien, je sais dès le début dans quelle forme d’écriture je me suis lancé.
De fait, j’ai tellement d’histoires commencées…
Certaines qui patientent avant que je les reprenne, d’autres que je m’impose de terminer parce que c’est une demande d’illustratrice, d’illustrateur ou d’édition, d’autres encore qui n’auront jamais de fin. Mais, en commencer plusieurs, c’est aussi mon joli moyen d’être toujours en histoire. De ne pas avoir peur de la fameuse page blanche… du fameux écran blanc en ce qui me concerne. Soyons honnête, à part quelques idées jetées sur le papier, l’ordinateur portable ou le téléphone sont mes carnets d’aujourd’hui.
Et comme tout et à n’importe quel moment peut faire entrer en création…
Je veux être réactif à l’idée, je veux ne pas bouder ma curiosité. Toutes les questions que je me pose sont mes meilleurs déclics, les plus grands moteurs pour me pousser à dire.
Dans ce sens, la vie de tous les jours m’aide beaucoup. La famille est aussi un sujet inépuisable pour le meilleur, le drôle, le sensible et pour l’horreur. L’écriture des émotions m’intéresse.
Longtemps, je me suis défendu, j’ai trouvé des pirouettes pour tenir les histoires éloignées de moi. Je disais : « non… non, rien n’est vrai là-dedans ! ». Mais si mes livres ne racontent pas forcément ma vie, c’est grâce à mes émotions que je suis vivant et que je suis entièrement mes textes. Même si je ne suis pas « que » ce que j’écris, bien sûr.
Et puis il y a tout ce qui me nourrit culturellement : cinéma, musique, l’illustration qui m’a toujours fasciné en tant que lecteur d’images et les auteurs qui me portent. Ceux qui m’ont tracé une voix d’écriture : Jo Hoestlandt, Thierry Lenain, Christophe Honoré, Anne Sylvestre, Marie-Sabine Roger, Richard Brautigan… et ceux que je côtoie aujourd’hui dans les salons du livre, les amis, ceux qui comptent dans la littérature.
Créer, c’est sans doute une manière de regarder… d’écouter… d’être au plus près de la poésie des autres pour faire la sienne…
Dans Vingt secrets pour apercevoir les fées, Philippe Dorin conseille de peindre son visage en blanc… de s’en dessiner un nouveau mais légèrement en décalage de l’ancien… « Vous aurez alors la chance d’entrevoir le monde des fées, qui se trouve juste à côté du nôtre, légèrement à gauche. » Sans le réfléchir vraiment, je crois appliquer ça à la lettre et depuis le début.
Avec la certitude que par l’humour et la poésie on peut tout dire.
Écrire, c’est recommencer. Explorer.
Mes mots sont mon seul métier. C’est une passion avant tout. Une liberté quasi totale. Même si cette liberté se paye ! Pas d’écriture : pas de texte. Pas de texte : pas de livre. Pas de livre : sans doute moins d’invitations ici ou là.
Parce que j’ai décidé que ce métier serait multiple. Il passe par autant de manières de l’appréhender que de moyens de m’inspirer et de le transmettre. La lecture à voix haute, le texte vivant est aujourd’hui ma grande activité de création.
Lire à voix haute est une suite logique de mon écriture qui l’est déjà… à voix haute. J’ai besoin, au moment d’écrire, de dire tout haut. Pour le rythme des phrases, la musicalité, l’impact.
J’ai été élevé à ça…les histoires enregistrées, les intonations, les silences, les « quand vous entendrez la clochette, tournez la page ».
Lire à haute voix est un vrai moment partagé.
Ce n’est qu’une voix parmi tant d’autres possibles, mais tout vient des textes. On ne lit pas de la même manière un polar et un album, un conte et un dialogue de cours d’école. Lire ne va pas de soi, c’est un vrai apprentissage, et je vois bien la difficulté qu’ont beaucoup d’enfants et d’ados à lire. Je veux dire lire entre les lignes, pas simplement déchiffrer. C’est justement ce qu’offre la littérature : les silences, la subtilité. Et c’est une évidence que lire à haute voix ouvre des portes insoupçonnées à des oreilles qui n’auraient jamais lu ces textes-là.
Pour beaucoup, écrire s’apprend en écrivant.
Mais je crois encore apprendre à écrire en « rencontrant ».
Depuis le premier livre publié, c’était une évidence : rencontrer.
Alors, s’il n’y avait pas encore l’enthousiasme et la volonté farouche de tant de médiatrices et médiateurs à monter des projets, faire connaître nos mots et les partager, la rencontre avec les lecteurs qui disent avoir été touchés par un texte pourtant refusé six fois auparavant… là… je crois que je baisserais les bras sur l’envie d’être publié. Écrire engage. Soi-même et les autres. Contre toute attente, c’est beaucoup d’exigence et de temps passé loin de chez nous.
Encore une fois, en littérature jeunesse comme dans tout métier qui passionne, le plus difficile et le plus précieux, peut-être, c’est d’être au cœur de sa liberté et d’y rester.
Comme j’écris un peu tout le temps et des textes très différents, souvent, je ne me rappelle plus avoir écrit ! Et ça, c’est toujours une jolie surprise ! Pourtant, je crois être le plus efficace quand c’est le dernier moment… un peu comme les devoirs du collège faits le dimanche soir pour le lendemain !
Alors oui, j’aime le début, le tout début de l’écriture et… j’aime quand tout est terminé, aussi ! Mieux encore, quand j’accompagne le texte, des années après parfois, jusqu’à celles et ceux qui vont le découvrir.
Mes journées sont décidément de transmission ! Tenter de faire passer en mots, en voix ce en quoi je crois.
Thomas Scotto est auteur, volontiers engagé et humaniste, son dernier ouvrage publié chez À pas de loups, Demain dans une demi-heure, est sorti en septembre dernier (je vous en parle bientôt).
Bibliographie sélective :
- Tout ce qui conte, album illustré par Nicolas Lacombe, Balivernes (2023).
- Les 9 vies extraordinaires de la princesse Gaya, Textes collectif illustré par Régis Lejonc, éditions Little Urban (2023).
- Demain dans une demi-heure, album illustré par Claire Gaudriot, À pas de loups (2023).
- Mur-mures, album illustré par Lucie Albon, Le diplodocus (2023).
- Le roi de la blague, album illustré par Vanessa Hié, À pas de loups (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Aux filles du conte, texte illustré par Frédérique Bertrand, Éditions du Pourquoi pas ? (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Dans le ventre du loup, album illustré par Carmen Mok, D’eux (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Même mon prénom est une chanson, roman illustré par Walter Glassof, Actes Sud Junior (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Va te changer !, roman co-écrit avec Cathy Ytak et Gilles Abier, Éditions du Pourquoi pas (2019).
- La fleur qui me ressemble, album illustré par Nicolas Lacombe, L’élan vert (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Kado, album illustré par Éric Battut, À pas de loups (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Libres d’être, roman coécrit avec Cathy Ytak, Éditions du Pourquoi pas (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Mes amis de partout, album illustré par Isabelle Simon, L’initiale (2016).
- Sans ailes, album illustré par Csil, À pas de loups (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Un tout petit point, album illustré par Arno Célerier, Les apprentis rêveurs (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Kodhja, album illustré par Régis Lejonc, Thierry Magnier (2015).
- Le grand écart, album illustré par Lucie Albon, Le diplodocus (2015).
- Une guerre pour moi, album illustré par Barroux, Les 400 coups (2015), que nous avons chroniqué ici.
- La vie encore, roman illustré par Zoé Thouron, Éditions du Pourquoi pas (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Un bond de géant, album illustré par Barroux, Kilowatt (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Pensées en suspension, poèmes illustrés par Thierry Murat, L’édune (2010), que nous avons chroniqué ici.
- Jérôme par cœur, album illustré par Olivier Tallec, Actes Sud Junior (2009), que nous avons chroniqué ici.
Retrouvez le sur son blog : https://thomas-scotto.net et sur Instagram.
Les pieds sur terre et la tête dans les nuages, Laetitia est une éternelle rêveuse qui partage sa vie entre la terre et la mer. Bien que tombée dans la marmite aux mots dès l’enfance, ce n’est que sur le tard qu’elle se découvre une passion pour la Littérature jeunesse avec un L majuscule et collectionne depuis lors les albums qui font la part belle à l’imagination et font l’éloge des mots.