Au programme de ce premier hebdo : les chroniques de deux albums et de deux romans et une invitée, Myren Duval.
En bref Par un matin pas plus sombre qu’un autre, les jumeaux·elles Séraphine et Séraphin partent pour l’école. Sur le chemin, iels sont capturé·es par Mâche-dur, un ogre bien décidé à faire de ces enfants son pique-nique pour la longue journée qui l’attend ! Car oui, c’est bien ce jour qu’ils avaient choisi avec Patfol le pirate et Lescroc le brigand pour exécuter leur plan génial… Voilà donc la sœur et le frère embarqué·es sans avoir leur mot à dire dans une aventure qui les mènera d’un galion à une île déserte à la recherche des trois sifflets d’or. Il leur faudra une bonne dose de ruse et un gros stock de courage pour se sortir de ce mauvais pas.
Mon avis Parmi les affreux·ses des histoires pour enfants, l’ogre, le pirate et le brigand font partie des plus terribles. Alors que dire d’une histoire qui les réunit tous les trois ? La promesse d’une bien belle frousse ? Eh bien c’est tout l’inverse que nous offre ce texte d’Arnaud Alméras illustré par Charles Dutertre : une sacrée tranche de rigolade provoquée par la nigauderie de ces trois méchants pas tout à fait au point niveau entente et camaraderie. Alors que le plan génial pour s’emparer des trois sifflets d’or magiques avaient été pensé comme infaillible, la gourmandise de l’un, l’avarice de l’autre et la bêtise des trois vont tout faire tomber à l’eau ! Il ne reste alors à Séraphine et Séraphin qu’à profiter des failles de tout ce beau monde pour organiser leur évasion. Toute l’absurdité réjouissante de l’histoire d’Arnaud Alméras est parfaitement retranscrite par les couleurs et les formes complètement psychédéliques utilisées par Charles Dutertre. Le côté très figé des « affreux très dangereux » et leurs grands yeux éteints ajoutent également au ridicule qui les caractérise, comme s’ils se demandaient à chaque page ce qu’ils peuvent bien faire là. Par ailleurs, chaque dessin est foisonnant de détails, ainsi que les pages de garde qui font partie intégrante de l’histoire, surtout celles de fin qui donnent un épilogue très drôle à cette aventure. L’album manie avec grand talent le registre de la farce, le rire passant par un grotesque facétieux et franchement jubilatoire.
En bref C’est jour de congé pour Samson, le détective le plus populaire ! Il s’imagine déjà se prélassant à bord de sa barque tout en profitant de son passe-temps préféré, la pêche. Mais même en congé, il ne peut s’empêcher de penser à son travail. Ainsi, alors qu’il passe en revue la liste de ses dernier·ères client·es, son bateau est étrangement emporté vers un drôle d’endroit… C’est parti pour une folle journée au milieu d’îles aussi bizarres qu’incroyables, à la recherche de choses en tout genre égarées par ses client·es !
Mon avis Chaque cherche et trouve de Katerina Gorelik est un enchantement. Dans cet univers richement coloré, les lecteur·rices sont invité·es à retrouver, par exemple, dix souris parachutistes égarées par un chat moniteur de parachutisme, dix cupcakes perdus par un cochon pâtissier, etc. À la drôlerie des objets et de leurs propriétaires, s’ajoute une foultitude de détails tout aussi drolatiques et saugrenus. Certaines planches donnent du fil à retordre et assurent de longues minutes d’observation. Beau et ludique, cet album fait une fois encore un carton plein à la maison.
En bref Les parents de Pauline attendent un·e autre enfant. Pas un·e autre dans le sens à la place d’elle, non, non, en plus d’elle. Pour la petite fille, ce n’est pas une bonne nouvelle. En plus, elle le sait, car elle a bien suivi les cours de mathématiques, l’amour des parents divisé par deux, ça fait forcément moins. Elle, c’est un chat qu’elle voulait, pas un bébé ! En plus, à la maison, ses parents ne parlent plus que de ça, accueillir le bébé, et il faut tout organiser pour son arrivée, comme si c’était le président du monde ou la cheffe de l’univers…
Mon avis On retrouve Pauline, l’héroïne de Myren Duval, dans une quatrième aventure (si celleux qui ont lu les autres apprécieront quelques clins d’œil aux autres histoires, chaque tome se lit indépendamment), une héroïne que j’aime énormément. Comme dans chaque tome, l’autrice aborde avec un humour mordant et beaucoup de tendresse un sujet fort. Après le racisme, la guerre en Syrie ou la sénilité, il est question ici — attention, divulgâchage — de fausse couche. Myren Duval a ce don de nous faire sourire tout en faisant poindre une petite larme au coin de l’œil (ou l’inverse). Elle aborde ce sujet peu traité en littérature jeunesse avec pudeur et justesse, mais n’oublie pas l’humour auquel elle nous a habitué·es (notamment dans Merci pour la tendresse qui parle d’une mère alcoolique). Les chapitres sont courts et se terminent généralement par une chute, à la manière de certaines BD pour les jeunes lecteur·rices. Un format qui plaira aux enfants qui n’osent pas encore se lancer dans des livres trop longs.
En bref June a beaucoup de mal à se remettre du décès de sa mère. Pour essayer de l’aider à faire son deuil, son père lui installe une vieille cabine téléphonique hors d’usage dans leur jardin, dans laquelle elle se réfugie pour parler à sa mère. Un jour, une voix lui répond. Un adolescent du nom de Lucas parvient, contre toute logique, à lui parler. Au fil de leur discussion, June parvient peu à peu à reprendre goût à la vie. Mais June remarque bientôt un mystérieux garçon qui l’observe à la sortie du lycée. Elle ignore alors que les destins des deux adolescents sont tragiquement liés au sien.
Mon avis Les romans sur le deuil sont toujours particulièrement bouleversants. Ne raccroche pas ne fait pas exception. J’ai beaucoup aimé cette idée de cabine téléphonique permettant de créer un dialogue entre les mort⸳es et les vivant⸳es. Cela donne à June le sentiment de communiquer avec sa mère, d’être entendue. Elle peut ainsi confier ses joies, ses peines, ses aventures en espérant que sa mère l’écoute quelque part. Si j’avais quelques doutes quant à l’aspect fantastique de l’histoire et la façon dont il allait être amené, j’ai finalement trouvé le tout très naturel et bien construit. Même si j’avais compris quel était ce lien qui unissait June et les garçons, j’ai beaucoup aimé en apprendre plus sur ce dernier et voir leurs relations évoluer au fur et à mesure du récit. De nombreux sujets importants sont abordés : au-delà du deuil, on parle aussi de résilience, de pardon, de relations familiales, d’amour et d’amitié. C’est un roman bien construit, qui m’a transportée le temps de quelques jours aux côtés de June et dont je suis ressortie très émue.
L’invitée de la semaine
Myren Duval est l’autrice de Mon chien, la luciole et les roulades arrière (voir ci-dessus). On lui a proposé de nous parler de son processus de création. Comment lui viennent ses idées ? A-t-elle un lieu où elle écrit ou peut-elle écrire partout ? Lui faut-il un silence complet ou peut-elle écrire avec du monde autour d’elle et/ou de la musique ? Bref, elle nous parle de la façon dont elle travaille.Quand j’écris j’ai besoin de moi :), d’être reposée, au calme — je porte souvent un casque anti-bruit — d’avoir l’esprit libre et de très looooooooooooooongues plages de sable temps disponible devant moi. Savoir que je n’aurai pas à m’interrompre est vraiment la donnée la plus importante. C’est seulement dans ces conditions que je me lance efficacement.
Sinon je me dis que quitte à devoir s’arrêter, autant ne pas commencer ¯\_(ツ)_/¯
J’écris beaucoup dans ma tête, les trajets — souvent longs au Népal [pays où vit l’autrice, NDLR] — sont idéaux pour ça, ainsi que les douches, la marche, le râpage de carottes ou tout autre activité qui libère l’esprit en occupant les mains.
Pendant les périodes d’écriture j’ai du mal à avoir une vie sociale, car l’envie d’écrire et le besoin de réfléchir me rendent indisponible, si je sors, je suis frustrée, je pense à mon roman, je n’écoute pas, j’oublie de quel côté de la route rouler, je sors promener mon chien…sans mon chien (ndlr : histoire vraie :).
J’ai découvert cet été — lors d’une résidence d’écriture dans une abbaye — l’incroyable plaisir d’écrire lorsque toutes les conditions sont réunies pendant plusieurs semaines, et ça a été vraiment une expérience exceptionnelle, 100 % défrustrant ! (voilà un mot qui devrait exister).
J’écris sans plan, sans intrigue, sans fil, sans fin, bref, sans savoir où je vais, ce qui donne systématiquement des dizaines de pages de dialogues ou de scènes, que je passe ensuite des mois à lier, je suis en plein dedans en ce moment, entre le puzzle et le casse-tête, un recommencement sans fin jusqu’à…ENFIN !
Bibliographie de Myren Duval :
- Mon chien, la luciole et les roulades arrière, roman illustré par Charles Dutertre, Le Rouergue (2024), que nous avons chroniqué ci-dessus.
- Mon chien, mamie et les graines de grenouille, roman illustré par Charles Dutertre, Le Rouergue (2024), que nous avons chroniqué ici.
- Mon chien, la liberté et les glaces à la mangue, roman illustré par Charles Dutertre, Le Rouergue (2023), que nous avons chroniqué ici.
- Merci pour la tendresse, roman Le Rouergue (2022), que nous avons chroniqué ici.
- Délit de solidarité, roman, Le Rouergue (2021).
- Mon chien, Dieu et les Pokétrucs, roman illustré par Charles Dutertre, Le Rouergue (2018), que nous avons chroniqué ici.
- Emmène-moi Place Tahrir, roman, L’Harmattan Jeunesse (2014).
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Un article signé d’une partie de l’équipe de La mare aux mots.