Pour la septième année, cet été encore, on vous a proposé une rubrique que vous aimez beaucoup (et nous aussi !), Du berger à la bergère. Tous les mercredis jusqu’à celui-ci, ce sont des auteur·trices et des illustrateur·trices qui ont posé trois questions à une personne de leur choix. Puis c’était à l’interviewé·e de poser trois questions à son tour à son intervieweur·euse d’un jour. Après Myren Duval et Marie-Aude Murail, Caroline Solé et Vincent Villeminot, Catherine Pineur et Geneviève Casterman, Églantine Ceulemans et Isabelle Maroger, Myriam Dahman et Paul Echegoyen, Gabrielle Berger et Violaine Leroy, Pierre-Emmanuel Lyet et Magali Le Huche, on termine cette saison avec Jeanne Ashbé qui a choisi de poser ses questions à Adrien Albert !
Jeanne Ashbé : D’où et comment cette « connaissance » arrive-t-elle dans tes albums ? Tes albums prennent-ils du temps à « arriver à la surface » ?
Adrien Albert : Mes connaissances ?! Ah ah, je ne suis érudit en rien. Mais j’adore fouiner dans les bouquins. Presque tout ce que j’écris et dessine provient de près ou de loin des bouquins. Lire des livres me donne envie de faire des livres et faire des livres me donne l’occasion d’en ouvrir.
Oui ça prend du temps à ce qu’un album « arrive à la surface ». Et je ne sais pas si ça prend de plus en plus de temps à arriver ou si je deviens de plus en plus impatient, si j’interviens trop dans son arrivée ou pas assez, si je suis affamé de travail ou de paresse. Ça n’est pas tout simple.
Jeanne Ashbé : Est-ce que ton éditeur — ou ton éditrice — intervient dans le cours de ta création ?
Adrien Albert : Oui, mon éditrice, Anaïs Vaugelade, collabore complètement à la réalisation du livre.
Au tout départ, si j’ai à l’esprit quelque chose qui ressemble à un album, je le lui raconte. La chose est mal foutue et je suis dans l’embarras, mais de m’entendre le lui raconter me permet de sentir s’il y a bel et bien un livre derrière tout ça.
Je lui montre ensuite le projet à de nombreuses étapes du travail.
Elle m’aide à préciser ce que je veux raconter et tire indubitablement les projets vers le haut.
Si je devais travailler sans éditeur, ou voire contre, c’est sûr que mon travail m’intéresserait beaucoup moins.
Jeanne Ashbé : Que fais-tu quand tu ne dessines pas ces albums que j’adore ? As-tu une « autre vie » que celle d’auteur-illustrateur ?
Adrien Albert : Non. Quand je ne fais pas de livre, je ne fais rien. J’attends que le livre arrive à la surface. Allongé sur mon lit, dans mon costume trois-pièces, je plonge mes doigts dans des pots de beurre de cacahuètes en attendant que ça vienne.
Adrien Albert : As-tu des souvenirs de toi quand tu étais bébé ?
Jeanne Ashbé : De ma vie de tout petit bébé, je n’ai pas de souvenirs conscients. Faut-il le langage pour que notre histoire devienne racontable ? Ce qui est sûr, c’est qu’à partir de l’âge de trois ans, j’ai énormément de souvenirs, souvent très précis, très imagés, très narratifs. Je me souviens par exemple qu’à la naissance de mon petit frère, j’avais trois ans, nous, les trois « grands », avons passé une nuit dans une ambulance, maman étant à la maternité et mon père en mission sur un événement couvert par la Croix-Rouge. Je me vois descendre de l’arrière du véhicule, stationné dans un pré, il faisait beau, les adultes en uniforme gris, béret sur la tête, nous souriaient… Je pourrais presque te raconter les mots qu’ils nous adressaient…
Je me souviens à la même époque de nos jeux farfelus, tous logés dans la même chambre avant que la maison ne soit agrandie d’un étage.
Mais plus petite encore, je peux te dessiner le semis de petites fleurs rouges sur mon pyjama rose, le boutis qui tapissait le parc en bois où je passais sans doute plusieurs heures par jour… Et je n’avais pas trois ans. Les souvenirs en images précèdent de toute évidence ceux que j’aurai un peu plus tard, péripéties ou moments de vie, plus proches alors du récit que de ces « images » de ma vie de toute petite fille. Ce qui est sûr c’est que j’ai la réputation d’avoir « beaucoup de souvenirs » de ma toute petite enfance… et de celle de mes frères et sœurs !
Mais ne faisons-nous pas un métier qui ravive sans cesse cette part de nous-mêmes ? À moins que ça ne soit l’inverse ? Je me pose souvent cette question…
Adrien Albert : Et à ton tout premier bébé, tu lisais quoi ?
Jeanne Ashbé : Quand est né mon tout premier bébé, nous avons quitté Bruxelles pour « mettre notre bébé au monde à la campagne ». J’avais fait six ans d’études à l’Université, exercé le métier d’orthophoniste-psychologue au Québec, puis dans un grand hôpital universitaire à Bruxelles… J’ai quitté mon travail, mes amis, la capitale… pour une toute petite maison à l’orée de la forêt, à la porte des Ardennes…
Pour tout livre à lire à mon bébé, j’achetais ce que me permettaient nos (très) maigres finances. Je me souviens en particulier d’un petit animalier en photos acheté à l’épicerie du village voisin. Je le lui ai lu et relu avec un énorme plaisir et force coin coin, bêêê, meeeuuuh et autres miaou… Une vieille dame chère à notre cœur lui avait offert Titou prend le train qu’on a, là aussi, lu et relu jusqu’à ce qu’il tombe en lambeaux. La bibliothèque locale ne possédait quasiment aucun livre destiné aux enfants de moins de 4-5 ans et le paysage éditorial à l’époque n’offrait pas encore grand-chose pour les tout petits… !
Par contre — et je raconte de temps en temps cette histoire en en montrant des images — quand elle a eu 20–21 mois, c’est-à-dire les derniers mois où grandissait dans mon ventre son futur petit frère, elle s’est prise de passion pour un livre que j’avais dans ma bibliothèque, Un dîner chez Gustave d’Yvette Barbieri. Un album que je ne pensais pas être encore adapté à cette toute petite fille dont le langage était encore celui d’un bébé. Or, ce livre raconte étrangement l’histoire d’un trio — un ours blanc, un pingouin et un morse — dont le bonheur paisible est perturbé par l’arrivée du chasseur caché dans une peau d’ours, mais dont les trois compères se débarrassent proprement une fois l’intrus démasqué. L’histoire somme toute de quelqu’un dans un ventre qu’on remballe tout simplement d’où il vient !…!!! Et je lui ai lu ce livre jusqu’à quinze fois par jour pendant tout le dernier trimestre de ma grossesse :-))) !!
Adrien Albert : Quelle place occupe le violoncelle dans ta vie ? Et il y a-t-il un lien avec ta pratique du dessin ?
Jeanne Ashbé : Comment te dire ?… Je ne joue plus assez de violoncelle dans ma vie aujourd’hui. Nous jouions beaucoup tous ensemble, mais mes enfants ont pris leur envol ! C’est magnifique, mais je délaisse mon violoncelle plus que je ne le voudrais. Par bribes, il m’arrive de m’y remettre et retrouver alors ce que jouer d’un instrument procure : cette plongée dans la musique où l’on oublie tout sauf le moment présent. Comme quand on dessine ! Quelle chance nous avons de pouvoir faire avec nos doigts de la « musique d’images » quand seuls comptent le trait qui trouve son rythme, les couleurs qui lui donnent la parole… En musique aussi on parle de « couleur » de la note jouée. Notre crayon c’est comme un archet…
Bibliographie sélective de Jeanne Ashbé :
- Série Lou et Mouf, texte et illustrations, L’école des loisirs (2003-2022), que nous avons chroniqué ici et là.
- Moi je vais sur le pot, texte et illustrations, L’école des loisirs (2019).
- La fourmi et le loup, texte et illustrations, L’école des loisirs (2016), que nous avons chroniqué ici.
- Non !, texte et illustrations, L’école des loisirs (2008).
- Pas de loup, texte et illustrations, L’école des loisirs (2008), que nous avons chroniqué ici.
- Yola, texte et illustrations, L’école des loisirs (2001), que nous avons chroniqué ici.
- Et après, il y aura…, texte et illustrations, L’école des loisirs (2000), que nous avons chroniqué ici.
- Et dedans il y a…, texte et illustrations, L’école des loisirs (1997), que nous avons chroniqué ici.
- À ce soir, texte et illustrations, L’école des loisirs (1995).
- On ne peut pas !, texte et illustrations, L’école des loisirs (1994).
- Coucou, texte et illustrations, L’école des loisirs (1994).
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Bibliographie sélective d’Adrien Albert.
- Chantier Chouchou Debout, texte et illustrations, L’école des loisirs (2022).
- Notre Boucle d’or, texte et illustrations, L’école des loisirs (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Série Claude et Morino, texte et illustrations, L’école des loisirs (2018-2020).
- L’Antarctique de Simon, texte et illustrations, L’école des loisirs (2018).
- Henri est en retard, texte et illustrations, L’école des loisirs (2016).
- Train fantôme, texte et illustrations, L’école des loisirs (2015).
- Papa sur la lune, texte et illustrations, L’école des loisirs (2015).
- Au feu Petit Pierre, texte et illustrations, L’école des loisirs (2014).
- Des amis à chaque étage, illustration d’un texte de Chantal Wibaux, L’école des loisirs (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Simon sur les rails, texte et illustrations, L’école des loisirs (2012).
- Cousa, texte et illustrations, L’école des loisirs (2010).
- Zélie et les Gazzi, texte et illustrations, L’école des loisirs (2010).
- Seigneur Lapin, texte et illustrations, L’école des loisirs (2008).

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !