Il y a des traducteur·rices qu’on remarque. Pour leurs choix, pour la qualité des textes qu’ils et elles traduisent, leur écriture. Aude Pasquier en fait partie. J’avais donc envie d’en savoir plus sur elle et sur son métier, sa façon de travailler. Ensuite, c’est Jean, 7 ans et demi, pour notre rubrique qui laisse la parole aux enfants, qui nous parle d’un album qu’il aime !
L’interview du mercredi : Aude Pasquier
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Cette question me montre que le temps file à une vitesse folle ! J’ai l’impression que mes études, c’était hier. Comme j’avais du mal à choisir une branche, j’en ai suivi plusieurs en parallèle : fac d’anglais, d’espagnol, de norvégien… Donc, pour répondre très concrètement à votre question, j’ai une petite collection de diplômes : licence de norvégien, licence d’espagnol, maîtrise d’anglais et DESS de traduction littéraire. Avec des modules de suédois, d’italien, de tchèque, de cinéma… Je suis de la (une des ?) génération Erasmus. Je suis par exemple allée faire ma maîtrise d’anglais à Barcelone. J’ai habité et étudié plusieurs années à Paris, à Bruxelles, à Trondheim (en Norvège), où un simple semestre d’échange s’est finalement transformé en deux ans et où j’ai enseigné français et espagnol en cours du soir. Avant ça, je pense qu’avoir habité deux ans à la Cité Universitaire de Paris après mon bac a contribué à ancrer profondément en moi le goût de l’ailleurs, même si je crois que je l’avais déjà dans le sang. Je n’ai d’ailleurs aucune idée d’où ça vient. En tout cas, ce n’est pas familial, ma famille (celle que j’ai connue, bien sûr, car pour le reste, c’est une autre histoire), est normando-normande. Mais déjà en classe prépa, en Normandie, donc, j’écumais librairies et bouquinistes pour dénicher des romans et des nouvelles venus d’ailleurs. Sans que personne ne m’en parle, j’ai découvert Horacio Quiroga, qui est uruguayen, Halldór Laxness, qui est islandais, Aino Kallas, qui est à la croisée de la Finlande et de l’Estonie, par hasard, toute seule, dans les rayonnages. Mes études de langues vivantes ont creusé ce sillon, mais habiter dans le melting pot qu’est la Cité Universitaire a pour ainsi dire mis des visages sur des mots. Mes meilleurs amis de l’époque étaient hongrois, libanais ou marocains. Je crois que c’était comme une incarnation dans la vie réelle du paysage mondial que je m’étais construit dans la tête. Ça n’a fait que conforter la curiosité que je ressentais et qui ne m’a pas quittée depuis. Je continue à être un peu boulimique de tout ce qui n’est pas moi. Je parle plusieurs langues, traduis du norvégien comme de l’anglais ou du suédois, parfois du danois, avec des incursions en espagnol ou en italien. Je me sens très européenne, en somme.
La question peut paraître saugrenue, mais j’aimerais que vous nous disiez comment on traduit un livre, ce que fait un·e traducteur·rice ?
Hé, hé… Je dirais qu’un traducteur est… un lecteur très lent et attentif. Chacun a sa méthode : lire le livre trois fois avant pour bien l’analyser ou ne pas le lire du tout pour garder sur le texte un regard aussi frais que celui qu’aura le lecteur, faire toutes les recherches dont on a besoin avant ou bien au fur et à mesure, se jeter à l’eau sans réfléchir ou commencer par lire des livres francophones en rapport avec celui qu’on doit traduire… Moi, je me lance souvent comme ça, après avoir soigneusement lu le livre, et à chaque fin de chapitre (s’il y en a), je relis ce que j’ai fait avant d’en entamer un autre. Cette étape est un peu un exercice d’équilibriste. La jambe gauche contrôle que je n’ai oublié aucun mot de la VO, pas fait d’erreur de compréhension ou autre, et la jambe droite surveille le coulé de la VF, son rythme, chasse les répétitions si elles gênent, essaie de trouver le ton, les assonances, où mettre (ou bien supprimer) les virgules. Pendant que mes petits doigts tapent, corrigent et s’agitent, moi, j’essaie d’avancer, tout en restant sur le fil de la fidélité. Parfois, mon balancier penche à droite pour une phrase, à la suivante, il penche à gauche. À la fin, je relis le tout, au moins 5 fois en général, plus si c’est très bien écrit, jusqu’à être à peu près satisfaite du résultat — car on ne trouve jamais toutes les solutions d’un coup. Il faut laisser mûrir un peu. Et pendant le processus, je lis. Beaucoup. Je m’imprègne d’autres écritures pour trouver celle qu’il me faut. Par exemple, pour Tchernobyl, récits, un roman kaléidoscopique d’une poète norvégienne, je me suis beaucoup documentée sur le sujet et j’ai pris des notes. Si j’ai besoin d’être créative dans une scène d’engueulade, je relis le concours d’insultes de Jean-Pierre Mourlevat dans La ballade de Cornebique (une tuerie !). Autres occupations du traducteur : trouver des idées sous la douche et se précipiter en peignoir pour les noter ; poster des sondages sur les réseaux sociaux pour demander aux copains-copines des idées de jeux de mots, ou si d’après eux on dit tel ou tel mot dès le collège ou plutôt au lycée ; écrire un mail à un tailleur pour savoir comment s’appelle ce bidule noir élastique qui tenait les manches de chemises avant qu’on invente les tailles ; avoir du mal à se laisser emporter dans une lecture et, par déformation professionnelle, noter tous les mots et expressions « qui peuvent servir », comme une mamie qui accumule les mouchoirs au cas où ; écouter les conversations dans les transports en commun ; collectionner les dictionnaires des synonymes, de mots de sens voisin, du mobilier anglais du XVIIe siècle, de l’argot des tranchées français ou des prisons anglais, du vocabulaire de l’architecture en espagnol, même s’ils ne servent qu’une fois par décennie. Donc pour ce métier, il est conseillé d’avoir : de la place pour accumuler tous ces livres ; un, une ou des conjoints ou mécènes non seulement riches (pour vous entretenir au nom de l’amour de l’art et de la littérature pendant
que vous relisez votre traduction pour la n ième fois, ce qui fait tomber votre salaire horaire à 5 euros) mais aussi impliqué et patient (pour garder les éventuels enfants, chats ou dromadaires pendant que vous partez à la foire de Bologne ou voir sur place ce qu’il y a de neuf dans les librairies norvégiennes) ; un bon réseau et des amis libraires ; une carte d’adhérent à l’ATLF par exemple, c’est-à-dire l’Association des Traducteurs Littéraires de France, pour se soutenir entre collègues et demander conseil avant de signer n’importe quel contrat.
Est-ce que vous choisissez les projets sur lesquels vous travaillez et est-ce qu’il vous est déjà arrivé de refuser une traduction à cause du contenu du livre (thématique, propos, écriture…) ?
J’ai la chance de choisir, oui. De retour à Paris après mes études et un stage aux éditions de l’Olivier, à force de salons du livre, de contacts pris avec les éditeurs, de recommandations par des collègues ou mon ancien tuteur, le regretté Bernard Hoepffner, de formations continues que je choisissais ici et là, j’ai commencé à me creuser un petit trou dans le monde de la traduction littéraire et je me suis constitué un carnet d’adresses. Tout ça a pris une bonne dizaine d’années, mais comme je travaille dans plusieurs langues et plusieurs domaines (la jeunesse, mais je fais aussi pas mal de BD et de romans graphiques ou de littérature pour adultes), j’ai la chance d’être très occupée. J’ai déjà refusé des livres, oui, mais plutôt par manque de temps, parce qu’on me proposait des délais trop courts et que j’avais déjà un calendrier chargé. Ou parce que je ne trouvais pas le livre très intéressant, c’est vrai aussi. Ou encore parce que c’était trop mal payé (n’oublions pas que je n’ai pas à la maison le mécène dont je parlais plus haut !) En tout cas, ça n’a jamais été par scrupule éthique, mais j’imagine que ça pourrait arriver. Quant aux thèmes difficiles, la mort par exemple, je n’ai jamais décliné à cause de ça. C’est même parce que j’essayais de pousser en France un livre qui en parle, Je suis la mort, que j’ai rencontré les éditions Versant Sud, qui venaient d’en acheter les droits.
Quel est votre rapport aux livres que vous avez traduits, est-ce que vous les gardez tous précieusement comme un·e auteur·rice ?
Absolument ! Regardez :
Autre point commun avec les auteurs et trices : j’adore réfléchir à qui je vais offrir mes exemplaires d’auteur et demander ensuite ce que la personne en a pensé. Et en distribuer aux bonnes personnes à la sortie pour donner sa chance au livre de trouver son public.
Vous avez sorti plusieurs ouvrages chez La Joie de Lire, pouvez-vous nous parler de votre collaboration ?
J’ai eu de la chance ! C’est NORLA, un organisme chargé de la promotion de la littérature norvégienne à l’étranger, qui leur a donné mon nom. C’était en 2014, pour faire un petit livre écrit par Jostein Gaarder, qui est quand même très connu en jeunesse, donc j’avais un peu la pression. J’ai adoré travailler sur ce mini album. L’illustrateur, Akin Duzakin, a réussi à construire des images qui répondent au texte sans en être une simple illustration, qui lui ouvrent de nouveaux horizons sans pour autant enfermer le lecteur dans la représentation que l’illustrateur s’en est faite. C’est beau, triste et fort à la fois, très humain. Francine Bouchet, l’éditrice, a relu mon texte, m’a fait des remarques et je me suis dit : oh là là, c’est fini, elle n’est pas contente. Mais en fait pas du tout ! C’était juste pour perfectionner le texte. Depuis, on ne se quitte plus. Ils m’ont toujours proposé des livres de grande qualité, donc j’ai toujours dit oui. Et comme ils sont attentifs aux nouveautés norvégiennes, on travaille souvent ensemble, ils me proposent chaque année un ou deux projets. À force, je connais toute l’équipe, du moins par mails interposés. Avec eux, j’aime beaucoup le travail de suivi des auteurs, Øyvind Torseter, par exemple. À chaque nouvel opus, même quand il se renouvelle, j’ai l’impression de réenfiler mes baskets préférées oubliées sous l’étagère. Il est aussi arrivé que je leur recommande un livre et qu’ils l’achètent. Là, c’était génial.
Quelles étaient vos lectures d’enfant, d’adolescente ?
Ha ha ! Je me souviens que j’adorais le Club des Cinq, surtout Claude, le garçon manqué (les autres, François, Mike et Annie (d’ailleurs, c’est DINGUE que je me souvienne encore de leurs prénoms !) j’avais envie de leur mettre des baffes aux parce que je les trouvais trop raisonnables en plus d’être interchangeables). Je lisais aussi Fantômette. Je la trouvais pas mal culottée. Anecdote de la honte : je me souviens que c’est dans cette série que j’ai appris le mot « yatch », que j’ai prononcé pendant des années comme je le voyais écrit, à savoir « i-atche », puisque je ne suis pas née grosse nababe et que personne ne l’avait utilisé à l’oral devant moi. Je crois avoir aussi emprunté 145 fois chaque album de Yoko Tsuno disponible à la bibliothèque du Havre. J’adorais Roald Dahl, bien sûr, avec les illustrations bordéliques de Quentin Blake. Et puis j’ai appris à reconnaître les livres de la légendaire collection Cascade à leur dos : je faisais les rayons un par un en glissant le doigt sur les tranches jusqu’à en trouver un que je n’avais pas lu (ou que j’avais bien aimé, pour le relire). Avant ça, je me souviens des Contes du chat perché. Et des aventures historiques imaginées par Odile Weulersse bien sûr ! J’ai aussi lu tous les Alix et Enak que mes parents avaient dans leur bibliothèque. Par contre, au lycée, je n’ai à peu près plus rien lu. J’étais trop occupée par les amis et la musique. Bref, je suis un pur produit de mon époque, non ?
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Rien à voir avec la jeunesse, je traduis un polar norvégien pour la Série noire de Gallimard. J’en ai encore pour plusieurs centaines de pages, mais l’enquête de Wisting progresse ! Il est tenace. En parallèle, je prépare plusieurs albums jeunesse scandinaves super à paraître chez Versant Sud, qui vient de lancer une collection « Petites Histoires Nordiques ». Entre autres, un album de Sanna Borell, et un autre du malicieux tandem Klara Persson-Karin Cyrén. Plus un album dano-suédois très drôle que j’ai présenté aux éditions Le Cosmographe. Je devrais aussi bientôt recevoir pour relecture les épreuves d’une grosse BD américaine de Julia Wertz, dont j’ai déjà fait quelques livres sortis chez l’Agrume. Et puis ce n’est pas encore sûr, mais j’espère pouvoir vous annoncer un gros projet suédois très vite !
En attendant, si mon travail vous intéresse, vous pouvez piocher ce qui vous plaît dans cette liste.
Il y a de la jeunesse, de la vieillesse, et de la BD. Bonne lecture !
Des livres traduits par Aude Pasquier que nous avons chroniqués :
- Factomule, d’Øyvind Torseter (traduit du norvégien), La Joie de Lire (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Alice, princesse de secours, de Torun Lian et Øyvind Torseter (traduit du norvégien), La joie de Lire (2021), que nous avons chroniqué ici.
- Lotta la filoute, d’Astrid Lindgren et Beatrice Alemagna (traduit du suédois), Versant Sud (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Lotta sait tout faire, d’Astrid Lindgren et Beatrice Alemagna (traduit du suédois), Versant Sud (2020), que nous avons chroniqué ici.
- La grande amie, d’Ylva Karlsson et Eva Lindström (traduit du suédois), Le Cosmographe (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Tout le monde compte, de Kristin Roskifte (traduit du Norvégien), Casterman (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Pourquoi ici ?, de Constance Ørbeck-Nilssen et Akin Düzakin (traduit du norvégien), La Joie de Lire (2017), que nous avons chroniqué ici.
- Socrate et son papa prennent le temps, d’Einar Øverenget et Oyvind Torseter (traduit du norvégien), La joie de Lire (2019), que nous avons chroniqué ici.
- La Cape de Pierre, de Inger Marie Kjølstadmyr et Øyvind Torseter (traduit du norvégien), La joie de lire (2020), que nous avons chroniqué ici.
- Pendant que tout le monde dort, de Nicolai Houm et Rune Markhus (traduit du norvégien), Alice Jeunesse (2019), que nous avons chroniqué ici.
- BleuClaire, de Håkon Øvreås et Øyvind Torseter (traduit du norvégien), La joie de lire (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Je suis la Vie, d’Elisabeth Helland Larsen et Marine Schneider (traduit du norvégien), Versant Sud (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Je suis la Mort, d’Elisabeth Helland Larsen et Marine Schneider (traduit du norvégien), Versant Sud (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Je suis le Clown, d’Elisabeth Helland Larsen et Marine Schneider (traduit du norvégien), Versant Sud (2019), que nous avons chroniqué ici.
- Maarron, de Håkon Øvreås et Øyvind Torseter (traduit du norvégien), La Joie de Lire (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Socrate et son papa, d’Einar Øverenget et Øyvind Torseter (traduit du norvégien), La joie de Lire (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Petits pieds, d’Emma Adbåge (traduit du suédois), Cambourakis (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Leni fait la grande, d’Emma Adbåge (traduit du suédois), Cambourakis (2015), que nous avons chroniqué ici.
- Où sont nos bonnets ?, d’Eva Lindström (traduit du suédois), Cambourakis (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Olli et Ma, d’Eva Lindström (traduit du suédois), Cambourakis (2014), que nous avons chroniqué ici.
- Molly & Sue, de Klara Persson (traduit du suédois), Cambourakis (2013), que nous avons chroniqué ici.
- J’aime pas l’eau, d’Eva Lindström (traduit du suédois), Cambourakis (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Pourquoi les chiens ont la truffe humide, de Kenneth Steven et Øyvind Torseter (traduit du norvégien), Cambourakis (2013), que nous avons chroniqué ici.
- Le châle de grand-mère, d’Asa Lind et Joanna Hellgren (traduit du suédois) Cambourakis (2013), que nous avons chroniqué ici.
Les premier·ères concerné·es
Régulièrement, un·e enfant nous parle d’un livre qu’il ou elle a aimé, avec ses mots. Aujourd’hui c’est Jean, 7 ans et demi qui nous parle de l’album Dinosaurium. Si l’un de vos enfants veut être le ou la prochain·e, écrivez-nous !
C’est un documentaire sur les dinosaures. J’aime bien les illustrations. Il y en a beaucoup, elles sont très grandes et on voit bien les détails.
Il y a six chapitres avec des dinosaures herbivores et carnivores. Les plus grands sont le spinosaure, le diplodocus et le T rex.
Pour ceux qui aiment les dinos on peut apprendre qu’à leur époque il y avait un seul continent, La Pangée. Il y avait des mammifères, des reptiles volants (ptérodactyle et quédzalcoatus) et aussi des reptiles marins (plésiosaures et ichthyosaures).
J’ai plein de livres sur les dinosaures mais celui-ci il est super !
Dinosaurium, de Chris Wormell (texte) et Lily Murray (illustration), traduit de l’anglais par Emmanuel Gros, Casterman (2018).

Aimait la littérature jeunesse bien avant d’avoir des enfants mais a attendu d’en avoir pour créer La mare aux mots. Goût particulier pour les livres pas gnangnan à l’humour qui pique !